À quelle sauce va-t-on être mangé dans les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois ? Nous vivons au rythme des confinements, déconfinements, reconfinements… Que va encore nous pondre notre gouvernement ? La relation entre les citoyens et l’État est en déconfi… ture ! Cette relation a rarement été si mouvementée, empreinte d’attente, d’espoir, de frustrations… Alors une question légitime peut se poser : Comment en tant que chrétien vivre au mieux cette relation devenue si bouillonnante et intense avec l’État ? Comment mon attitude pourra être l’occasion d’interpeller les personnes qui m’entourent ?
La question des relations avec l’État est très vaste. Ne seront esquissés ici que quelques jalons pouvant servir de tremplin à des réflexions plus profondes ultérieurement. On ne compte plus les frustrations palpables du côté des administrés comme du côté des hauts responsables… Que ce soit les « 66 millions de procureurs en France » qui agacent notre président ou les multiples invectives taxant le gouvernement d’incompétences notoires (à tous les niveaux d’ailleurs, que la critique soit adressée à tel maire, préfet, aux diverses décisions d’Olivier Véran sur le plan sanitaire, ou encore récemment à la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen face aux commandes de vaccins…). Comme dans de nombreuses questions qui touchent aux relations, il peut être utile de discerner les deux ravins à éviter pour essayer de marcher sur la fine ligne de crête.
Le premier écueil est le penchant complotiste. Ce mouvement de pensée (car il s’agit ici plus que d’un simple point de vue sur un sujet) est une sorte de méta-récit postmoderne, une sorte d’histoire qui donne du sens au monde qui nous entoure. Oh oui, j’ai bien conscience que dans l’expression « méta-récit postmoderne » certains pourrait voir un oxymore, voire un non-sens. En effet, dès ses débuts, le postmodernisme a exprimé un profond rejet pour les méta-récits (cf. le fameux ouvrage de François Lyotard, La condition postmoderne, 1979. Néanmoins, il me semble bien que le terme de « méta-récit postmoderne » est ce qui pourrait définir assez précisément les thèses complotistes. En effet, l’homme ne peut résister à vouloir donner du sens, et le rejet de toute affirmation devient inévitablement lui-même une affirmation. Et, comme on l’a dit plus haut, le complotisme ne se borne pas à un point de vue sur un sujet mais fait bien système. Il propose un méta-récit pour aborder le monde et vivre concrètement dans celui-ci. Alors on en vient inéluctablement à la question fatidique (fatale ?) : pourquoi croire davantage les tenants du mouvement complotiste plutôt que l’État qu’ils fustigent ? Le subjectivisme entraîne alors inexorablement vers la pente de l’irrationalisme, du cynisme et même du nihilisme. Qui ignore aujourd’hui les liens étroits qui existent entre certains mouvements complotistes et d’autres mouvements anarchistes.
Tout le monde peut clamer haut et fort pouvoir étancher la soif d’absolu de quiconque vient à lui… mais un seul en est réellement capable.
Le complotisme ressemble un peu à un meurtrier qui tenterait de cacher dans un placard le cadavre de l’absolu dont il pense s’être enfin débarrassé… mais quiconque mène un tant soit peu l’enquête pourra déjouer ce subterfuge maladroit, et constater que ce soi-disant meurtre n’a en fait aboutit ni à la mort de la victime ni à la liberté du bourreau. Tout le monde (et le complotisme est loin d’être seul à le faire !) peut clamer haut et fort pouvoir étancher la soif d’absolu de quiconque vient à lui… mais un seul en est réellement capable (Jean 4.14 et 7.38) !
D’un autre côté, le second écueil est le penchant jupiterien. Un président ou un gouvernement qui se verrait comme la normativité qui va de soi pour tous. Un État et un souverain qui seraient en quelque sorte l’incarnation de l’Être suprême, « la marche de Dieu dans le monde », selon la pensée hégélienne. Selon cette approche, les valeurs de la république doivent passer avant les valeurs personnelles (comme on a pu l’entendre de la bouche de certains élus encore récemment…). Cette tendance trouve un écho particulier dans notre contexte français où l’État a confisqué le rôle transcendant de l’Église catholique en même temps que ses biens (à la différence des pays anglo-saxons). L’État outrepasse ses prérogatives en s’arrogeant le droit d’élargir son pouvoir contraignant de service public à la sphère publique. La saine neutralité du service public devient la sainte purification de la sphère publique (et je prends ici à escient un langage vétérotestamentaire). Au nom de notre salut sécuritaire l’État se porte au rang de démiurge éclairé d’une mère-patrie jugée nourricière… L’État se présente comme le garant du bonheur et du développement humain, il nous apporte tout ce dont nous avons besoin et en douter ferait de nous les pires des apostats. Le contrat social n’est plus la base minimum sur laquelle établir un vivre-ensemble respectant les libertés de chacun. Au contraire, il devient un dogme englobant un maximum de domaines pour imposer une mort-à-soi et exalter un nouvel absolu.
L’intérêt commun, la prééminence du « nous » sur le « je », est louable… néanmoins, si l’autorité de l’État n’est pas dérivée mais trouve sa source en elle-même, sa légitimation demeure extrêmement problématique. En effet, à lui seul l’État ne possède pas les moyens nécessaires pour atteindre ce but du bien commun. L’État n’a pas la puissance, n’est pas capable, de nous combler en tout point. Alors, désolé pour l’image, mais renforcer toujours plus son pouvoir c’est comme vouloir confier une hache à un bébé afin qu’il coupe un arbre… c’est plus dangereux qu’efficace.
Et la ligne de crête ? Il nous faut veiller à n’adorer ni l’idole ni sa contre-idole comme l’a bien mis en lumière le philosophe et théologien néo-calviniste Hermann Dooyeweerd. Si l’Écriture nous enjoint à nous soumettre aux autorités mises en place par Dieu, elle nous invite également à un sain discernement de ce que propose l’État. Discernement possible sur la seule base d’une normativité extérieure et supérieure. En un mot, il faut une révélation. La Parole de Dieu est donc bien plus qu’une somme de conseils sur nos relations avec l’État à consulter en cas de doute, elle est plutôt le fondement indispensable pour pouvoir vivre sainement nos relations avec l’État, elle est cet absolu qui nous permet de ne verser ni dans le complotisme ni dans le jupiterianisme.
Il nous revient de prier pour l’État afin que ses décisions se fassent réellement pour l’intérêt de chacun, à la lumière de la révélation générale et de la grâce commune à laquelle il a part.
Il nous revient d’être des modèles, prêts à sacrifier certaines de nos libertés individuelles (qui ne sont que des libertés de confort pour le moment… comme le fait de porter le masque, suivre le couvre-feu, etc.) dans le but de manifester une fraternité et un amour concret de notre prochain.
Il nous revient enfin de témoigner à ceux qui nous entoure, avec humilité, de notre citoyenneté céleste : nous avons la joie d’avoir un « chef d’État » à la fois si fidèle que nous pouvons placer toute notre confiance en Lui, et si puissant qu’il est capable d’assouvir pleinement nos besoins les plus profonds.
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