Adam et Ève mangeaient-ils de la viande avant la chute ? À première lecture, il semble que non. Mais qu’en est-il après une lecture plus approfondie ? À l’heure où le végétalisme et le véganisme (dit aussi végétalisme intégral) séduisent de plus en plus de monde, la question n’est pas si secondaire. Si Adam et Ève étaient végétaliens, les chrétiens qui adoptent ce régime alimentaire pourraient trouver dans le texte de la Genèse un fondement biblique à leur démarche (bien qu’il faudrait également replacer ce régime alimentaire créationnel dans le contexte du grand récit création – chute – rédemption). Alors, Adam et Ève étaient-ils omnivores ou végétaliens ?
Avant de se pencher sur les arguments bibliques en faveur d’une interprétation végétalienne, rappelons brièvement ce qu’est le végétalisme. C’est une pratique alimentaire plus stricte que le végétarisme. En général, le régime alimentaire végétarien exclut la consommation de chair animale, mais permet la consommation de produits issus de l’élevage comme le lait ou les œufs. Le végétalisme quant à lui exclut tout produit issu des animaux (viande, poisson, mais également le lait, les œufs voire le miel). Le véganisme, enfin, étend le principe végétalien au mode de vie et refuse le cuir, la laine, les produits testés sur des animaux, etc. Ici nous nous demanderons donc si Adam et Ève avaient une alimentation végétalienne avant la chute.
Le texte de la Genèse semble le suggérer. Après avoir créé l’homme et la femme, Dieu leur dit, à propos de leur propre régime alimentaire mais également à propos de celui des animaux : « Je vous donne tout herbe porteuse de semence sur toute la terre, et tout arbre fruitier porteur de semence ; ce sera votre nourriture. A tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui fourmille sur la terre et qui a souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. » (Gn 1.29-30)
Puis, après la chute, les règles semblent changer. À la sortie de l’arche, après le déluge, Dieu dit à Noé et sa famille : « Tout ce qui fourmille et qui vit vous servira de nourriture : comme les végétaux, je vous donne tout cela. » (Gn 9.3)
Dans le même sens, certains textes promettent un retour à la situation créationnelle lors de la venue du Messie, au moins pour le régime alimentaire des animaux : « Le loup et l’agneau auront un même pâturage, le lion, comme le bœuf, mangera de la paille, et le serpent aura la poussière pour nourriture. Il ne se fera aucun mal, il n’y aura aucune destruction dans toute ma montagne sacrée, dit le Seigneur. » (És 65.25 ; voir aussi És 11.7-9)
Les régimes carnivores et omnivores, que ce soit pour les animaux ou les êtres humains, semblent donc – à première lecture – une conséquence de la désobéissance humaine envers Dieu. Cependant, d’autres textes bibliques empêchent de conclure trop vite en ce sens.
Certains textes des Écritures mettent en lumière la majesté divine en attirant l’attention sur la “violence” animale (alimentation carnée) au sein de la création. C’est le cas du Psaume 104 et du livre de Job.
Le Psaume 104 célèbre Dieu pour son œuvre de création et pour la manière dont il maintient l’harmonie de l’univers. Et le régime carnivore fait partie du tableau : « Les jeunes lions rugissent après leur proie : ils demandent à Dieu leur nourriture. » (Ps 104.21 ; voir aussi 145.15)
En Job 38.1-40.2, Dieu reprend Job en manifestant sa sagesse et sa puissance par un discours sur le caractère sublime (et donc fascinant et mystérieux) de la création. On peut y lire : « Est-ce toi qui chasses une proie pour la lionne et qui apaises la faim des jeunes lions, quand ils sont tapis dans leurs tanières, quand ils habitent dans le taillis comme dans un repaire ? Qui prépare au corbeau sa pâture, quand ses petites appellent Dieu au secours, errants, sans rien à manger ? » (Jb 38.39-41)
Et plus loin : « Est-ce par ton ordre que le vautour s’élève et qu’il place son nid sur les hauteurs ? […] De là il recherche sa proie, de loin, ses yeux l’aperçoivent. Ses petits boivent le sang ; là où il y a des cadavres, il est là. » (Jb 39.27, 29-30)
On imagine mal les auteurs bibliques (et Dieu lui-même !) célébrer la majesté divine à partir des conséquences de la chute. Ces textes suggèrent donc plutôt que l’alimentation carnée, au moins pour les animaux, appartient à la bonne création de Dieu.
De plus, un indice au moins du texte de la Genèse suggère que les êtres humains consommaient de la viande avant la sortie de l’arche. Il s’agit de la distinction entre les animaux purs et les animaux impurs, qui avait déjà cours lors de la construction de l’arche, puisque Dieu demande à Noé de prendre avec lui sept couples des bêtes pures, et seulement un couple des bêtes impures (Gn 7.2). Or dans la Bible, la définition du pur et de l’impur dans le monde animal est toujours en lien avec le régime alimentaire des êtres humains (voir Lv 11 et Dt 14), bien qu’un lien puisse aussi être établi avec la pratique du sacrifice (voir Gn 8.20, mais la distinction entre le pur et l’impur n’est jamais définie en lien avec le sacrifice). Il semble donc que Noé et sa famille mangeaient déjà des animaux avant le déluge. Comment articuler alors l’enseignement des textes cités en première partie avec celui des textes cités ici ?
Une interprétation permet d’harmoniser l’ensemble des données. L’alimentation végétalienne en Eden, décrite en Genèse 1.29-30 et reprise dans les textes messianiques, est un symbole de la paix qui régnait (et qui régnera à nouveau) dans la création de Dieu. Elle n’est pas à prendre à la lettre, mais plutôt de manière métaphorique. Dès lors, l’alimentation carnée introduite en Genèse 9.3 devient le symbole de la violence introduite dans le rapport entre l’être humain et le monde animal (« Vous inspirerez de la crainte et de la terreur à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui fourmille sur la terre et à tous les poissons de la mer » Gn 9.2).
Cette interprétation me semble fermement établie concernant le régime alimentaire des animaux (on comprendrait mal le Ps 104 et les versets cités de Job sans cela), et très probable pour le régime alimentaire d’Adam et Ève (difficile en Gn 1 d’attribuer une interprétation littérale au régime alimentaire humain et une interprétation métaphorique au régime alimentaire animal). Et vous, vous êtes plutôt omnivore ou végétalien ?
Émile Nicole, “Vertueux végétarisme ?”, Théologie évangélique 19/2, 2020, p. 3-19.
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