L’accompagnement des personnes dans l’Église, qu’on appelle diversement accompagnement pastoral, relation d’aide ou autre, occupe une certaine part du temps des pasteurs et autres responsables chrétiens. Cet accompagnement prend la forme de « dialogue pastoraux », souvent dans le cadre d’entretiens suivis, et vise à permettre à quelqu’un qui traverse des difficultés intérieures, relationnelles, spirituelles ou autres, d’entrer dans un cheminement constructif.
Mais il y a débat. Cet accompagnement nécessite-t-il des ministères « spécialisés », qu’ils soient ceux de pasteurs, d’accompagnants ou autres, ou bien est-il l’affaire de tous (« les uns les autres ») et relève-t-il du fonctionnement ordinaire de la communauté chrétienne ?
Pour comprendre le débat, nous allons mettre en présence des positions opposées, tout en sachant qu’il existe des positions intermédiaires, et qu’elles ont des chances d’être les meilleures voies…
L’époque moderne est marquée par l’individualisme, on le sait. Les époques antérieures étaient caractérisées par un fonctionnement social beaucoup plus collectif où, selon certains, l’Église était collectivement responsable des âmes des fidèles, avant que cette responsabilité ne soit confiée à des individus spécialistes.
Larry Crabb, dans son livre Connectés les uns aux autres, exprime l’évolution qu’il a connue : après avoir proposé des méthodes et cherché à former des spécialistes de l’accompagnement, il a redéfini sa perception du problème humain et des solutions qu’on peut y apporter[1]. Le problème humain, dit-il, est foncièrement un problème relationnel. L’âme humaine aspire à la communauté ; et en l’absence de relations communautaires satisfaisantes, l’âme souffre cruellement ; elle cherche un apaisement que la communauté seule peut lui donner, sinon elle meurt (p. 10). « La cause réelle de nos luttes provient d’une âme déconnectée » (p. 1).
L’âme humaine aspire à la communauté.
La relation d’aide ne consiste donc pas à confier les problèmes humains à des spécialistes, mais à confier l’âme humaine souffrante aux « tendres soins que seule une communauté de gens connectés entre eux [liés entre eux par des relations fortes] peut apporter » (p. 11).
Edward T. Welch, également bien connu par ses livres traduits en français, écrit : « À notre époque, on consulte des experts, des professionnels et des spécialistes. Or, la réalité, c’est qu’il y a très peu d’experts parmi ceux qui nous aident. Le plus souvent, ce sont des amis, des gens ordinaires que nous côtoyons au quotidien. L’aide offerte par des amis est la meilleure qui soit. Ils éprouvent déjà de la compassion et de l’amour envers nous. Tout ce qu’il leur faut, c’est un peu de sagesse, chose qui est accessible à tous[2]. »
D’autres formes d’argumentations existent en faveur de cette pratique collective. Certains pensent que la proximité fraternelle qui existe dans l’Église entre les personnes ne permet pas d’intervention de type accompagnement pastoral ou relation d’aide ; et d’autres estiment que le fonctionnement normal de l’Église suffit à réguler les problèmes, ou qu’il ne relève pas du travail des pasteurs de pratiquer ce genre de chose.
Dans tous les cas, la conclusion est à peu près la même : tout le monde est concerné ; l’Église dans son ensemble se préoccupe de ses membres ; le fonctionnement ordinaire de l’Église permet aux membres en difficulté d’avancer.
De l’autre côté, on valorise l’intervention d’acteurs formés, que ce soit des pasteurs ou d’autres « accompagnants » ou visiteurs, pour le suivi des personnes. Là encore, les auteurs ne se limitent pas à la position indiquée et admettent volontiers le rôle de l’assemblée. Leur avis peut être ainsi formulé : peut-on s’attendre à ce que le chrétien ordinaire, sans formation particulière, sans conscience particulière des difficultés et enjeux de la pratique, soit capable de réagir positivement et utilement aux difficultés de personnes qui traversent des épreuves complexes sur le plan spirituel, émotionnel, relationnel, etc.
D’autres ajoutent tout simplement ceci : « Vous dites que la communauté dans son ensemble peut être un lieu de guérison, mais avant de guérir, il faut dire que la communauté peut aussi faire souffrir. » « Dans beaucoup des problèmes qu’on dit individuels, la communauté d’où viennent les personnes joue un rôle central dans la naissance ou la continuité de la difficulté. Parallèlement, la communauté peut faire partie de la résolution du problème[3]. »
Quelques personnes, qui ne prennent pas nécessairement part au débat, font remarquer qu’à l’occasion de périodes de souffrance, elles ont reçu, de la part de la communauté chrétienne, non pas des encouragements mais des paroles blessantes, qu’on leur a parfois tout simplement dit des bêtises…, ce qui suggère que la communauté chrétienne n’est pas nécessairement compétente pour venir en aide à ses membres.
