Confinement oblige, les Églises se réinventent et redoublent de créativité pour vivre le culte. La Cène est certainement l’élément qui pose le plus de questions pour le vécu ecclésial “à distance”. Peut-on partager la Cène, chacun derrière son écran ? Réponse de Paul Efona, pasteur FEEBF à Grenoble-Échirolles. Propos recueillis par Thomas Poëtte.
Le repas du Seigneur, institué par Jésus lui-même, dans le contexte de la pâque juive (voir Mt 26.26-30 ; 1 Co 11.23-34) est un acte de communion, de commémoration, de proclamation et d’espérance, dont le Christ, mort et ressuscité, est le centre autour duquel toute l’Église se rassemble.
Tout dépend comment on envisage de le vivre. S’il s’agit, par mimétisme, de partager la Cène comme on partage l’apéritif entre voisins ou collègues via Zoom, je dis non. Mais il y a, des raisons, à mon avis valables qui peuvent légitimer le recours à une telle pratique.
1. L’Église est d’abord communion avec, en et par Jésus-Christ
La période inédite que nous vivons est une occasion particulière pour redécouvrir la nature profonde de l’Église. Là se situe la question fondamentale pour moi : qu’est-ce que l’Église ? S’il fallait le dire en un seul mot, je choisirais celui-ci : Communion.
Oui, l’Église est d’abord communion avec, en et par Jésus-Christ, notre Seigneur. Une communion dont le lien constitutif et permanent est réalisé par l’Esprit-Saint (Ac 2.1ss) qui nous incorpore en Christ (Ep 1.3ss) et nous rassemble pour former une maison spirituelle (1 P 2.5ss). Notre communion avec le Seigneur n’est pas une abstraction. Elle se vit concrètement dans le partage de la Parole, de la prière, du pain et de la coupe, sans oublier l’entraide (Ac 2.42-47).
Le confinement n’est pas la fin de la vie de l’Église. Puisque sa vie continue, elle peut continuer à être une communauté qui se rassemble autour de la Parole, dans la prière, le soutien des plus vulnérables et pourquoi pas dans la fraction du pain ?
2. Notre communion n’est pas moins réelle via Zoom
Lorsque nous partageons la Parole et la Cène, sommes-nous seulement en communion avec les personnes qui sont rassemblées dans la même pièce que nous ? Nous savons que le lien qui nous unit au Christ et les uns aux autres ne dépend pas d’un lieu, d’un sanctuaire. Relisons les paroles de Jésus à la femme Samaritaine en Jean 4.21-24. Être chrétiens, c’est être « en Christ », non pas dans une perspective individualiste, mais avec la conscience que nous ne sommes jamais « en Christ » sans nos frères et sœurs. La Cène implique justement que celui qui la prend se situe non pas dans une perspective individualiste, mais en discernant le « corps », c’est-à-dire en acceptant d’être en lien avec tous les membres de l’Église (voir 1 Co 10.16-17 ; 11. 29) et pas seulement locale.
Comment les apôtres ont-ils fait pour construire des liens de communion avec les communautés qu’ils n’avaient pas fondées ? En utilisant les moyens dont ils disposaient, et auxquelles ils avaient accès. Les lettres ont joué un rôle important quand les déplacements n’étaient pas possibles.
Notre communion ne dépend pas d’abord du fait qu’on voit l’autre. Nous aimons Jésus sans l’avoir vu (1 P 1.8). Nous sommes en communion avec les apôtres au moyen de leur enseignement (1 Jn 1.1-4) et nous utilisons bien de nombreuses applications pour diffuser l’enseignement des apôtres. Aussi réellement qu’on peut partager la lecture de la Bible par Zoom, prier ensemble, aussi réellement nous pouvons partager le pain et le vin ou le jus de raisin.
Notre communion ne dépend pas d’abord du fait qu’on voit l’autre. Nous aimons Jésus sans l’avoir vu (1 Pi 1.8).
3. Le partage de la Cène peut avoir lieu dans nos maisons, mais il doit rester un acte communautaire, même via Zoom.
Ce n’est pas dans un bâtiment dont la fonction était cultuelle que Jésus a institué la Cène. Les évangiles nous montrent unanimement qu’il a institué la Cène dans le cadre intime d’une maison ordinaire, et dont l’hôte est resté inconnu (Lc 22.7-13). Nous savons par ailleurs, que les premiers chrétiens partageaient la Cène dans les maisons (Ac 2.46). Ce n’est donc pas parce que le confinement nous prive de nos bâtiments habituels que nous ne pouvons pas partager la Cène.
Le partage de la Parole et de la Cène, tout comme la prière, sont des actes profondément communautaires, qui sont liés à la vocation même de ce que veut dire être communauté en Christ. Si partager la Cène via Zoom signifie prendre la Cène seul chez soi et pour soi, je suis plus que défavorable, je dirai même que c’est une perversion de la Cène. Mais prendre la Cène via Zoom, avec des frères et sœurs qui se rassemblent au nom du Seigneur, qui se souviennent de l’œuvre de la croix, confessent que Jésus-Christ, mort et Ressuscité, est Seigneur, rendent grâce à Dieu en partageant le pain et le vin… J’y suis favorable.
Si partager la Cène via Zoom signifie prendre la Cène seul chez soi et pour soi, je suis plus que défavorable, je dirai même que c’est une perversion de la Cène.
Bien sûr, je vois bien aussi que ça soulève d’autres questions, notamment le lien avec tous les membres de l’Église qui ne sont pas connectés ou qui ne souhaitent pas le vivre de cette manière. Il faut effectivement veiller à ce que cette pratique ne soit pas synonyme de discriminations sociales ou générationnelles, ou ne se transforme pas en sujet de division. Cela demande donc, dans la mise en œuvre pratique, une pédagogie pastorale pour que tous entendent qu’ils sont invités à la table de la communion avec le Seigneur et les frères et sœurs réunis en son nom.
Sans doute que le confinement m’a conduit vers un approfondissement de ma compréhension de la nature de la communauté chrétienne qui est d’abord, radicalement, essentiellement communauté en et par Jésus-Christ. Sur ce point, D. Bonhoeffer est à redécouvrir.
Au fond, confinement ou non, ce que la Cène signifie profondément ne change pas. En revanche, je considère que dans des circonstances normales, quand il est possible de se réunir physiquement en un même lieu, le recours à une application n’a pas la même signification. Dans le contexte de confinement, il est instrument de liaison, un allié pour maintenir le lien avec les autres, même si c’est un instrument imparfait ou limité. Dans un contexte de déconfinement, il pourrait devenir un obstacle à la rencontre incarnée, un instrument de désunion ou une fausse sécurité pour celui qui a peur de risquer sa santé en revenant dans la communauté.
Je considère que dans des circonstances normales, quand il est possible de se réunir physiquement en un même lieu, le recours à une application n’a pas la même signification.
Même dans le cas des malades, il est préférable de mettre en place une petite équipe de personnes qui peuvent rendre visite au malade et si les conditions le permettent, à la demande du malade, partager la Cène.
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