Les Points chauds organisés par le centre de formation mennonite du Bienenberg ont abordé le 15 février 2020 la question particulièrement clivante du ministère féminin en faisant débattre Guillaume Bourin (GB) et Marie-Noëlle Yoder (MNY), représentant respectivement les positions complémentariste et égalitarienne, sur le thème : « Une femme peut-elle être pasteure ? » Les enregistrements des exposés et du débat de cette rencontre sont disponibles sur le site du centre de formation et les arguments de GB sont consultables sous forme écrite, en plus de leur forme audio, sur son blog Le bon combat.
L’accès à ces ressources contribuera certainement à diffuser –voire à populariser– dans le monde francophone certains aspects de l’arsenal argumentaire déployé de part et d’autre. L’exercice de synthèse brillant auquel se livrent les deux intervenants montre l’importance d’une juste interprétation des textes bibliques sur lesquels repose leur réflexion.
Il paraît donc utile d’accorder un intérêt particulier à Gn 1.26-27, l’un des textes clés de ce débat sur le ministère féminin, où les complémentariens trouvent exprimée la différence entre hommes et femmes permettant d’affirmer le caractère essentiellement masculin du leadership et où les égalitariens trouvent exprimée une responsabilité de direction équivalente aux deux sexes.
GB et MNY s’accordent à penser que Gn 1.6-27 fonde l’égalité ontologique (c’est-à-dire de l’être) de l’homme et de la femme. Homme et femme sont en effet présentés dans ces versets comme constituant tous les deux ensemble le point culminant de la création. Il n’apparaît aucune différence fonctionnelle entre l’un et l’autre à cet endroit du récit. Au contraire, homme et femme sont associés sans hiérarchie dans le décret divin de dominer le reste de la création (v.26) et le commandement, également exprimé par Dieu, de peupler et dominer la terre (v.27).
Au contraire, homme et femme sont associés sans hiérarchie dans le décret divin de dominer le reste de la création (v.26) et le commandement, également exprimé par Dieu, de peupler et dominer la terre (v.27).
Malgré cela, GB introduit une nuance en affirmant : « L’auteur utilise donc un nom propre masculin [ʼādām] pour désigner une humanité pourtant mâle/femelle. Je ne veux pas appuyer trop fortement sur ce détail, mais il préfigure nettement certains aspects du chapitre 2 qui établissent la responsabilité de direction de l’homme au sein du couple primordial. » Sans doute faut-il comprendre ici que l’utilisation du même mot ʼādām pour désigner l’être masculin et l’humanité en général introduit, malgré leur égalité ontologique, une distinction entre homme et femme en matière de direction. Mais on ne voit pas d’emblée comment cet élément lexical établirait dans ces versets la prééminence de l’homme sur la femme en ce domaine. L’usage du mot ʼādām au v.26 est clairement inclusif comme le montre le passage du singulier au pluriel : « Et Dieu dit : Faisons l’homme (singulier) à notre image … et qu’ils (pluriel) dominent sur… » La même remarque vaut pour le v.27 : « Et Dieu créa l’homme [ʼādām] à son image ; il le (singulier) créa à l’image de Dieu ; il les (pluriel) créa mâle [zākār] et femelle. » Souligner cette alternance entre singulier et pluriel et en même temps adopter « volontairement ici un langage non inclusif », comme l’assume GB, va donc à l’encontre de ce que le texte exprime. D’autant plus que ʼādām n’est pas réutilisé au v.27 pour qualifier l’homme. C’est zākār qui est employé pour expliciter l’unique différence que le texte établit entre homme et femme, une différence qui ne revêt aucun caractère fonctionnel puisqu’elle ne fait que distinguer leur sexe.
Gn 5.2 unit l’homme et la femme dans leur humanité en les appelant tous les deux ʼādām et en répétant qu’ils sont l’un et l’autre créés à l’image de Dieu.
Il semble même délicat que l’analyse effectuée par GB prenne, pourrait-on dire, le texte biblique à rebours, car le rôle masculin de direction qu’il suppose en Gn 1 est en réalité la rétroprojection d’un rôle d’autorité repéré en Gn 2, principalement à partir du fait que la femme soit tirée de l’homme et que l’homme puisse nommer la femme. Selon GB, ces deux points sont liés dans la mesure où l’origine de la femme explique que « son nom [soit] défini au regard de celui de l’homme » : « On l’appellera femme [ʼiššā] parce qu’elle a été prise de l’homme [ʼiš] » (2.23). L’utilisation des termes génériques ʼiššā/ʼiš tend plutôt à exprimer le caractère identique de l’homme et de la femme.
Il semble même délicat que l’analyse effectuée par GB prenne, pourrait-on dire, le texte biblique à rebours, car le rôle masculin de direction qu’il suppose en Gn 1 est en réalité la rétroprojection d’un rôle d’autorité repéré en Gn 2
Il convient par ailleurs de remarquer que, ici, l’homme ne nomme pas vraiment la femme. Il le fait clairement en 3.20. Les propos de l’homme sonnent plutôt comme un constat de la similarité de la femme avec lui, ce qu’expriment bien ses propos : « Voici enfin l’os de mes os et la chair de ma chair. » D’autre part, nommer la femme n’apparaît pas comme un signe spécifique d’autorité. En l’appelant Ève (de ḥawwā, « vivant »), l’homme qualifie le rôle que la femme, « mère de tous les vivants », va jouer dans le cadre du mandat confié par Dieu à l’être humain de peupler la terre (1.28).
S’il y a une distinction ontologique à relever entre l’homme et la femme, elle est donc uniquement attachée à leur altérité sexuelle, aucunement à leur responsabilité. Leur création à l’image de Dieu implique une responsabilité égale et partagée dans la gérance du monde qui leur est confiée. Le verbe « dominer » (rādā) a le sens de « gouverner » et est régulièrement utilisé dans la Bible pour désigner une tâche politique ou administrative (Nb 24.19, 1 R 5.4.30, 9.23, Ps 68.28, 72.8, 110.2). Cette responsabilité conjointe homme/femme est tout autant engagée dans leur soumission à la volonté divine que dans leur transgression (ce que souligne MNY 24’). Cela invite à penser que c’est le péché qui perturbe l’ordre créationnel et qui introduit une subordination de la femme à l’homme (3.16).
Il semble donc difficile d’utiliser Gn 1.26-27 comme argument déterminant pour légitimer une différence entre rôles masculin et féminin qui aurait été instituée par Dieu dès l’origine. La distinction fonctionnelle homme/femme et la subordination de la femme qu’elle suppose doivent trouver un autre appui que ce texte.
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