La communauté chrétienne n’est pas nécessairement compétente pour venir en aide à ses membres…
L’article de Corinne Poëtte, « Moi, le cancer et mon entourage », en donne d’intéressants exemples[4] : des petites phrases comme : « Le cancer du sein se soigne facilement », qui minimisent ou banalisent la maladie ; ou des exhortations comme : « Il faut garder le moral », alors que la malade se sent « à terre », sans pouvoir se relever. « Les communautés chrétiennes, écrit Wilson, ne sont pas différentes des individus. Elles ne sont pas parfaites. Elles ne sont pas encore arrivées. Elles ne sont pas sans péché. Elles ont besoin d’une infusion de la grâce et de la miséricorde de Dieu[5]. »
La conclusion est donc la suivante : des accompagnants ou visiteurs formés sont nécessaires et l’on ne peut pas s’en remettre entièrement à la bonne volonté des frères et sœurs dans la foi.
Après avoir écouté ces deux propositions opposées, ne peut-on pas proposer, comme le font certains de ces auteurs eux-mêmes, la thèse de la complémentarité entre la responsabilité de quelques-uns et le rôle de tous ?
L’Église ne fonctionne pas toujours normalement, elle dysfonctionne même souvent. Mais une Église qui fonctionne normalement peut être une communauté d’encouragement, de maturation et de rétablissement, sur laquelle pourront s’appuyer les accompagnants pastoraux. C’est même en fait ce qui fait la spécificité de l’accompagnement pastoral tel qu’il se pratique dans l’Église :
Les deux dépendent l’un de l’autre. Les temps communautaires préparent, soutiennent et prolongent le temps de la rencontre individuelle ; ils constituent la toile de fond de l’accompagnement individuel. Ils le feront d’autant plus que l’assemblée bénéficiera d’une « sensibilisation » à la relation qui lui permettra de développer les qualités d’accueil, d’écoute et d’empathie nécessaires au bon fonctionnement communautaire.
Et, en sens contraire, la rencontre individuelle facilite ou rend possible l’intégration et la participation de l’individu au vécu communautaire. La rencontre individuelle n’a d’ailleurs probablement pas d’utilité durable si elle ne peut pas s’appuyer sur la dimension communautaire de l’Église ; par exemple sur un groupe de personnes qui se réunissent régulièrement, sur un culte régulier, et autres activités de ce genre. Mais ces réunions régulières de petits groupe ou ces cultes réguliers et études bibliques, ou le groupe de jeunes du samedi soir, ne suffiront pas nécessairement à aborder en profondeur les problèmes de telle ou telle personne ; parce qu’il faut, à un moment donné, si on veut aller au fond des choses, qu’il y ait une rencontre de un à un.
Les données théologiques (et psychologiques) montre que l’individu existe en relation (communauté), mais aussi qu’il est singulier dans son histoire et dans son expérience (personnalisation). Cette double approche semble bien répondre à cette double réalité.
« l’Église dans tous ses états », une rubrique en partenariat avec Les Cahiers de l’École Pastorale
Les Cahiers de l’École Pastorale est une revue trimestrielle de théologie pratique et pastorale. À travers des articles de fond, des prédications et des présentations de livres, elle oeuvre à faire des ponts entre la théologie et la vie des Églises. Son but est d’encourager les pasteurs, les responsables d’Église et plus largement les chrétiens engagés dans un ministère, à penser et approfondir leur foi et leur pratique au sein de leurs Églises.
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[1] Larry Crabb, Connectés les uns aux autres. La puissance restauratrice des relations profondes, Québec, La Clairière, 1999.
[2] Côte à côte. Cheminer ensemble dans la sagesse et l’amour, p. 13. Deux choses sont à noter. (1) La pensée d’Edward T. Welch, qui représente le Biblical Counseling Movement, ne se réduit évidemment pas à cette analyse et comprend l’intervention de « conseillers » formés ; mais la citation correspond bien au propos du livre cité ; (2) Larry Crabb rejette désormais aussi l’approche « moraliste », selon laquelle nos difficultés procéderaient de la nature rebelle de notre volonté, et l’approche du « trouble » qui nécessite un « traitement ». Il ne s’agit donc ni de réparer les psychismes ni de réprimander les pécheurs, mais d’intégrer l’âme à un réseau de relations curatives (p. 13).
[3] Rod J.K. Wilson, Counseling and Community. Using Church Relationships to Reinforce Counseling, Regent College Publishing, 2003, p. 17.
[5] R.J.K. Wilson, Counseling and Community, p. 221.
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