« Saluez Andronicus et Junias, mes parents et mes compagnons de captivité. Ce sont des apôtres éminents et ils ont même appartenu au Christ avant moi. » (Romains 16.7 TOB)
De quel « apôtre éminent » Paul fait-il l’éloge ici ? Junia, une femme (Bible du Semeur, Bayard, Bible pastorale) ou Junias, un homme (Darby, Jérusalem, TOB, Segond, Synodale) ? En grec le choix entre un nom féminin ou masculin dépend de l’accentuation. Or rappelons-nous que les manuscrits grecs du NT ne sont pas accentués avant le 7ème ou 9ème siècles.
La compréhension de ce nom au féminin a été dominante pendant au moins le premier millénaire de la chrétienté. Des éditions très réputées du NT grec offrent aussi l’accentuation féminine : l’édition d’Érasme en 1516, celle de Tischendorf (8ème édition 1869-1872), de Westcott et Hort (1881).
Face à cette armée de témoins, quels manuscrits présentent une accentuation indiquant un nom masculin ? Pas un, absolument aucun. Il faut attendre le 13ème siècle pour trouver un écrit attestant le nom masculin Junias (Gilles de Rome, philosophe et théologien italien, 1247-1316).
Citons également Épiphane (315-403) auteur d’un Index des Disciples dans lequel il liste Junia comme « un de ceux dont Paul fait mention (et) qui devint évêque d’Apamée de Syrie ». Puisque Épiphane use du masculin (« un de ceux ») pour évoquer Junias, John Piper et Wayne Grudem[1] en concluent que pour Épiphane, Junias est bien un homme. Toutefois, ces auteurs rappellent que dans son ouvrage, Épiphane considère également que Priscilla est un homme, ce qui rend son témoignage « fortement suspect »[2].
Allons plus loin dans l’argumentation en faveur d’un nom féminin. Non seulement la tradition textuelle des manuscrits bibliques atteste un nom féminin mais aussi l’onomastique (la science des noms) :
Devant tant de preuves en faveur d’un nom féminin, certains commentateurs finissent par être d’accord pour lire un nom féminin mais, ou bien contestent le sens du mot « apôtre » ou bien modifient la traduction de la fin de la phrase : Junia avec Andronicus ne sont plus « éminents (episēmoi) parmi les apôtres » mais « bien connus des apôtres ».
Or cette traduction pour episēmos n’est pas attestée (voir les lexiques grecs Liddell-Scott-Jones ou celui de Bauer et Danker).
Il semble donc bien plus raisonnable d’accepter les preuves du texte en faveur d’un nom féminin et de considérer Junia comme une femme apôtre remarquable.
La présence de cette femme apôtre Junia en Romains 16 ainsi que les autres femmes qui y sont saluées offre une perspective rafraîchissante sur les églises du 1er siècle. Il montre la liberté dont bénéficiaient les chrétiennes de la première génération, à l’image de l’attitude de Jésus envers les femmes de son époque.
[1] J.PIPER et W.GRUDEM. « An overview of central concerns », dans PIPER et GRUDEM (sous dir.), Recovering Biblical Manhood and Womanhood, p. 79-80 et p. 479 note 19.
[2] Expression de Eldon J. EPP, Ibid, 2002, p. 252. Voir aussi Douglas MOO, The epistle to the Romans, Eerdmans, p. 922 note 31.
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