Célébré pour la beauté de sa poésie, le Cantique des cantiques est souvent considéré comme un livre mystérieux. Voici trois clés de lecture qui, je l’espère, aideront à saisir ce qui se joue dans le plus beau des chants.
Le Cantique des Cantiques parle de l’amour entre un homme et une femme. Cet amour est à la fois sentiment et admiration, désir et expression verbale et physique. Il est autant affaire de cœur qu’affaire de corps. L’amour sollicite tous les sens. Sa force est telle que l’absence de l’être aimé rend malade (2.5 ; 3.1-5 ; 5.2-8). L’amour est harmonie entre les bien-aimés et avec les jardins où ils se rencontrent. Il est réciprocité (« Mon Bien-aimé est à moi, je suis à lui », 2.16; 6.3 ; 7.11) et exclusivité (2.3 ; 4.12 ; 6.9 ; 7.14 (7.13 dans certaines versions)).
À chacun son langage pour le célébrer : la bien-aimée célèbre les caresses tendres et enivrantes de son bien-aimé (1.2‑4, 12-16 ; 4.10-11) mais également le sentiment profond et permanent qu’elle éprouve à son égard (1.17 ; 3.1-5). Quant à lui, il appelle constamment celle qu’il aime « mon amie », et l’associe souvent à un adjectif, comme « belle » ou « terrible » (1.15 ; 4.1, 4 ; 6.4), marque de l’admiration et de la tendresse qui se mêlent à son désir. En Ct 4.8-5.1, le langage se modifie : la bien-aimée devient « ma sœur, fiancée ». Quelque chose aurait-il changé ? Oui ! Nous sommes juste après des noces (3.6-11).
L’acte d’amour, poétiquement évoqué en 4.16-5.1, est au centre du Cantique. Parallélismes et refrains semblent faire émerger une structure concentrique :
Si Andrew Hwang[1] a raison, chaque membre se prolonge dans son parallèle, qui apporte des éléments supplémentaires. A’ complète A, B’ complète B, etc. Deux temps se démarquent :
Le Cantique semble raconter l’histoire d’un amour qui progresse inexorablement des extrémités du Cantique vers son centre où l’amour est consommé.
Une demande en mariage semble avoir déclenché les événements du Cantique. Au premier chapitre, la jeune femme explique que les fils de sa mère l’ont faite gardienne de vignes (sens littéral) et que sa vigne à elle (sens figuré désignant probablement sa relation amoureuse), elle n’a pu s’en occuper (1.6). Au chapitre 8 (membre parallèle du chapitre 1), le jeu autour du mot vigne revient (8.11-12). On apprend ce qui semble être la raison du travail imposé à la jeune femme. Elle exprime d’abord son désir d’union dans des termes d’alliance (8.6-7, cf. Dt 6.7-8; Pr 7.1-4). Dieu est considéré comme origine d’un tel amour (flamme de Yah).
Puis, nous assistons à une discussion des frères, comme un flashback vers un temps où la jeune femme était encore toute jeune (« point encore de seins », 8.8). Que devront-ils faire quand on viendra rechercher leur sœur (c’est une demande en mariage qui est en vue) ? Si elle sait garder son honneur (inaccessibilité aux incitations masculines), ils ajouteront à son honneur en vue des noces (« 8.9a) ; s’ils l’estiment trop légère, ils prendront des mesures drastiques (8.9b).
Revenu au temps présent du Cantique, nous apprenons que la jeune femme a su, par elle-même, se préserver. La voici désormais mature (8.10). Ct 8.6-12 suggère que le bien-aimé a fait sa demande auprès des frères. Probablement jugée trop légère par ses frères, la jeune femme avait été contrainte de travailler aux vignes pour fermer la porte à toute expérience amoureuse avant le temps. Le temps a passé. La jeune femme peut maintenant s’occuper de sa vigne et l’amour romantique du Cantique peut commencer la course qui conduira les bien-aimés jusqu’à l’acte d’amour suprême qui scellera leurs noces (4.16‑5.1).
Ronald Bergey, « La célébration de la sexualité: le Cantique des cantiques », La Revue Réformée 229 (disponible en ligne ici).
[1] : Andrew Hwang, « The New Structure of the Song of Songs and Its Implications for Interpretation », WTJ, 65, no. 1, 2003, p. 97-111. Dans son article « L’analyse rhétorique du Prologue de Jean revisitée* » (Studia Rhétorica 31, p.28), Roland Meynet souligne que « On aura peut-être été surpris par l’ordre de lecture suivi dans le paragraphe précédent, des extrémités vers le centre. C’est que beaucoup de constructions concentriques sont à lire, non pas de façon linéaire, mais justement de manière concentrique ».
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