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Lamentations (3) : Surpris par l’espérance

En lisant Lamentations 3, l’image qui me vient à l’esprit est celle d’un homme coincé tout au fond d’un puits. Il ne peut pas remonter, parce que les parois sont trop glissantes. Et puis de toute façon, il n’en a pas les forces… Ce sentiment d’impuissance profond dans une situation, dans une épreuve, peut facilement faire chavirer dans le désespoir. C’est un sentiment de grande solitude que d’être seul avec notre mal.

Si Dieu n’est pas cité, c’est bien lui qui « frappe » cet homme dans sa colère, qui le fait marcher dans les ténèbres, qui lui a brisé ses os, qui l’a encerclé, emmuré, déchiré, dévasté… C’est l’image d’un homme que Dieu a soumis à une souffrance extrême et inextricable. Et cet homme est bloqué. Seul, il ne peut rien faire. Il est sans force, abattu, dans un état désespéré. Il touche le fond.

Le tournant

Mais quelque chose d’extraordinaire se passe chez lui néanmoins. À partir du verset 19, le ton change, l’homme retrouve espoir :

19 Souviens-toi de mon affliction et de ma vie errante, de l’absinthe et du poison ;
20 je m’en souviens bien, je suis abattu.
21 Voici ce que je fais revenir dans mon cœur, voici pourquoi j’espère :
22 C’est que la fidélité du Seigneur n’est pas épuisée, que sa compassion n’est pas à son terme ;
23 elle se renouvelle chaque matin. Grande est ta fidélité !

Quel contraste ! L’homme passe du désespoir le plus total à cause de la colère de Dieu qui s’est abattue sur lui, à l’espérance en ce même Dieu, et à sa louange ! Mais que s’est-il passé ? Comment a-t-il pu changer à ce point de regard sur sa situation et sur son avenir ? Quel a été le tournant dans sa situation ?

Le tournant se trouve au verset 18, alors même que l’homme exprime sa détresse :

16 Sur le gravier il m’a cassé les dents, il m’a piétiné dans la cendre.
17 Tu m’as rejeté loin de la paix ; j’ai oublié ce qu’est le bonheur.
18 Et j’ai dit : Ma majesté a disparu, je n’attends plus rien du Seigneur (YHWH) !

Le « Seigneur ». Dans ce poème du chapitre 3, ce mot, le nom de Dieu (Yahwé), n’avait pas encore été mentionné. Mais là, tout à la fin du verset (en français comme en hébreu), il est exprimé. Et c’est cela le tournant. La mention du « Seigneur » change tout à coup la perspective de cet homme : de désespéré qu’il était, il trouve l’espérance, une perspective d’avenir, une attente qui n’est plus angoissée. Le mot « Seigneur » – peut-être sans que ce soit volontaire de sa part – a fait renaître son espérance.

En effet, pour un israélite, dire « Seigneur », ce n’est pas rien… Tellement d’idées et d’événements historiques lui sont associés. « Seigneur », c’est bien plus qu’un mot, c’est une personne ! Le « Seigneur », c’est le Dieu de l’alliance, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. C’est le Dieu de l’Exode, le Dieu du salut. C’est le Dieu qui a toujours été fidèle à son peuple, le Dieu qui a toujours su montrer son amour, son soin, sa compassion… C’est le Dieu que l’on célèbre et qu’on chante dans les psaumes. C’est le Dieu digne de toutes louanges.

Au fond de son trou, dans son abîme solitaire, alors qu’il avait tout perdu, l’homme s’est souvenu de l’identité de son Dieu. Alors, certes, le Seigneur dont il se souvient est le même Seigneur qui a montré sa colère. Mais, en disant « Seigneur », l’auteur se souvient du caractère même de Dieu. Il se souvient que dans les Écritures, le Seigneur est avant tout celui qui est bon et qui a compassion. Celui qui est tendresse et amour. L’attribut premier de Dieu, c’est son amour. Dieu est amour, alors qu’il n’est pas colère. Il y a une forte asymétrie entre les deux. Si l’amour appartient à l’identité même de Dieu, ce n’est pas le cas de sa colère. Et en disant « Seigneur », l’auteur se souvient de cela, réalisant que s’il était présentement sous le coup de la colère de Dieu, il n’était pas prisonnier d’un Dieu-colère. Son Dieu, le Seigneur, est celui dont les bontés se renouvellent chaque matin.

