Le regard des Juifs sur la Bible n’est pas si évident à comprendre que cela. Les Juifs comme les chrétiens considèrent la Bible comme un livre essentiel. Mais, alors que les chrétiens lui remettent l’autorité de la Parole de Dieu, les Juifs sont plus mitigés sur son importance. Voici quelques clés qui aident à comprendre ce rapport complexe des Juifs à la Bible.
Il est nécessaire de faire la différence entre le judaïsme antique, celui de la Bible, et le judaïsme rabbinique, celui de la religion juive. En effet, on peut voir assez facilement un décalage entre la Bible et le judaïsme – plus précisément, entre le judaïsme de la Bible et ce que le judaïsme rabbinique dit sur la Bible. En fait, en lisant la Bible, on ne connaît pas tout le judaïsme. D’autant plus que le judaïsme a toujours été très divers. Nous parlons donc, ici, des Juifs au sens général.
La « Bible » pour les juifs (aussi appelée « Bible hébraïque ») est l’équivalent de l’Ancien Testament mais les livres sont ordonnés de façon différente que dans les Bibles chrétiennes. Cette Bible est souvent comprise, à tort, comme un livre fondateur de la culture juive. Mais les Juifs y voient plutôt l’origine de la civilisation occidentale et judéo-chrétienne. Pour eux, ce n’est pas la Bible qui est à l’origine de l’identité juive, mais plutôt la judéité (un ensemble de critères identitaires). Comme la Bible n’appartient pas qu’au judaïsme, l’identité juive ne se résume pas à la Bible.
C’est surtout la pluralité de la Bible, le fait qu’elle soit si diverse en livres, en genres et en bien d’autres choses, qui est perçue comme une hétérogénéité et un manque de stabilité et d’unité. Jean-Christophe Attias, expert en la matière, lui-même juif, auteur de Les Juifs et la Bible et de nombreux autres ouvrages sur ce sujet, voit dans le Livre une disparité au lieu d’une richesse, un éclatement au lieu d’une diversité cohérente.
Comme la Bible n’appartient pas qu’au judaïsme, l’identité juive ne se résume pas à la Bible.
Le statut de la Bible est encore plus débattu lorsqu’il est sous la forme de la Septante (traductions de la Bible hébraïque en grec). La traduction de la Bible hébraïque pose problème pour les Juifs qui y voient une assimilation du texte sacré à d’autres cultures, voire d’autres religions. Certains le perçoivent comme un partage culturel, d’autres comme une rupture avec les origines juives. Attias y voit la marque d’une sécularisation de la Bible.
Pour un Juif, la Bible des chrétiens n’est pas celle des Juifs. Attias critique en particulier une appropriation et une interprétation chrétienne du texte juif tout au long de l’histoire de l’Église. On assiste à la « christianisation » des Écritures (p.133). Les chrétiens semblent imposer un sens à un texte qui ne leur appartenait pas, ni ne leur était destiné. En plus, ils voient dans l’interprétation juive un aveuglement.
On assiste à la « christianisation » des Écritures.
Attias (p.133)
Malgré sa dépréciation, la Bible a bien une place dans le judaïsme, notamment à cause de la Torah (la Loi résumée dans le Pentateuque). La Loi concentre l’essentiel de la Bible et elle a l’autorité principale. Tout débute avec elle et tout découle d’elle. Les nombreux objets (tefillin, mezuzah, etc.) et rites religieux sont là pour le rappeler. Malgré le fait que la place de la Bible n’est pas primordiale, elle a quand même un rôle à jouer de par sa reconnaissance généralisée. C’est une véritable tension : ce n’est pas parce que la Bible est centrale qu’on s’y intéresse, c’est seulement parce qu’elle a un rôle indispensable à la constitution du judaïsme.
Dans la pratique, les Juifs ne butent pas sur le fait que le texte puisse être incompréhensible. On constate dès lors que la Bible est plus considérée comme un texte liturgique et un ouvrage pour l’éducation des enfants. Il n’est pas forcément l’objet d’études approfondies. Certes, il y a des sermons basés sur le texte biblique qui ont pour objectif de l’interpréter en vue d’exhorter les Juifs à avoir une morale pratique. Mais le lien avec ce texte n’est pas toujours évident.
C’est avec les spécialistes que l’étude se fait. L’exégèse semble être le moyen de la résurrection de la Bible. Mais Attias critique la multitude des commentaires. À force de commenter, on s’éloigne du texte vers nos propres idées. La mise en page de la Bible rabbinique « Grandes Lectures » (Mikraot Gedolot) du XVIème siècle montre bien l’accumulation des interprétations. Il est difficile d’y voir une Bible valorisée mais plutôt une Bible usée, à cause de tant de commentaires.
« Grandes Lectures » (Mikraot Gedolot)
C’est une idée reçue de croire que les Juifs ont comme livre notre Bible chrétienne sans le Nouveau Testament. En fait, ils ont d’abord le Talmud (le commentaire de la Mishna), la Mishna (la Loi orale mise à l’écrit) et en plus la Bible hébraïque, qui vient en troisième position. Face au christianisme, la réaction des Juifs a été de se réapproprier la Bible, mais de manière indirecte en se concentrant sur la Loi orale. C’est cette Loi orale qui rend le judaïsme unique. Elle a une autorité suprême et supérieure à la Bible. En fait, c’est au travers du Talmud que la Bible peut vivre. La tradition juive n’est pas fondée sur la lecture de la Bible mais sur la Loi orale. Pourtant certains Juifs, nommés « karaïtes », essayent quand même de revenir à la centralité de la Bible à contre-courant de la tendance du judaïsme actuel. Des sortes d’évangéliques juifs ! Mais eux-mêmes proposent un autre Talmud. Tout ne se résume donc pas à la Bible dans l’histoire du judaïsme…
C’est au travers du Talmud que la Bible peut vivre.
Cette vision de la Bible est bien étrangère à celle des chrétiens et à celle de Jésus lui-même. D’autre part, ces conclusions ne prennent pas en compte la richesse de la Bible hébraïque quand elle est mise en lumière par le Nouveau Testament. Quand les Juifs voient en Jésus une appropriation chrétienne, les chrétiens y perçoivent l’accomplissement de toute la Bible hébraïque. Ces quelques clés nous aident cependant à découvrir ou redécouvrir la vision des Juifs sur la Bible, importante mais pas centrale, essentielle mais pas fondatrice.
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