Nous avons tous besoin de prendre soin de notre santé spirituelle et émotionnelle. De très bonnes ressources sont parues ces derniers temps pour nous aiguiller, notamment Les chemins d’une spiritualité émotionnellement saine. La maturité spirituelle est inséparable de la maturité émotionnelle de Peter Scazzero (Excelsis, 2018).
Dans cet ouvrage, l’auteur nous invite à un voyage qu’il a lui-même entrepris : celui qui conduit vers une spiritualité émotionnellement saine. C’est une des forces du livre : Peter Scazzero parle honnêtement de son propre vécu douloureux qui a été le point de départ de sa recherche pour concilier spiritualité et émotions. Quel courage d’affirmer que le jour où sa femme lui a dit qu’elle allait quitter l’Église dont il était pasteur – car cela ne valait pas la peine de suivre son leadership – « ce fut probablement la chose la plus affectueuse qu’[elle] a faite » (p. 28) !
Cette approche d’une spiritualité tenant compte de tous les domaines de notre être mérite d’être redécouverte aujourd’hui où il peut nous arriver d’avoir peur d’une spiritualité (trop) émotionnelle. Cette peur peut avoir pour effet secondaire de négliger les émotions, de ne pas en tenir compte dans le développement de la foi et du coup de stagner dans la croissance spirituelle.
Le lecteur rencontrera dans cet ouvrage de nombreuses références à des ressources riches glanées dans l’Histoire de l’Église (Augustin ; Benoît ; Thomas d’Aquin ; Ignace de Loyola ; Jean de la Croix ; G. K. Chesterton ; Karl Barth ; Mère Teresa ; Thomas Merton ; etc.) qui montrent que d’autres époques ont de belles choses à nous apprendre quant à cette réconciliation de la foi et des émotions.
Le voyage commence par un état des lieux des « dix premiers symptômes d’une spiritualité émotionnellement malsaine » (p. 31), comme par exemple ne pas se permettre de vivre certaines émotions, vivre comme si l’on n’avait pas de limites, spiritualiser les conflits ou faire pour Dieu au lieu d’être avec lui. C’est une invitation à prendre du temps de qualité avec Dieu, à son écoute pour notamment éviter de tomber dans le piège de l’activisme addictif. Dans son chapitre 6, « Découvrir les rythmes des rendez-vous quotidiens et du sabbat », Scazzero présentera des ressources précieuses pour relever ce défi dans la durée. S’arrêter, se reposer, se réjouir, contempler : « Quand ils sont vécus dans le christianisme actuel, les rendez-vous quotidiens et le sabbat sont des actes révolutionnaires qui vont à l’encontre de la culture occidentale. Ce sont des déclarations puissantes sur Dieu, nous-mêmes, nos croyances et nos valeurs » (p. 193)
C’est un autre thème important que l’auteur développe. Le deuxième chapitre parle de se connecter à ses émotions et de découvrir son « vrai moi » qui n’est pas défini par ce que nous faisons, avons ou par ce que les autres pensent de nous.
Le « moi » est une notion complexe qui peut avoir des significations différentes selon le contexte dans laquelle elle est utilisée. Avec des exhortations pauliniennes comme celle à se débarrasser du vieil homme (voir Ép 4.22), ou des affirmations comme « je sais que le bien n’habite pas en moi » (Rm 7.18 ; voir aussi Ga 2.20), le « moi » peut sembler ne pas être quelque chose que nous serions appelés à rechercher, une telle quête risquant trop le nombrilisme ou le narcissisme. Pourtant, quand Peter Scazzero invite à se connecter à son « vrai moi » il parle de quelque chose d’autre, à savoir le projet initial de Dieu pour notre vie et le fait de devenir pleinement la personne que Dieu a voulu que nous soyons, créée à son image.
L’auteur insiste aussi sur l’importance de prendre au sérieux son passé : « Revenir en arrière pour mieux aller de l’avant » est une étape indispensable. « L’histoire familiale vit en nous tous, spécialement en ceux qui essaient de l’enterrer » (p.104). Quels sont les commandements qui régissent nos familles d’origine ? Comment ceux-ci influencent-ils encore aujourd’hui notre vie émotionnelle et spirituelle ?
Dans le chapitre « La traversée du mur » sont abordées les notions de pouvoir et de contrôle, incontournables pour une auto-évaluation honnête de notre pratique. Le mur est ici ce que Jean de la Croix a appelé La Nuit obscure de l’âme. C’est un processus de transformation où nous nous ouvrons à l’humilité et au mystère, où nous abandonnons la tendance à « rappeler à Dieu la nécessité de se comporter de manière conforme aux idées claires » que nous nous faisons de lui (p. 153). Il s’agit aussi de développer la « capacité à s’attendre à Dieu » (p. 156), qui s’exprime très concrètement dans des actes quotidiens comme écouter les gens au lieu de finir les phrases à leur place.
Le voyage continue avec « Élargir son âme au travers des deuils et pertes », qui nous place devant nos limites. Nous ne pouvons pas tout faire dans la vie ; leçon tellement importante que nous avons besoin de réentendre pour pouvoir la transmettre : « une des grandes tâches de l’éducation des enfants et du leadership est d’aider les autres à accepter leurs limites » (p. 184).
Traverser le deuil, accepter les pertes au lieu de les nier nous fait vivre le message d’espoir qui est au centre de la foi chrétienne : « Le chemin de la vie passe par la mort, la vie vers la résurrection passe par la crucifixion » (p.171).
Le chapitre « Grandir pour devenir un adulte mûr sur le plan émotionnel » parle de notre attitude face au conflit et présente des pistes pour entretenir des relations « Je-Tu » à la place des relations « Je-Cela » : parler et écouter vraiment en pratiquant la reformulation, reconnaître les droits de chacun, arrêter de lire dans les pensées, clarifier les attentes, devenir conscient des allergies et déclencheurs de nos « réaction[s] intense[s] » (p. 252) sur le plan émotionnel. Il s’agit d’actes de notre entourage qui font appel à un évènement du passé et amplifient nos réactions dans le présent. Mettre en mots nos allergies est une étape importante pour devenir émotionnellement mature et contribuer à ce que notre communauté le devienne également.
En conclusion, Peter Scazzero explique que le mot « règle », que nous pouvons être timides à employer, vient du mot « treille », ou « treillis » : « une règle de vie est une treille qui nous aide à nous conformer à Christ et à devenir spirituellement plus féconds », « un plan intentionnel et conscient pour maintenir Dieu au centre de tout ce que nous faisons » (p. 258). C’est un appel à être intentionnel dans notre vie spirituelle tout en tenant compte de notre caractère et en testant les manières de faire qui nous correspondent le mieux. L’auteur détaille quatre grands domaines d’une règle de vie : prière, repos, travail et relations. Il n’en fait pas une liste de de cases à cocher, mais « une vue panoramique » (p. 263) de ce à quoi peut ressembler « l’échafaudage » qui nous aide à cheminer vers une spiritualité émotionnellement saine en respectant le chemin unique sur lequel Dieu mène chacun de nous.
Chaque chapitre se termine avec une prière qui invite le lecteur à vivre sa lecture devant Dieu, dans une relation d’abandon, de confiance et d’amour. L’ouvrage a une dimension très pratique et propose de nombreuses pistes concrètes d’application. Le sujet, une spiritualité incarnée et tenant compte de toutes les dimensions de notre être, est une préoccupation incontournable pour tout chrétien. La conclusion de l’auteur sera aussi la mienne : « ma prière est que Dieu vous donne le courage de vivre fidèlement votre vie unique en Christ » (p. 280).
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