Cette année 2017 commémore les débuts de la Réforme mise en marche par Martin Luther. Posons la question : quels sont les liens (historiques et/ou théologiques) qui existent entre le protestantisme « classique » et les évangéliques professants ?
La grande majorité des chrétiens qui se proclament « évangéliques » en France sont « professants », c’est-à-dire que dans leurs Églises, sont baptisés non pas les nourrissons, mais les personnes qui confessent de manière consciente leur foi en Christ. Les évangéliques professants ont aussi une ecclésiologie qui veut que l’Église et l’État ne soient pas trop liés et que la liberté de conscience et de religion soit une marque de la vie sociale et politique.
Qu’il soit luthérien, réformé ou anglican, le protestantisme « classique » né au XVIe siècle, était pédobaptiste et territorial. Le désir de baptême des professants adultes exprimé pendant cette période était traité d’« anabaptisme » et considéré comme séditieux. Ces mêmes confessions étaient aussi étroitement liées aux autorités politiques. L’âge de la « confessionnalisation » — qui débute vers 1530 et se renforce pendant la deuxième moitié du XVIe — a donné lieu à un « patchwork » européen où appartenance religieuse et politique étaient étroitement liée.
Cependant, les évangéliques professants se reconnaissent facilement dans plusieurs éléments théologiques issus de la Réforme : la justification par la foi, l’Écriture seule, la grâce seule, etc. Comment partager de tels accents théologiques tout en arrivant à des positions si différentes sur le baptême et le lien « Église-État » ?
Mon travail récent, Les révoltés de l’Évangile, Balthasar Hubmaier et les origines de l’anabaptisme (Éditions du Cerf, 2017) ne répond pas directement à ces questions, mais décrit un arrière-plan historique et théologique montrant que ces questions se sont posées dès les origines de la Réforme.
Nous qui vivons 500 ans après les événements savons ce que la Réforme a produit comme résultats : une division profonde au sein du christianisme occidental, la naissance de nouvelles Églises luthérienne, réformée, anabaptiste et anglicane, le patchwork « confessionnel » de l’Europe et toute une série de « guerres de religion ».
Comment partager les convictions fondamentales de la Réforme tout en arrivant à des positions si différentes sur le baptême et le lien « Église-État » ?
Balthasar Hubmaier (environ 1485-1528) était allemand, né près d’Augsbourg. Docteur en théologie et prêtre catholique, sa pensée et sa vie ont connu un véritable cheminement. De catholique convaincu, il a évolué vers la Réforme à partir de ses lectures d’Érasme et de Luther, ainsi que de sa relation personnelle avec Ulrich Zwingli de Zurich. De là, il est devenu acteur dans la révolte paysanne et pasteur/théologien anabaptiste. Cette évolution lui a coûté la vie, car il a été brûlé vif à Vienne en 1528.
Ici n’est pas le lieu pour entrer dans les détails ni de sa carrière ni de sa pensée. Cependant, le livre montre à quel point les premières années de la Réforme étaient véritablement « fluides ». Pendant un certain temps, les termes « luthérien », « zwinglien » ou « anabaptiste » ne désignaient pas encore des entités confessionnelles structurées ou bien définies. D’Érasme aux anabaptistes, on se trouvait unis autour d’un désir de réforme, besoin constaté clairement déjà au concile de Constance en 1415.
Pour encore compliquer les choses, le monde paysan a trouvé de l’inspiration dans les propositions de Luther et de Zwingli, mais cela aboutit à une catastrophe appelée « guerre des paysans » en 1525. L’anabaptisme structuré naît dans cette même période et Hubmaier joue un rôle important dans l’élaboration d’une théologie du baptême de professants. Pour se protéger des accusations de sédition venant du monde catholique et de l’empereur, Luther et d’autres feront un amalgame entre plusieurs types de dissidents et les anabaptistes seront taxés de dangereux.
Pendant les premières années de la Réforme, les termes « luthérien », « zwinglien » ou « anabaptiste » ne désignaient pas encore des entités confessionnelles structurées ou bien définies.
Cependant, la théologie baptismale anabaptiste puise ses racines dans les idées de la Réforme. Luther affirme que « la foi vient de ce qu’on entend » et valorise la foi de l’individu. Pour Hubmaier et d’autres, la justification par la foi sous-entend la foi de la personne concernée et sa réponse à l’annonce de l’Évangile.
La critique du pédobaptême est aussi la critique d’une Église territoriale, car dans le contexte médiéval (et encore au XVIe), appartenance religieuse et appartenance civile vont ensemble. Quel meilleur moyen pour garantir cette unité que le pédobaptême ? Il fallait que tous soient dans l’Église.
Le jeune Luther prétendait en 1523 que l’État ne pouvait pas imposer la foi ni punir l’hérésie. Si Luther a changé d’avis, les anabaptistes ont maintenu ce raisonnement.
Le jeune Luther affirmait que la paroisse locale devait avoir le droit de choisir et de rémunérer son pasteur. Les paysans réclamaient ces droits, et après leur défaite, il n’y aura que dans les milieux anabaptistes que ce type de gestion locale sera pratiqué.
Le « cas Hubmaier » montre à quel point les débats sur le baptême étaient à l’ordre du jour dans les premières années de la Réforme. L’anabaptisme montre que le désir de « laïcité » était aussi bien présent pendant cette période.
Même s’il faudra attendre la naissance des Églises baptistes un siècle plus tard (et bien d’autres professants) ainsi que l’évolution politique occidentale pour arriver à la laïcité et l’acceptation d’un protestantisme non-pédobaptiste, les positions professantes étaient bien présentes au siècle de la Réforme et se nourrissaient de Luther et de Zwingli. Ainsi, les racines des Églises de professants peuvent se réclamer de la Réforme ou disons plutôt des réformes protestantes.
Neal Blough, Les révoltés de l’Évangile. Balthasar Hubmaier et les origines de l’anabaptisme, Histoire, Paris, Cerf, 2017 (disponible ici).
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