Sorti d’affaire ?

Alors, bien sûr, se souvenir du Seigneur, ce n’est pas encore être sorti d’affaire. Oui, le Seigneur et bon et fidèle, mais le peuple devait accepter qu’il était en train de le juger à cause de ses fautes. C’est ce qu’exprime l’auteur plus loin, au verset 26 : « Il est bon d’attendre en silence le salut du Seigneur ». Ici, il y a l’acceptation du fait que les conséquences du péché du peuple allaient durer. Il y aurait un exil à Babylone pendant de longues années, et la délivrance serait donc longue à venir.

En même temps, tout cela ne doit pas simplement être accepté comme une fatalité. Non, l’auteur propose à son peuple d’accepter activement son sort, l’encourageant à l’introspection et au repentir : « Réfléchissons à nos voies, examinons-les à fond, et revenons au Seigneur », dit-il au verset 40.

Il est important de noter cela. Très souvent, les chrétiens ont l’impression que puisqu’ils ont demandé pardon, tout est passé, tout est terminé et on peut passer à autre chose. Mais ici, on voit bien que le péché a des conséquences qui peuvent durer, que Dieu peut soumettre son peuple à un temps de discipline conséquent, qui est nécessaire pour se recentrer sur Dieu, pour s’humilier devant lui, comprendre ce qu’il s’est passé et comment on en est arrivé là, pour s’engager à nouveau envers lui. L’exil, pour le peuple, ne devait pas simplement être un temps d’attente, mais bien plutôt un long temps de remise en question, de recentrage sur Dieu et d’engagement renouvelé. Et c’est aussi comme cela que nous pouvons comprendre et vivre les temps de conséquences de nos fautes dans nos vies (personnelles et communautaires) : des temps que Dieu nous donne, dans son amour, pour nous recentrer sur lui.

L’espérance du salut

Et dans cette attitude contrite, d’introspection et de repentance, il y a de l’espérance. Cette espérance est exprimée à plusieurs reprises dans ce poème. Par exemple :
• Verset 26 : « Il est bon d’attendre en silence le salut du Seigneur. »
• Verset 31 : « Car le Seigneur ne rejette pas pour toujours. »
• Verset 57 : « Au jour où je t’ai invoqué, tu t’es approché, tu as dit : N’aie pas peur ! »

Il y a comme une tension très forte qui s’exprime tout au long. La souffrance est là : elle est terrible, affligeante, angoissante et elle ne peut pas, absolument pas, être minimisée. Mais en même temps, c’est une souffrance qui peut être acceptée et vécue dans la foi et dans la l’espérance du salut qui vient.

Être chrétien, c’est vivre le concret de la vie dans la chair, dans un monde malade et déchu, dans un monde où la souffrance est bien là. Mais c’est aussi vivre tout cela dans la foi en un Dieu bon et aimant. Un Dieu qui est intervenu pour nous sauver en Jésus-Christ et qui nous offre une merveilleuse espérance de salut et de délivrance à venir.

Aujourd’hui encore, dans le concret de nos vies et de nos souffrances, nous pouvons donc dire « Seigneur » et nous souvenir de la grande fidélité de Dieu. Nous pouvons dire « Seigneur » et nous souvenir que Jésus-Christ et mort et ressuscité pour le salut de ceux qui croient en lui. Nous pouvons dire « Seigneur » et nous souvenir que la délivrance vient, qu’elle est assurée. Nous avons cette ferme assurance : Jésus-Christ a vaincu la mort ! Le jour vient où elle ne sera plus, où la maladie sera annihilée, où les pleurs et les larmes auront disparues, où Dieu sera tout en tous.

Telle est notre espérance, parce que notre Dieu est Jésus-Christ, le « Seigneur ».


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Nicolas est marié et père de trois enfants. Pasteur de l’Église Baptiste de Compiègne, dans l’Oise, il est aussi professeur associé de Nouveau Testament à la Faculté Libre de Théologie Évangélique et rédacteur en chef des Cahiers de l’École Pastorale.

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