Notre histoire

La sécularisation, c’est quoi ?

Aujourd’hui, on dit qu’on vit dans un monde séculier, qu’on a un emploi séculier, qu’on est dans une période post-séculière. Mais qu’est-ce que ce terme veut dire et d’où vient-il ? Au fond, qu’est-ce que la sécularisation ? Continuons la réflexion de Marc Derœux dans son article Sécularisme… et sécularisation dans nos Églises et faisons le point. Pour cela, il faudra faire appel à quelques sociologues de la religion.

En bref

La sécularisation est un concept multiple. Elle est souvent perçue comme le déclin de la pratique religieuse individuelle. Mark Chaves y voit plutôt le déclin de l’autorité religieuse en société qui se caractérise par le déclin de l’influence des valeurs religieuses et de l’institution religieuse. Pour Karel Dobbelaere, il y a trois dimensions dans la sécularisation : la laïcisation de la société où l’État s’émancipe du pouvoir religieux. La religion devient ainsi un domaine parmi tant d’autres (la politique, les sciences, l’éducation, etc.) qui ont leur propre autonomie, référence, fonctionnement, voire idéologie. C’est un processus sociétal. Il parle ensuite d’une sécularisation interne à la religion elle-même qui se conforme au milieu séculier qui l’entoure, c’est un processus religieux. Pour finir, il montre un déclin de l’engagement religieux au niveau du citoyen, et là c’est un processus individuel.
La sécularisation fait écho au processus juridique et administratif qui s’est produit quand les biens de l’Église passaient dans le domaine civil : une forme de nationalisation des possessions de l’Église catholique romaine. C’est une manière de décrire la dynamique générale du passage d’un État religieux à un État séculier. Bien entendu, cela se traduit par une perte d’influence de la religion dans la société qui est remplacée par une pensée scientifique, rationnelle et moderne.

Les origines du mot

L’étymologie du mot dérive du mot latin saeculum qui signifie « siècle », « époque » ou « âge ». C’est dans ce sens que des auteurs de l’Antiquité tels que Cicéron ou Virgile utilisaient ce mot. Au temps d’Augustin et des Pères de l’Église, il avait une connotation temporelle. Il faisait référence au monde présent de Romains 12.2 opposé au monde à venir (eschaton). Au Moyen-Âge, la sécularisation concernait un moine qui renonçait à appartenir à un ordre monastique. C’était son retour dans le monde non religieux. Puis, à la Réforme, le terme de sécularisation s’appliquait aux biens de l’Église qui devenaient désormais possessions de l’État. En fait, la fin du XIXe siècle marque une véritable émancipation des sociétés vis-à-vis du contrôle ecclésial, elles deviennent « séculières ».

En France, la sécularisation se matérialise avec la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905.

En France, la sécularisation se matérialise avec la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Bien qu’elle garantisse la liberté des cultes, elle consistait à dissocier l’Église des pouvoirs publics. Suite à la Révolution française, un mouvement de laïcisation de l’État s’est mis en place pour rendre les autorités publiques autonomes vis-à-vis de l’Église : c’était vécu comme une déchristianisation de la France.

La théorie de la sécularisation : à retenir ?

Ce changement de la place du religieux a poussé des sociologues à formuler une première théorie de la sécularisation. La thèse est simple : le monde moderne est incompatible avec la croyance religieuse, celle-ci est donc amenée à disparaître progressivement. Cette théorie semble aller avec le constat d’une chute de la religion chrétienne en Europe. Beaucoup d’Églises se ferment, les connaissances religieuses sont de plus en plus rares, la tendance de la pratique religieuse est décroissante. Au milieu du XXe siècle, les personnes ayant une religion étaient majoritaires. Aujourd’hui, on assiste au phénomène inverse. Malgré son passé chrétien, l’Europe occidentale n’est plus le cœur du christianisme.

Ce n’est donc pas évident que la religion va disparaître et que le christianisme n’est pas voué à mourir.

Toutefois, la théorie de la sécularisation n’est plus retenue par la majorité des sociologues. Elle est critiquée par Peter Berger qui a lui-même aidé à l’élaborer. Il en vient à dire que le « monde aujourd’hui, avec quelques exceptions […] est aussi intensément religieux qu’il n’a jamais été, et à certains endroits plus que jamais » ! Cette théorie ne tient plus avec les récents constats d’un regain d’intérêt religieux que nous observons même dans les pays sécularisés. Les sociologues font aussi remarquer les limites des statistiques qui ne peuvent prendre en compte l’intérêt spirituel chez des personnes se disant non croyantes. Ce n’est donc pas évident que la religion va disparaître et que le christianisme n’est pas voué à mourir. Dieu est à l’œuvre dans le monde qu’il soit séculier ou pas et l’Évangile produit de l’effet dans le cœur de l’être humain (Es 55.11). L’Église a survécu à de nombreux environnements plus ou moins hostiles à la foi et elle tiendra aussi au sein du nôtre.

Une chance ou un obstacle pour la foi chrétienne ?

En général, la sécularisation est quelque chose de positif pour les non-croyants alors qu’elle est souvent connotée négativement par les croyants. Mais est-ce justifié ? Est-ce que l’on mesure vraiment ce qui se cache derrière ce phénomène ? Le fait que la théorie de la sécularisation ne soit pas retenue donne de l’espoir pour la foi chrétienne. On dirait bien que la sécularisation est plus qu’un simple obstacle à la religion. Dans la réalité, c’est vrai que les effets d’une sécularisation poussée à l’extrême se font plus ressentir que ses côtés positifs. Toutefois, il est important de rappeler l’essence de la sécularisation et ce qu’elle peut produire en société. En effet, elle peut être un terreau pour de nouvelles formes de religion et une opportunité pour vivre une foi chrétienne authentique. Danièle Hervieu-Léger pense que la crise du religieux suscitée par la sécularisation peut être une opportunité pour arriver à un christianisme « adulte » libéré de ses rigidités et renouvelé par l’authenticité de son message.
Ainsi, on peut rejoindre ce qu’a été affirmé lors de la conférence missionnaire de Mexico en 1963 :

« Nous ne sommes ni optimistes, ni pessimistes au sujet de la sécularisation, qui ne doit pas être jugée uniquement d’après le critère de ce qu’elle fait à l’Église. La sécularisation ouvre aux hommes des possibilités de liberté ou d’esclavage nouveaux. Certes, nous savons qu’elle crée un monde où il est facile d’oublier Dieu, d’abandonner toutes les pratiques religieuses traditionnelles et de perdre tout sentiment du sens et du but de la vie. Nous sommes cependant irrésistiblement convaincus que la mission de l’Église ne consiste pas à chercher le côté sombre des choses et à offrir l’Évangile comme antidote contre les désillusions. Nous croyons qu’actuellement nos Églises ont beaucoup plus besoin d’encouragements que de mises en garde pour se mener à la lutte. Il serait inconvenant de parler des problèmes que posent les richesses, les loisirs trop nombreux, etc., à des hommes dont le dos se brise sous des fardeaux que nous n’avons jamais eus à porter. »

Pour aller plus loin :

Danièle HERVIEU LEGER et Françoise CHAMPION, Vers un nouveau christianisme ?, 2e éd., Paris, Cerf, 1986.

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Après avoir fait une école biblique aux États-Unis ainsi qu’un stage dans une ONG au Canada, Emmanuelle a décidé de se former à la Faculté Libre de Théologie Évangélique en vue d'exercer un ministère en France. Elle aime occuper son temps libre en écoutant du Gospel et manger des plats pimentés.

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