Que ressentez-vous lorsque vous croisez un sans-abri ? De la compassion ? Un sentiment d’impuissance ? De l’indifférence ? De la peur ?
Ce que nous ressentons et ce que nous faisons face à une personne dans la misère dépend de ce que nous voyons en lui (ou en elle). Au lieu de s’arrêter à la question « quels sont ses besoins ? », la question importante est plutôt « qui est-il ? »
Dans l’évangile de Luc, Jésus nous raconte l’histoire d’un homme immensément riche qui a croisé de nombreuses fois devant chez lui un homme extrêmement pauvre, nommé Lazare (Lc 16.19-31). À sa mort, Lazare est accueilli auprès d’Abraham, où il est consolé de tous ses tourments (v. 25). Le riche, au contraire, alors qu’il pensait avoir pour père Abraham (v. 24), n’est pas amené auprès de lui, mais il est emmené au séjour des morts, dans lequel il découvre des souffrances qu’il n’avait pas connues de son vivant.
De quoi est accusé ce riche pour subir un tel sort ? L’explication d’Abraham est lapidaire : « Mon fils, souviens-toi de combien de bonnes choses tu as joui pendant ta vie, tandis que Lazare n’a connu que des malheurs. À présent, ici, c’est lui qui est consolé, tandis que toi, tu es dans les tourments. » (v. 25) Est-il condamné pour avoir été riche ? Le jugement est-il un simple renversement des situations terrestres ? Le reste de l’échange montre en fait qu’il est accusé de ne pas avoir écouté « Moïse et les prophètes » (v. 29) en ne voyant en Lazare rien d’autre qu’un mendiant condamné à la pauvreté. Malgré le verdict rendu en faveur de Lazare, et la condamnation du riche, nous ne voyons aucune prise de conscience chez ce dernier. Le riche continue de nier la pleine humanité de Lazare en demandant sans hésiter que celui qui n’a connu sur terre que la souffrance quitte son lieu de repos pour aller rejoindre la famille du riche qui toute sa vie a refusé de lui venir en aide ! Le riche continue d’utiliser celui qu’il ne voit que comme un mendiant pour secourir les siens, en violant ainsi tous les commandements de Moïse et des prophètes, à commencer par celui d’aimer son prochain comme soi-même (Lv 19.18).
Si ce riche a pu ainsi passer devant Lazare, jour après jour, sans jamais le secourir, c’est qu’il n’a pas vu en Lazare plus qu’un misérable mendiant. Il a refusé de voir en lui un « prochain », un fils d’Abraham, et donc un frère.
Et si, nous aussi, nous étions victimes (ou coupables ?) de ce même trouble de la vision ? Personne ne voit la souffrance telle qu’elle est. La souffrance ne nous est accessible qu’au travers de notre relation avec ceux qui souffrent. Face à une catastrophe, il ne faut pas attendre longtemps pour entendre des prises de conscience du type « ça aurait pu être moi… », « elle avait l’âge de ma fille… », « je le connaissais… », etc. Nous sommes touchés par la misère à laquelle nous nous identifions. Bien souvent, nous restons insensibles à la situation du pauvre, parce qu’il n’est pour nous, rien d’autre qu’une personne dans la misère, avec qui nous n’avons rien en commun. Cela explique probablement pourquoi nous sommes plus préoccupés par le nombre de morts dû au COVID-19, qu’à celui dû au Paludisme[1]. Il nous est plus facile de nous sentir proche lorsque nous connaissons directement des victimes, ou lorsque que les victimes ressemblent à des personnes qui nous sont proches, que lorsque les victimes sont des personnes à l’autre bout du monde, dont les vies n’ont rien de similaire avec les nôtres.
Voici trois manières dont la Bible nous amène à voir la personne derrière la pauvreté ; à voir le Lazare, derrière le mendiant :
De la même manière que le riche n’aurait pas ignoré Lazare, jour après jour, s’il avait vu en lui son Messie, comment agirons-nous si nous reconnaissons Jésus, notre Seigneur glorieux, derrière tous les Lazare qu’il met sur notre chemin ?
[1] Le paludisme fait plus de 400 000 morts en 2018. 67% d’entre eux étaient des enfants de moins de 5 ans, et 94% des décès se sont produits en Afrique. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/malaria (consulté le 18 juin 2020).
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