En France, jusqu’à présent, l’euthanasie et le suicide assisté sont interdits par la loi. Mais les choses sont en train de changer. D’une part, le Conseil Consultatif National d’Éthique, dans son avis n°139 rendu en septembre 2022, s’est montré favorable à une aide active à mourir, alors que jusqu’à présent il s’y était toujours montré opposé. D’autre part, la consultation citoyenne qui a eu lieu à l’hiver 2022-2023 a conclu, pour une très large majorité des participants, à une dépénalisation de l’aide active à mourir. Et il se peut, dès lors, qu’un projet de loi vienne prochainement sur la table, pour précisément dépénaliser l’euthanasie ou le suicide assisté.
Or un des arguments que l’on entend souvent dans le débat sur la fin de vie, chez ceux qui veulent autoriser l’euthanasie, c’est l’argument de la compassion : compassion envers la personne dépendante en fin de vie qui souffre terriblement, qui est seule, et du coup désir, par « compassion », d’abréger ses souffrances. Il me semble qu’il y a là un dévoiement de ce qu’est réellement la compassion, une parodie de l’amour tel que nous l’enseigne l’Évangile. En effet, l’amour auquel nous appelle l’Évangile n’est pas la compassion au sens où l’entendent les pro-euthanasie, mais un amour qui est lié à la vérité et à la justice, un amour exigeant qui, bien loin de nous amener à aider des personnes à mourir, va, au contraire, les accompagner et les entourer le mieux et le plus possible jusqu’à leur fin naturelle.
Ce qui est en train de se passer est d’autant plus paradoxal que nous avons la chance, en France, d’avoir une loi globalement bonne et sage. Cette loi, dite « Léonetti » en 2005 puis révisée en loi « Claeys-Leonetti » en 2016, répond en effet globalement bien aux situations de fin de vie, elle se met résolument du côté du patient, du soulagement de ses souffrances et du respect de sa volonté. En particulier, elle prévoit la possibilité de directives anticipées de la part du patient qui s’imposent au médecin (sauf exceptions). Ces directives peuvent par exemple exprimer le refus de tout acharnement thérapeutique (dit « obstination déraisonnable » aujourd’hui). Le patient peut aussi choisir d’arrêter tout traitement ou soins vitaux (comme l’alimentation et l’hydratation artificielles). La loi prévoit aussi, quand le pronostic vital du patient est engagé à court terme et que ses souffrances sont réfractaires à tout traitement, la possibilité d’une sédation profonde terminale (une sorte d’anesthésie générale). Elle prévoit enfin le développement des soins palliatifs, qui permettent précisément d’accompagner une personne de manière holistique (médicalement, psychologiquement, socialement voire spirituellement) quand tout espoir curatif est perdu.
Malheureusement, cette loi est non seulement insuffisamment connue (même des soignants !) mais aussi et surtout insuffisamment appliquée. En particulier, l’État n’a pas mis les moyens qu’il aurait dû mettre pour déployer les soins palliatifs, et on observe ainsi une large insuffisance du développement des soins palliatifs en France (tant en termes d’unités de soins palliatifs qu’en termes de « culture » palliative plus générale) avec, en plus, des inégalités territoriales.
Nous voilà donc face à un paradoxe (mais ainsi en va-t-il du péché !) : nous avons une loi globalement bonne qui n’est même pas encore pleinement appliquée et nous voici prêts à voter une nouvelle loi, qui serait pour le coup mauvaise. Nous plaidons donc pour une application effective de la loi présente, tout en disant qu’il faut mettre de l’argent sur la table pour cela (car cela coûte concrètement plus cher de développer les soins palliatifs que d’autoriser l’euthanasie).
En effet, en tant que chrétiens, on ne peut qu’être opposé à la dépénalisation de l’euthanasie et à l’autorisation de l’aide active à mourir, et cela pour au moins trois raisons. D’une part, la dignité fondamentale de l’être humain, car créé en image de Dieu, de sa conception à sa mort. Dit autrement, une personne âgée dépendante n’est pas moins digne qu’un trentenaire dans la force de l’âge. Ce n’est pas la force, l’utilité ou l’autonomie qui fondent notre dignité, comme nous le laisse entendre insidieusement la société. En effet, d’où vient donc le fait que des personnes âgées dépendantes se sentent indignes car « inutiles », et même être un « poids » pour les autres ? D’autre part, le chrétien croit qu’il existe des interdits symboliques fondamentaux tel que l’interdit du meurtre. Il convient sérieusement de s’interroger sur le genre de société que l’on devient quand on se met à légaliser officiellement le meurtre. À vrai dire, la question se pose déjà avec l’avortement. À nouveau, nous sommes confrontés à un paradoxe : depuis 1981, la France a aboli la peine de mort au nom du respect de la vie (même d’un coupable !), et elle en est très fière ; or, voici qu’elle risque d’autoriser le meurtre « d’innocents »[1] ! Dans quelle société sommes-nous donc ? Enfin, troisième raison : nous croyons que notre vie et notre mort ne nous appartiennent pas, qu’elles appartiennent à Dieu seul, lui le Créateur et le Souverain. Dit autrement, autoriser l’aide active à mourir, c’est un peu comme se mettre à la place de Dieu. Il y a de l’idolâtrie dans l’air…
Tout cela étant dit, il nous faut réellement, par amour, entendre la souffrance des personnes âgées en fin de vie, ou très gravement malades, et la manière dont on meurt le plus souvent aujourd’hui. Nous sommes en effet bien loin de l’image d’Épinal du grand-père mourant chez lui dans son lit, entouré de l’affection de ses enfants et petits-enfants, disant quelques dernières paroles et « s’endormant » paisiblement dans la mort. Non. Aujourd’hui, la plupart des personnes meurent loin de leur cadre familier, en hôpital ou en EHPAD, et malheureusement souvent seules. Nous devons donc entendre cette souffrance et cette solitude qui est une forme d’injustice, injustice que les prophètes de l’ancienne alliance ont tant décriée face à la situation des veuves, des orphelins, des immigrés, donc de personnes vulnérables du fait de leur solitude. L’amour nous engage donc à chercher à diminuer au maximum possible les souffrances des personnes en fin de vie et à les entourer. Il a en effet été montré que seules 3 % des personnes âgées ayant exprimé au départ un désir d’euthanasie le maintenait quand tout était mis en place médicalement, affectivement et spirituellement pour les accompagner. C’est significatif et cela devrait nous encourager.
En effet, comme le dit si bien le penseur catholique Emmanuel Mounier : un « NON » implique toujours un « OUI » encore plus exigeant. Nous évangéliques, concédons-le, sommes souvent prompts à condamner ceci ou cela. Mais à quoi disons nous « OUI » ? Que faisons-nous à la place ?
Voici donc, avec le défi de la fin de vie, un grand défi social à relever pour nous chrétiens là où Dieu nous a placés !
[1]Bien entendu, tout le monde est coupable en ce que nous sommes tous pécheurs.
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