La plupart d’entre nous voient le titre « Fils de l’homme » comme un titre désignant l’humanité de Jésus. Mais est-ce si simple ? L’expression « Fils de l’homme » renvoie-t-elle vraiment à l’humanité de Jésus lorsqu’on lit, par exemple : « Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur son trône glorieux. Toutes les nations seront rassemblées devant lui. Il séparera les uns des autres comme le berger sépare les moutons des chèvres » (Mt 25.31-32) ?
Il est vrai qu’interpréter le titre de « Fils de l’homme » comme signifiant « vrai homme » est l’interprétation traditionnelle. On la retrouve chez les Pères de l’Église et chez Jean Calvin. Cependant, les exégètes modernes ont souligné plusieurs difficultés dans cette lecture.
Premièrement, dans les évangiles, ce titre n’apparaît que dans la bouche de Jésus. Personne d’autre ne le désigne en utilisant l’expression « le Fils de l’homme ». Bien plus, la foule ne semble pas comprendre ce titre (Jn 12.34). Jésus, quant à lui, demande à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » (Mt 16.13), suggérant par là que la formule en dit plus que sa seule humanité.
Deuxièmement, ce titre n’apparaît que dans les évangiles (à l’exception de Ac 7.56), et à 69 reprises ! Les titres de Messie (ou Christ) et de Fils de Dieu, quant à eux, sont largement repris dans les épîtres. Comment expliquer que la formule « Fils de l’homme » ne soit pas reprise après le temps du ministère de Jésus ?
Enfin, comment expliquer que cette formule soit si souvent associée à des prétentions divines ? Jésus s’auto-désigne en effet comme « Fils de l’homme » lorsqu’il affirme son autorité pour pardonner (Mc 2.10 et //), lorsqu’il annonce sa mort et sa résurrection (Lc 9.22 et //), ou encore lorsqu’il parle du jour du Fils de l’homme (Lc 17.24, 26, 30 et //), rappelant ainsi le « jour de l’Éternel » annoncé dans l’Ancien Testament. Que peut alors bien signifier ce titre énigmatique ?
Jésus semble en fait s’être inspiré d’un texte de l’Ancien Testament pour se désigner par ce titre. Il s’agit de Daniel 7.13 : « Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’Homme ; il arriva jusqu’au Vieillard, et on le fit approcher en sa présence. » (TOB). L’interprétation traditionnelle a vu dans ce texte une prophétie messianique. En effet, le fils d’homme de Daniel représente un roi qui vient remplacer les rois symbolisés par les quatre bêtes (Dn 7.17).
Mais ce nouveau roi ne semble pas être un simple homme. Les « nuées du ciel », lorsqu’elles ont un sens symbolique dans l’Ancien Testament (c’est-à-dire lorsqu’elles ne désignent pas de véritables nuages), accompagnent bien souvent une manifestation de Dieu lui-même. Cela pourrait suggérer le caractère divin de celui qui vient « avec les nuées du ciel », « comme un Fils d’Homme ».
C’est d’ailleurs auprès du Vieillard que le fils d’homme se rend pour s’asseoir sur son trône (céleste). À ce titre, le parallèle avec Ézéchiel 1.26 est significatif : « Tout au-dessus de la voûte qui était au-dessus de leurs têtes, il y avait quelque chose qui avait l’aspect du lapis-lazuli et qui ressemblait à un trône ; et, au-dessus de ce qui ressemblait à un trône, ce qui ressemblait à l’aspect d’un être humain. » Dans ce texte, c’est Dieu lui-même qui « ressemblait à l’aspect d’un être humain » (voir aussi Dn 10.5, 16).
Des textes juifs de l’époque de Jésus (1 Hénoch, 4 Esdras, Sanhédrin 98a) confirment cette interprétation messianique de Daniel 7, et deux d’entre eux comprennent même le fils de l’homme comme un personnage divin (1 Hénoch 48.2-3 ; 52.7 ; 4 Esdras 12.32 ; 13.26).
Même si la formule exacte « le Fils de l’homme » ne semble pas avoir été utilisée dans un sens « technique » avant Jésus, un faisceau d’indices pointe dans la même direction : ce titre trouve sa source en Daniel 7.13, et il désignait déjà dans ce texte une figure messianique, voire un messie divin.
On comprend alors mieux les textes des évangiles où Jésus se désigne comme « le Fils de l’homme ». Il est effectivement, selon Daniel 7, celui qui s’associe au Vieillard pour juger, et qui a donc l’autorité de pardonner les péchés. Il est aussi celui qui, solidaire avec son peuple (« les saints du Très-Haut »), est persécuté par les nations païennes. Enfin, et de manière plus évidente, il est ce « Fils de l’homme » qui sera révélé dans sa gloire.
Mais on comprend mieux aussi que la formule ne soit plus utilisée dans le reste du Nouveau Testament. L’expression « Fils de l’homme » voile autant qu’elle dévoile. À travers elle, Jésus révèle son identité messianique, et certainement divine, tout en évitant les titres de « messie » ou « fils de Dieu » qui pouvaient prêter à confusion pour les Juifs de son temps. Mais une fois sa véritable identité pleinement dévoilée par sa mort et sa résurrection, les auteurs du Nouveau Testament ont préféré utiliser des titres moins ambigus que celui-ci.
Pour terminer, et simplement en guise d’ouverture, j’aimerais souligner l’enjeu apologétique d’une compréhension de « Fils de l’homme » comme quasi-synonyme de « Fils de Dieu ». Puisque ce titre apparaît 69 fois dans les évangiles, et presque systématiquement dans la bouche de Jésus, si c’est bien un titre divin on a alors une multitude d’occurrences qui montrent que Jésus s’était bien compris comme Dieu et affirmé comme tel.
C’est un argument de poids contre les exégètes qui estiment que la divinité du Christ n’est qu’une affirmation tardive des premières Églises (dans les lettres de Paul), ou contre les musulmans qui prétendent que Jésus n’a lui-même jamais affirmé sa divinité, et qu’au contraire, à travers son auto-désignation comme « Fils de l’homme », il aurait même nié être Dieu.
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