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La foi amputée

La piété, la doctrine et l’implication pastorale ou pratique ont nourri le ministère des Réformateurs du XVIème siècle et de leurs héritiers. Chez Luther comme chez Calvin, ces trois réalités sont toujours présentes et indissociables ; chez nous aujourd’hui, elles ne sont pas toujours présentes et sont souvent dissociées. Or, que vaut la doctrine sans la piété ? Et la piété sans la doctrine ? Et l’un ou l’autre – et même les deux – sans les implications pastorales ? Quelque page que vous lisiez des Réformateurs, vous y trouvez ces trois éléments mêlés l’un à l’autre, comme trois dimensions d’une même réalité, d’un même engagement.

1. La piété.

Je mentionne Martin Luther[1] : “Aujourd’hui, il est devenu banal de bavarder sur la foi ; mais comprendre ce qu’est la foi est impossible si on n’a pas prêché d’abord la vertu de la pénitence [la repentance]. Qui célèbre la foi en oubliant la pénitence, la doctrine de la crainte de Dieu et de la Loi et en conduisant ainsi à une folle et superficielle sécurité charnelle, adopte une position d’esprit pire que celle que constituent les erreurs papales.”

Que le même prédicateur annonce la crainte de Dieu et la grâce abondante, c’est ce qui maintiendra à l’Évangile sa puissance transformatrice. Je rappelle cette belle parole de Calvin[2] que l’on dépeint trop souvent comme un cérébral : « la connaissance de Dieu consiste plus en vive expérience qu’en vaine spéculation. »

La connaissance de Dieu consiste plus en vive expérience qu’en vaine spéculation.

Calvin

2. La doctrine.

Luther dénonçait les prédicateurs “qui racontent des historiettes car cela provoque l’admiration des gens. Il y a beaucoup de prédicateurs fort éloquents, mais il n’y a rien dans ce qu’ils disent, que des mots. Ils sont fort capables de bavarder, mais non d’enseigner”.

En prêchant de manière suivie sur le texte biblique, Calvin voulait que le prédicateur soit le serviteur de la Parole de Dieu tout entière. Dans sa prédication, il désire appliquer “tout le conseil de Dieu” (Ac 20.27) à chaque aspect de la vie humaine. Une telle application de l’enseignement biblique avait pour effet d’appeler tous ceux qui se plaçaient sous l’autorité d’un tel enseignement à une repentance à la fois morale, doctrinale et intellectuelle, de telle sorte que “toute la pensée soit amenée captive à l’obéissance de Christ” (2 Co 10.5).

Cela signifie-t-il que la foi puisse se résumer à l’adhésion à un corps de doctrines ? Loin de là ! Cela implique-t-il une lecture littérale de l’Écriture? Non. Une construction théologique fidèle à l’Écriture est non seulement possible mais elle est nécessaire, ce que Calvin résume en une phrase remarquable : “Toutes les doctrines sont importantes, mais toutes ne sont pas aussi importantes”. De la doctrine comme de la piété découle la marche chrétienne. Que sert-il de croire une chose de toutes ses forces, si elle n’est pas juste ?

3. L’implication pastorale.

Écoutons ce que dit Martin Luther (Propos de table) : “La théologie est surtout pratique ; elle ne consiste pas en spéculations ou à réfléchir, selon notre raison, aux choses de Dieu…”. Pour Calvin, le prédicateur doit d’abord appliquer le texte à sa propre vie. Il écrit : “Il vaudrait mieux au prédicateur de se casser la nuque en montant les marches de la chaire, si en premier il ne se donne la peine de suivre Dieu. Je parle à l’assemblée de telle manière à ce que mon enseignement s’adresse d’abord à moi-même”.

Un professeur de théologie devait prêcher devant le prince et il demanda à Luther de lui indiquer comment il devait le faire. Luther lui dit : “Tous tes sermons doivent être le plus simple possible. N’aie point en vue le prince, mais les simples, les gens pas très intelligents, grossiers et incultes. Peu importe de quelle étoffe est le prince. Si dans mes sermons je n’avais en vue que Philippe Mélanchton et autres docteurs, je ne ferais rien de bon. Je prêche à des gens ignorants de la manière la plus simple, et cela convient à tout le monde. Quand je monte en chaire, je ne pense qu’à prêcher pour les valets et les servantes”.

Pour les Réformateurs, chaque chrétien devait connaître les implications de sa foi, et cela nécessitait une réelle connaissance de la Bible. Il s’agissait d’équiper les croyants pour qu’ils vivent en chrétiens dans cette société. Les prédicateurs devaient ainsi présenter de manière développée les implications, tant dans la vie spirituelle que dans la conduite chrétienne pratique. Outre cet aspect pratique, la prédication contenait aussi des éléments polémiques, dénonçant sans relâche les erreurs.

Ce souci de communiquer à tous se démontre par l’importance des catéchismes. “Ce qu’il faut avant tout dans l’Église, c’est un bon catéchisme, sans phrases, court et simple”, écrit Luther (1526).

Ce qu’il faut avant tout dans l’Église, c’est un bon catéchisme, sans phrases, court et simple

Luther

En avril 1529 paru le texte allemand du Grand catéchisme. En juillet paru le Petit catéchisme. Le plan des deux catéchismes est le même. Le Petit catéchisme devait servir de manuel aux chefs de famille et aux pasteurs. L’esprit qu’on y trouve est empreint de simplicité et de bonhomie. Après la prière du matin, on lit : “Mets-toi ensuite au travail avec joie, en chantant un cantique” ; et après celle du soir : “Et puis, endors-toi vite et dors bien”. Que c’est beau !

 

[1] Les citations de Luther sont extraites de ses Propos de table.

[2] Les citations de Calvin sont extraites de son Institution de la religion chrétienne

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Charles Nicolas a effectué ses études à Aix-en-Provence (1975-1981). Il est pasteur de l'Union des églises réformées évangéliques. Il a alterné des temps de ministère classiques et des temps de ministère en aumônerie : aumônerie aux Armées et, actuellement, aumônerie hospitalière à Alès, dans le Gard. Depuis 4 ans, il a également un ministère d'enseignant itinérant.

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