Admettons que je me retrouve à une messe (dans une Église catholique) à l’occasion d’un baptême, d’un mariage ou autre. L’Eucharistie va être célébrée. Vais-je y participer ? La soif de l’unité de l’Église m’y pousserait. Les différences de convictions fondamentales entre la tradition évangélique professante (dans laquelle je me situe, et à partir de laquelle je réponds donc à la question posée) et la tradition catholique m’en retiendraient. Que faire alors ? Avant d’aller plus loin, voyons d’un peu plus près ce qu’est l’Eucharistie catholique.
Le mot Eucharistie est utilisé dans l’Église catholique pour désigner ce que nous appellerions la Sainte-Cène. Celle-ci ne peut être célébrée que par des prêtres ordonnés, c’est-à-dire par des prêtres qui s’inscrivent dans la succession apostolique. Pour l’Église catholique en effet, les ministres du cultes – prêtres et évêques – doivent être ordonnés par des évêques qui ont eux-mêmes été ordonnés par des évêques qui… etc. par des évêques qui ont été ordonnés par les apôtres. On peut donc déjà noter que la Cène célébrée dans nos Églises évangéliques n’est pas reconnue par l’Église catholique comme véritable.
En vertu de son ordination, lorsque le prêtre prie pour les éléments (le pain et le vin), ceux-ci deviennent réellement le corps et le sang de Jésus. C’est ce qu’on appelle la transsubstantiation, car c’est la substance des éléments qui est transformée, et non pas la matière elle-même. Le pain reste matériellement du pain, mais son être (ce qui n’est pas accessible aux sens ni même à l’étude empirique) est devenu corps du Christ. Et puisque l’hostie est devenue réellement corps du Christ, l’Eucharistie communique réellement la grâce. Elle n’en est pas juste un signe.
Dans la perspective catholique, l’Eucharistie est un sacrifice non-sanglant réalisé par le prêtre, et qui actualise l’unique sacrifice du Christ pour les croyants. Sur ce point les protestants et les évangéliques brandissent souvent l’éphapax de la croix. Qu’est-ce que c’est ? Il s’agit de « l’une fois pour toutes » du sacrifice de Jésus (Hé 7.27). Les protestants et les évangéliques comprennent bien souvent la conception sacrificielle de l’Eucharistie catholique comme une atteinte à cet « une fois pour toutes ».
La critique n’est certainement pas sans fondement, mais il faudrait l’affiner. Car la doctrine catholique parle bien d’actualisation de l’unique sacrifice du Christ. L’une fois pour toutes est bien pris en compte, mais dans une conception du temps qui diffère de la nôtre. Bref, je ne m’aventurerai pas plus sur ce terrain, au risque de perdre le lecteur et moi-même avec.
Voyons maintenant comment nous, évangéliques, comprenons la Cène. Le pain et le vin (parfois le jus de raisin) sont envisagés comme des symboles du corps et du sang de Jésus. Ils ne sont pas le corps et le sang de Jésus. Jésus-Christ n’est pas réellement présent dans les éléments. Il est, en revanche, réellement présent dans la communauté qui célèbre la Cène !
La Cène est donc envisagée comme un acte humain, institué par Jésus (Mt 26.17-29 ; Mc 14.12-25 ; Lc 22.7-23 ; 1 Co 11.23‑25), et par lequel nous confessons notre foi en sa mort, nous célébrons les bénéfices qu’il nous a acquis par la croix, et nous annonçons son retour.
Dans une perspective évangélique, la Cène n’a donc aucune dimension sacrificielle, mais elle est un mémorial de l’œuvre de Jésus, et une confession de la foi de la communauté (Henri Blocher parle alors d’acte homologétique, du verbe grec homologeo, confesser).
Les manières d’envisager ce repas institué par le Seigneur sont donc très différentes entre l’Église catholique et les Églises évangéliques. Avant de déterminer si ces différences de conception sont problématiques pour participer ensemble à une Eucharistie, voyons comme l’Église catholique envisage elle-même l’accueil de non-catholiques à cette célébration.
Le document catholique officiel Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme (1993) donne le principe suivant : « la communion eucharistique est inséparablement liée à la pleine communion ecclésiale et à son expression visible ». Dans cette perspective (partagée par un grand nombre de chrétiens, même non-catholiques), l’Eucharistie ne peut donc pas constituer une étape vers la pleine unité de l’Église, mais en est plutôt son aboutissement. Selon ce principe, seuls donc des catholiques peuvent participer à l’Eucharistie.
Mais des exceptions sont tout de même admises, sous certaines conditions que voici : « un désir spirituel éprouvé des liens de communion fraternelle profonds et continus avec des catholiques (tels qu’ils sont vécus dans certains foyers mixtes et dans quelques groupes œcuméniques durables), une foi sans ambiguïté quant à la dimension sacrificielle du mémorial, quant à la présence réelle et à la relation entre communion eucharistique et communion ecclésiale, enfin un engagement actif au service de l’unité que Dieu veut. » (L’hospitalité eucharistique avec les chrétiens issus de la Réforme en France, 1983).
Ce qu’il faut retenir à mon avis, c’est que l’Église catholique elle-même n’accepte pas une participation « extra-catholique » à l’Eucharistie sur la seule base d’un désir personnel. Il faut notamment que celui qui communie croie « sans ambiguïté » au caractère sacrificiel de l’Eucharistie, et à la présence réelle du Christ dans les éléments.
Revenons à la question que je posais plus haut : peut-on participer à l’Eucharistie avec des catholiques, malgré nos conceptions très différentes sur ce point ? Certains diront « que chacun la prenne en y mettant le sens qu’il souhaite ! ». Influence individualiste oblige. Rappelons-nous que la Cène est l’acte communautaire par excellence (1 Co 10.17). Par notre foi en Jésus-Christ nous sommes rendus frères et sœurs les uns des autres, et cela est manifesté lors de la Cène par le partage du pain. Nous ne pouvons donc pas tous prendre un même pain, l’un célébrant le sacrifice non-sanglant du Christ et mangeant littéralement le corps de Jésus et l’autre célébrant les bénéfices de la mort de Jésus pour lui.
Une plus grande communion est nécessaire pour pouvoir célébrer l’Eucharistie avec nos frères et sœurs catholiques. L’Église catholique elle-même exige d’un protestant une foi en la présence réelle et au caractère sacrificiel de l’Eucharistie en vue de la communion. À mes yeux et au vu de ces raisons, un évangélique professant (qui partage donc la conception de la Cène mentionnée plus haut) ne pourra pas en toute conscience communier à l’Eucharistie de l’Église catholique romaine.
Mais cette situation devrait nous insatisfaire. On ne peut que déplorer que la célébration communautaire par excellence soit devenue pierre d’achoppement quant à l’unité de l’Église. L’unité est bafouée là où elle doit être célébrée ! Cultivons donc une insatisfaction profonde de la situation, et œuvrons à l’unité par des moyens légitimes, déjà existants : prière commune, étude de la Bible ensemble, dialogues théologiques, mise en commun des forces pour l’œuvre sociale, etc.
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