Le tout premier exégète du discours de Genèse 2.16-17 au sujet de l’arbre de la connaissance du bien et du mal est hélas le serpent. Hélas, car depuis son exégèse venimeuse, il est difficile de se départir de l’idée que Dieu ait voulu brimer l’humanité en lui interdisant l’arbre. Le serpent formule une affirmation sur les effets de la consommation du fruit défendu tout en suggérant que Dieu, jaloux de sa connaissance, ne veut pas la partager. Ne retenant que la partie négative de l’ordre divin, celle qui pose une limite, il ne fait aucun cas du don préalable de « tous les arbres du jardin ». En réalité quelle est la nature de l’ordre divin ? Quelle est le sens de la formule « tu mourras certainement » ? Et quel rôle joue l’arbre de la connaissance dans l’intrigue ?
Alors que Dieu place l’homme dans le jardin et qu’il lui assigne sa vocation (Gn 2.15), il lui adresse un ordre : « Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement. » (Gn 2.16‑17). La vocation de l’être humain est structurée par une loi semblable à celles présentes dans les grands codes sinaïtiques. Seulement, l’ordre est concis au point d’être opaque. Aucune explication n’est donnée. Cette opacité rappelle une caractéristique fondamentale de la loi divine : la loi procède du bon vouloir de Dieu. Pourquoi s’abstenir des fruits de l’arbre défendu ? Parce que Dieu le veut. S’agit-il d’une volonté mesquine comme l’insinue le serpent ou d’une volonté généreuse ? Une chose est claire : le narrateur a, jusque-là, pris soin de décrire la grande sollicitude de Dieu à l’égard de l’homme. Il nous est donc permis de supposer que l’ordre divin entre dans le dispositif destiné à favoriser l’épanouissement de l’homme. La première partie du commandement le suggère en invitant à la jouissance de tous les arbres.
Par la recommandation à manger de tous les arbres sauf un, Dieu crée un espace de liberté tout en posant une limite à la jouissance du « tout ». Cette limite est justifiée par la clausule « tu mourras certainement ». La formule rappelle les commandements sinaïtiques assortis d’une peine de mort en cas de transgression. Cependant la suite du récit montre que la femme et l’homme mangent du fruit mais ne meurent pas. Dieu aurait-il décidé de ne pas exécuter la sanction ? Le texte ne suggère rien de cela. La formule « tu mourras certainement » permet une autre interprétation : loin de menacer, l’Éternel chercherait à mettre en garde contre le comportement mortifère qui consisterait à outrepasser l’ordre. Quant à la mort, elle peut avoir un sens métaphorique. Elle évoque les effets néfastes de la désobéissance : la culpabilité et la honte, la rupture des relations de confiance et l’expulsion du jardin.
Il convient maintenant d’aborder la question de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Plusieurs interprétations ont été avancées pour cette connaissance : la sexualité, le discernement moral, l’autonomie morale, une connaissance supérieure. Mais ce qui nous intéresse, c’est plus particulièrement le rôle de l’arbre dans l’intrigue. Pour beaucoup d’exégètes, l’interdiction de manger de l’arbre signifie l’interdiction d’accéder à la qualité que l’arbre représente. Cette lecture tombe dans le sillon de l’exégèse du serpent : Dieu brimerait l’humanité. Le texte n’indique pas que Dieu interdise à l’homme l’accès à la connaissance. Dieu interdit de manger d’un arbre particulier. Si l’ordre de Dieu vient structurer l’existence humaine, à l’image de la loi dans le reste du Pentateuque, le lecteur est invité à comprendre que la connaissance du bien et du mal, quelle que soit l’interprétation associée à la formule, ne procède pas de la consommation du fruit mais de l’obéissance au commandement. En plaçant l’être humain devant l’interdit, Dieu est précisément en train de l’instruire sur ce qui est bon ou mauvais pour lui. Implicitement, Dieu met l’homme en garde contre l’attitude mortifère qui consisterait à céder à la tendance totalisante d’un désir débridé, d’une jouissance sans limite de tout ce qui se présente à soi.
En plaçant l’être humain devant l’interdit, Dieu est précisément en train de l’instruire sur ce qui est bon ou mauvais pour lui.
La connaissance ne vient pas en mangeant un fruit magique mais par l’instruction. Dieu donne une loi qui institue l’homme dans sa liberté. L’opacité de l’ordre invite à la confiance en ce Dieu dont la sollicitude est démontrée par le jardin qu’il a aménagé. En s’adressant à l’homme en Genèse 2.16-17, Dieu l’éduque et lui offre la possibilité de s’épanouir pleinement. C’est un chemin de maturation qui passe par la loi et la liberté, par la confiance et l’obéissance.
Crédit photo : Dédicaces “O” Présent
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