Doctrine

Une question d’image – partie 1

Lorsque le sujet des différences entre confessions chrétiennes est évoqué, il n’est pas rare que l’on oppose l’Orthodoxie au Protestantisme sur la question de l’iconographie. À première vue, Protestantisme et icônes ne font en effet pas bon ménage ! Pourtant, comme l’indique Robert Letham, « les Réformés diffèrent de l’Orient, considérant que l’opinion orientale est trop restrictive. Pour les Réformés, la création toute entière est une icône [1]». Nous pourrions même aller plus loin en considérant que le projet de Dieu, de la création à la nouvelle création, constitue un vaste processus d’ « iconisation ». En quel sens, me demanderez-vous ?

Création et iconisation

Toute œuvre artistique peut être perçue comme un portrait en creux de son auteur. Ainsi, pour Herman Bavinck, théologien néerlandais du début du XXème siècle, l’unité dans la diversité de la création reflète l’unité dans la diversité du Dieu trine (Père, Fils et Saint Esprit). La création illustre donc la majesté du Créateur, sans jamais se confondre avec lui, de sorte que « la Trinité est entièrement différente de tout le reste, mais tout le reste est comme la Trinité[2] ».

Si le cosmos dans son ensemble forme une icône à la louange du Seigneur, la création de l’humanité en image de Dieu désigne l’être humain comme le reflet par excellence de Dieu dans la création (Gn 1.26). En réalité, l’homme est une icône particulière du Créateur puisqu’il a été créé à l’image de l’Image originelle de Dieu ; Dieu le Fils (He 1.3) qui constitue, en quelques sorte, le moule originel de l’humanité, l’archétype : « c’est parce que Jésus est la véritable image de Dieu, le Fils éternel élu pour devenir homme, qu’Adam a été créé au début à l’image de Dieu, comme image de l’image de la personne de Jésus [3]».

Créée dans le Fils (Col 1.16) et prédestinée à devenir conforme à lui (Rm 8.28-29), l’humanité reçoit une vocation singulière : réfléchir comme dans un miroir la gloire du Créateur en tant que vice-roi et gestionnaire des biens divins (Gn 1.28). Adam, « fils de Dieu » (Lc 3.38)  par création a donc reçu un appel à la hauteur de sa dignité. Le psalmiste ne s’y est pas trompé, l’être humain a été fait « de peu inférieur à un dieu, tu l’as couronné de gloire et de magnificence. Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds » (Ps 8.6-7).

La création toute entière est une icône

Chute et iconisation

Malheureusement, l’irruption du péché et de la mort dans la bonne création de Dieu va venir ternir ce beau tableau (Gn 3). L’inimitié entre Créateur et créature entraine une inversion malsaine : l’idolâtrie représente le péché par excellence puisqu’elle consiste à substituer au Dieu vivant une image créé de main d’homme (Rm 1.23). Autrement dit, l’être humain se créé des dieux … à son image.

Si l’être humain demeure malgré tout l’icône de Dieu (Gn 9.6 ; Jq 3.9), il fait désormais mauvais usage de son autorité et de sa puissance (Rm 3.11-18) : la domination devient prédation, l’autorité se change en tyrannie, la communion se transforme en rivalité (Gn 4-6). En résumé, tel un miroir brisé, l’homme reflète imparfaitement son Créateur, l’image devenant caricature.

Toutefois, loin d’abandonner sa créature, Dieu fait alliance avec un homme, Abraham (Gn 15.7-21), qui deviendra l’ancêtre d’une nation appelée à ressembler au Dieu saint (Lv 20.26). La loi devait ainsi distinguer les hébreux des nations environnantes. Malheureusement, toute l’histoire d’Israël témoigne de son incapacité à représenter adéquatement son Seigneur devant les nations (Ez 36.23). Par la bouche des prophètes, le Seigneur annonce cependant la venue d’un serviteur qui réussira là où Israël a échoué (Es 49.5-10).

Tel un miroir brisé, l’homme reflète imparfaitement son Créateur, l’image devenant caricature.

Incarnation et iconisation

Au tournant des âges, Dieu tient parole en envoyant son Fils unique, Jésus-Christ, né d’une femme et né sous la loi dans la puissance de l’Esprit (Gal 4.4). Ce Fils éternel et incréé n’est ni un ange, ni un sous dieu, mais la deuxième personne de la Trinité venu en chair pour faire connaitre Dieu à l’humanité (Jn 1.14-18). Le Nouveau Testament atteste que le Fils est devenu homme sans cesser d’être Dieu (Ph 2. 5-11).  Le Fils, dans son humanité, est donc véritablement l’icône vivante de Dieu, « l’image du Dieu invisible » (Col 1.15). En d’autres termes, en prenant forme humaine, le Fils a reçu un corps (Hb 10.5), corps qui visibilise Dieu tant et si bien que voir Jésus revient à voir Dieu (Jn 14.9). Comme le dit Thomas D’Aquin, « de même, en effet, que le verbe humain assume la voix pour se faire connaître sensiblement aux hommes, de même également le Verbe de Dieu a pris la chair pour apparaître visiblement aux hommes [4]».

Toutefois, ce n’est qu’en débutant son ministère public que Jésus va pleinement « imager » Dieu pour restaurer l’humanité à l’image de Dieu … tout en demeurant voilé aux yeux de beaucoup ! C’est ce que nous verrons dans la deuxième partie de notre article à paraitre prochainement.

En prenant forme humaine, le Fils a reçu un corps qui visibilise Dieu tant et si bien que voir Jésus revient à voir Dieu

 

[1] Robert Letham, Systematic Theology, Wheaton : Crossway, 2019, p.283

[2] James Eglinton, Trinity and organism, T&T Clark : Londres, 2013 p.89

[3] Paul Wells, La grâce (étonnante) de Dieu. Une théologie biblique et systématique de l’alliance, Charols : Excelsis, 2021, p.415

[4] Thomas D’Aquin, Abrégé de théologie, Compendium Theologiae ou Bref résumé de théologie pour le frère Raynald, I, 220, traduit par J.P. Torrell,  Paris : Cerf, 2007, p. 497.

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Matt Moury est pasteur de l'Église protestante baptiste d'Argenteuil et missionnaire de Christ Church Cambridge, une Église anglicane évangélique. Il co-anime le podcast Le Café Théo et produit Un Café avec Henri Blocher.

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