Alors que le chef de l’État français prononçait il y a peu un discours choc sur la laïcité et les « séparatismes », annonçant par là un renforcement de celle-ci notamment dans les services publics, le débat public sur la question fait rage. D’une manière générale, au cours des dernières années, la laïcité s’est retrouvée au cœur d’une actualité brûlante : question du port des signes religieux ; scandale des prières dans la rue ; polémique autour des menus dans les cantines scolaires et des crèches de Noël ; réforme de l’observatoire de la laïcité, etc. Sur la scène nationale, la tendance de fond semble être clairement au désir d’évacuation de l’expression religieuse dans l’espace « public ».
Pour autant la laïcité n’est pas cela. Bien au contraire, son plus beau combat devrait être la défense de nos libertés fondamentales : liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de le dire dans tous les cas. Il est aussi urgent, dans la société comme dans l’Église, de travailler à la réhabilitation d’une juste compréhension du principe de laïcité.
Il est commun en France de résumer la laïcité au principe de séparation de l’Église et de l’État. N’est-ce pas d’ailleurs ainsi que l’on présente le dispositif de la Loi 1905 : « Loi de séparation de l’Église et de l’État » ? Ainsi, dans les esprits, la laïcité est d’abord marquée par ce principe « séparatiste ». Pour autant, la laïcité n’est-elle que cela ? Ce dispositif de séparation constitue-t-il l’alpha et l’oméga de la laïcité, ou seulement un moyen utile en vue d’atteindre d’autres buts, d’autres valeurs ?
Dans un ouvrage dédié à la question, Baubérot et Milot, deux grands spécialistes de la laïcité (voir “Pour aller plus loin”), montrent de manière assez convaincante que dans les différents contextes nationaux qui ont présidé à la naissance du principe de laïcité, l’idée de séparation de l’Église et de l’État n’est systématiquement advenue que dans un second temps. Ceci afin de servir d’autres valeurs / finalités premièrement recherchées dans l’histoire. Autrement dit, loin d’être le critère ultime, voire le principe absolutisé de la laïcité, cette séparation, toute utile qu’elle soit, n’est finalement qu’un moyen dont celle-ci se dote afin de servir un bien plus grand.
L’idée de séparation de l’Église et de l’État n’est systématiquement advenue que dans un second temps.
Ce bien recherché se décline en deux valeurs essentielles de la laïcité : la liberté de conscience et l’égalité entre tous les citoyens.
En Occident, après des siècles au cours desquels l’Église et l’État régnaient indissolublement sur les consciences, émerge au 16ème siècle avec l’humanisme et le mouvement de la Réforme de nouvelles façons de penser. Se pose alors une question, nouvelle : comment faire et vivre ensemble lorsqu’on ne pense plus pareil ?
Le premier réflexe, afin de faire face à cette pluralité naissante, va être de marquer théologiquement les territoires. À tel prince et à telle région, telle religion. Des ghettos confessionnels se forment ainsi partout en Europe, précipitant dès lors le continent dans les guerres de religion que l’on connaît et qui marqueront tragiquement son histoire.
Considérant cet échec amer de la confessionnalisation des territoires, les philosophes des lumières vont commencer à imaginer la possibilité de vivre ensemble sans nécessairement résoudre les différents théologiques en se « mettant dessus » ou en faisant « nation à part ». Le concept politique de la liberté de conscience est né. Avec son corollaire, indispensable : le principe de l’égalité entre tous les citoyens. Autrement dit le fait de garantir à chaque ressortissant sur le territoire national une égalité de traitement, quelles que soient ses convictions et ses appartenances.
Nous posons ainsi que c’est bel et bien les deux finalités précédemment évoquées – les principes de liberté de conscience et d’égalité citoyenne – qui ont d’abord été recherché dans l’histoire de nos sociétés (devenant plurielles) comme les deux biens nécessaires pour permettre la vie commune. En d’autres mots, la visée de tout processus de laïcisation n’est pas d’abord la séparation de l’Église et de l’État, et encore moins la neutralisation des religions, mais au contraire la possibilité, pour chacun, de croire et de vivre comme il l’entend. Ceci sans que le fait d’appartenir à un groupe ou une religion minoritaire ne fasse de soi un citoyen de seconde zone.
En d’autres mots, la visée de tout processus de laïcisation n’est pas d’abord la séparation de l’Église et de l’État, […] mais au contraire la possibilité, pour chacun, de croire et de vivre comme il l’entend.
À partir de là, l’édifice juridique s’est progressivement étoffé, la réflexion s’est affinée. Afin de permettre à chacun de jouir concrètement de ce nouveau régime de liberté et d’égalité, l’État se devait alors de renoncer à se lier d’une manière préférentielle à tel ou tel groupe dans le corps social ou à définir la loi commune en fonction des valeurs particulières de celui-ci. C’est ainsi que l’État s’est affranchi petit à petit de la tutelle religieuse. Et dans le même temps, l’État renonçant à mettre son nez dans les affaires confessionnelles, les religions gagnaient en liberté. Dès lors, au bénéfice de chacun, une ligne de démarcation s’est ainsi édifiée – un mur de séparation dira Thomas Jefferson –, entre d’un côté les Églises, et de l’autre l’État. À charge pour celui-ci d’édicter la loi commune, organiser matériellement le vivre ensemble en considération de l’intérêt général ; à charge pour celles-ci de prescrire ce qui relève de la transcendance, de l’espérance, du sens et de la vie bonne.
À ce principe de séparation s’est ajouté le principe de neutralité de l’État en matière religieuse. En effet, le désir de séparation de l’Église et de l’État a pu malheureusement dans l’histoire se muer en désir de neutralisation du phénomène religieux dans l’espace de la vie commune. Or précisément, le fait d’imposer à la puissance publique un devoir de neutralité en matière de religion permet d’éviter autant que possible cet écueil. Autrement dit, le principe de la neutralité de l’État signifie que la puissance publique renonce à prendre parti pour telle ou telle option spirituelle, philosophique ou religieuse. L’État est impartial entre toutes, et refuse dès lors toute attitude d’hostilité ou d’intimidation à l’endroit des pratiques religieuses. Couplée au principe de séparation, c’est ainsi la garantie pour chaque citoyen de disposer entièrement de sa liberté de conscience sans être inquiété ou menacé de quelque façon que ce soit.
Pour conclure, il est plus que jamais urgent dans le contexte actuel, au nom même de la laïcité, de rappeler que le plus beau combat de celle-ci doit être précisément de veiller à la promotion et à la défense des libertés de chacun. Liberté de croire et de ne pas croire, et de pouvoir le dire tranquillement dans tous les cas, sans être inquiété. N’est-ce pas au fond exactement cette sagesse qu’exprimait l’apôtre Paul il y a 2000 ans ? Celle d’un vivre ensemble libre et paisible, condition pour chaque homme de cheminer idéologiquement et spirituellement comme il l’entend :
“Je recommande donc, avant tout, qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité. Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.” 1 Timothée 2.1-4
Le combat reste à mener, et il commence par la prière ; rien n’est donc perdu. Dès lors, agissons, prions, et travaillons autour de nous, dans nos communautés et au-delà, à cette compréhension éclairée et bonne de la laïcité. Les enjeux spirituels et politiques ne sont en effet pas neutres.
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