C’est une question qui se pose sérieusement aujourd’hui : donner des droits aux animaux. La dynamique du courant écologiste tend à valoriser le respect de toute forme de vie sensible, des plantes aux êtres humains en passant par les animaux. Que peut-on en penser ?
Il est intéressant de constater que l’Ancien Testament contient un certain nombre de dispositions juridiques concernant les animaux, notamment visant à réduire la souffrance animale. La Bible, déjà, reconnaît la souffrance animale (voir Nb 22.27-34, l’ânesse de Balaam battue par son maître). Surtout l’Ancien Testament comporte toute une série de mesures de protection de l’animal : venir en aide à un âne qui tombe sous le poids de sa charge (même celui de son ennemi ; Ex 23.5) ; laisser les animaux se reposer le jour du sabbat (Ex 20.8-10 ; 23.12 ; Dt 5.12-14), et cela même en période d’intense activité agricole (Ex 34.21) ; laisser sept jours le petit auprès de sa mère et ne pas l’offrir en sacrifice le même jour qu’elle (Lv 22.27-28) ; ne pas prendre une mère oiseau qui couve ses petits (Dt 22.6-7) ; ne pas frapper un animal à mort (Lv 24.18, 21) ; ne pas museler le bœuf qui foule le grain (Dt 25.4). Ainsi, à partir de ce donné biblique, la tradition juive a élaboré tout un corpus de législation dont le nom même (Tsaar ba’alei hayyîm, litt. « la douleur des êtres vivants ») témoigne de la prise en compte de cette réalité de la souffrance animale et en fait un domaine d’exercice de la compassion (Talmud de Babylone Shabbat 28b ; Babba metsia 32b)[1].
La Bible, déjà, reconnaît la souffrance animale.
Ces données bibliques nous mettent en garde contre une certaine interprétation du mandat créationnel et du verbe « dominer » (Gn 1.26, 28) en particulier qui laisse à l’homme tous les droits puisqu’il est le maître. En effet, s’il s’agit pour l’homme de domestiquer les animaux (qui sont créés en bonne partie pour lui), il s’agit de dominer à l’image de Dieu, c’est-à-dire en prenant soin comme Dieu prend soin.
Cela étant, doit-on aller jusqu’à reconnaître des droits aux animaux ? Il faut savoir que jusqu’à récemment, les animaux étaient considérés par le droit civil français comme des biens meubles. Ce n’est que récemment (2015) que les animaux ont été considérés comme des êtres doués de sensibilité. C’est une évolution du droit à saluer, qui va dans le sens de la vision biblique. Mais ce n’est pas encore reconnaitre des droits aux animaux. Leur donner des droits pose tout un tas de questions pratiques : comment donner les mêmes droits à une araignée qu’à un chien de compagnie ? À une hyène qu’à un chat ? Comment concrètement les animaux pourraient-ils exercer leurs droits ? Quelles compensations en cas de violations de leurs droits ? Surtout, ce serait une révolution du droit que d’envisager de donner des droits à des « personnes » non morales. On peut imaginer des avocats défendant les droits des animaux puisque les animaux ne peuvent, par définition, parler et donc se défendre. On imagine une situation juridique très compliquée.
Reste cependant la question de principe : l’animal équivaut-il à l’être humain ? Même les animaux les plus proches de l’homme restent des animaux et ne deviennent pas, par contact humain, plus humains. La tendance à l’humanisation des animaux qu’on observe aujourd’hui doit nous interroger (certaines personnes n’hésiteront pas à dire qu’elles préfèrent les animaux aux êtres humains). L’être humain a la particularité d’être en image de Dieu, cette dignité lui conférant un certain nombre de droits. Le fondement des droits de l’homme est bien la dignité de l’être humain créé en image de Dieu. Il nous semble indispensable de conserver la frontière entre l’humain et l’animal et de réserver le langage du droit aux êtres humains.
Le fondement des droits de l’homme est bien la dignité de l’être humain créé en image de Dieu.
Mais si l’être humain a des droits, il a aussi des devoirs, ce que l’on peut oublier aujourd’hui. Et s’il ne s’agissait pas tant de donner des droits aux animaux que de donner des devoirs à l’homme, comme le font les règles de l’Ancien Testament citées plus haut ?
Il nous paraît en tout cas intéressant de sensibiliser les chrétiens au monde animal qui les entoure. En effet, les animaux ne sont certes pas créés en image de Dieu mais ils partagent avec l’homme un certain nombre de prérogatives. Ils dépendent comme nous du créateur (Ps 104.30, « tu retires ton souffle, ils expirent […], tu envoies ton souffle, ils sont créés » ; Ec 3.19, « ils ont tous un même souffle »). Le récit biblique montre que les animaux peuvent servir de médiation entre Dieu et l’homme (l’ânesse de Balaam déjà citée, le poisson de Jonas). Plus encore, la poésie biblique prête aux animaux des prières de demande (Ps 104.21, « les lionceaux rugissent après leur proie et réclament à Dieu leur nourriture » ; Ps 147.9). Les animaux sont appelés à louer Dieu (Ps 148.7, 10, « Louez Yhwh depuis la terre, monstres marins, tous les abîmes […], bêtes sauvages, tout le bétail, reptile et l’oiseau qui vole » ; voir És 43.20). Les animaux sont invités à faire pénitence eux aussi (Jon 3.7-8, « Par décision du roi […] que les humains et les bêtes […] ne goûtent de rien, ne paissent pas et ne boivent pas d’eau ! Qu’ils soient couverts d’un sac, qu’ils invoquent Dieu avec force… » ; Jon 4.11). Sans parler de la place (laquelle ?) des animaux dans le plan de rédemption de Dieu (voir Ps 36.7, « l’humain et le bétail tu les sauves, Yhwh » ; mais de quoi les animaux peuvent-ils être sauvés ?).
Il paraît intéressant de sensibiliser les chrétiens au monde animal qui les entoure.
Il ne s’agit pas ici de faire une théologie des animaux mais simplement de nous rendre sensibles au monde animal, à l’heure où l’on parle de la sixième extinction de masse. La solution n’est pas à rechercher dans les droits des animaux, mais bel et bien dans la responsabilité de l’être humain.
[1] Voir Caroline Dewhurst, Protection animale et judaïsme. Compréhension des lois de la Torah concernées et exemples d’application de nos jours, thèse école nationale vétérinaire d’Alfort, 2010 (non publiée, en ligne sur http://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=1330).
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