« Garde ton cœur » (Pr 4.23). Chez celui ou celle qui a connu et aimé le Seigneur, ces trois mots, ont un immense pouvoir d’évocation. Ils plongent évidemment dans le souvenir des époques de réveil où les chrétiens étaient plus pieux, plus zélés pour le pur, pour l’intégrité, la droiture. Mais pas seulement, ils nous ramènent aussi à l’époque de notre « premier amour » (Ap 2.4). Nous étions plein de bonne volonté, d’idéal, d’illusion. Un peu de nostalgie. Puis place au réalisme et à la sagesse de l’expérience. Personne n’est pur évidemment. Et par ailleurs, nous le sommes tous en Jésus Christ. Nous passons alors au verset suivant, avec une certaine amertume, un peu désabusé. Du découragement de ceux qui ont essayé, sans jamais y parvenir et qui ont laissé tomber. Faute peut-être d’avoir bien compris de quoi il s’agissait.
Il faut dire qu’autour de nous et dans l’histoire de l’Église, ceux qui ont héroïquement entrepris de « garder leur cœur », ont bien souvent porté un témoignage peu motivant. Ils sont de ces héros de la foi, auxquels on ne voudrait pas forcément ressembler. « Garder son cœur », ça fait vite amish… L’ambiance sèche et poussiéreuse de ceux qui se gardent de la contamination « du monde » donne tout de même la nausée. La fierté ridicule du religieux dont la perfection morale égale la solitude et l’austérité, nous amuse quand elle ne nous énerve pas. Ceux-là non plus, ne semblent pas avoir saisi le sens de cette exhortation.
Cette forme de puritanisme a bien fini par s’essouffler. Mais son redoutable ennemi, le « monde », lui, a survécu… Or, l’amour du monde déclenche encore et toujours la jalousie de Dieu (Jc 4.4-8 ; 1Jn 2.15). N’en déplaise donc à notre goût pour le « contemporain », nous sommes inévitablement les héritiers du combat traditionnel contre cette antique passion.
Or, l’amour du monde déclenche encore et toujours la jalousie de Dieu. N’en déplaise donc à notre goût pour le « contemporain », nous sommes inévitablement les héritiers du combat traditionnel contre cette antique passion.
Cependant, nul besoin de se retirer physiquement du monde comme Israël de Babylone. Pour les chrétiens, la séparation de l’environnement impie est d’ordre spirituel (2Co 6.17 ; Ap 18.4), afin de vivre dans le monde sans que le monde ne vive en nous, sans que ce qui l’anime nous anime.
Il existe donc bien une façon de vivre « avec son temps » et de jouir de ce que la vie propose, qui ne change pas nécessairement la liberté chrétienne en compromission (Ga 5.13). Selon Jacques, « se garder des souillures du monde » n’est pas incompatible avec la poursuite d’une « loi de liberté » (Jc 1.25-27) ! Tel est le programme de « la religion pure et sans tâche ». Comment donc, ne pas sevrer notre cœur de « l’esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion » (Ep 2.2) ? Comment ne pas rejeter les corruptions que diffuse « la génération perverse et corrompu » que nous côtoyons (Ph 2.15 ; Rm 16.19) ? Comment pourrions nous nous conformer « au présent siècle mauvais », à sa mentalité et ses idéologies (jeunisme ? festivisme ? féminisme ? écologisme ? consumérisme ? et tout ses « ismes »…) alors que nous en avons été arrachés (Ga 1.4 ; Rm 12.2) ? Encore une fois, la question n’est pas d’être à contre-courant, la pureté ne se trouvant pas dans la mode du siècle passé (machisme et racisme, ce n’est pas mieux !) mais notre vigilance doit s’exercer à l’égard de « ce qui est dans le monde » aujourd’hui (malheureusement, certains maux ont traversé les siècles…).
Cette recherche de la pureté chrétienne (dont le rapport au monde n’est qu’un aspect !) est légitime. Elle n’a en elle-même, rien d’un légalisme ni d’une poursuite téméraire et idéaliste. Force est de constater pourtant, qu’elle tourne facilement au purisme, cette idée d’une pureté essentielle et naturelle qu’il faudrait reconquérir. Certainement, parce que le religieux, dans sa quête du Mieux et du Bien, se rend très vulnérable à l’idéal qu’il voudrait incarner ; séduit, il en vient à faire fi, de la réalité de la chute et de la corruption totale de l’homme. En apparence la recherche est la même, mais le moteur et le but ne sont plus « la grâce de Dieu », ni le zèle « pour les bonnes œuvres » (Tt 2.12-14; 1P 1.22), mais l’idéal de soi.
En apparence la recherche est la même, mais le moteur et le but ne sont plus « la grâce de Dieu », ni le zèle « pour les bonnes œuvres », mais l’idéal de soi.
Or l’idéal n’est pas mignon mais coupable ; l’angélisme est un péché, puisqu’il est par définition, révolte, idole et tromperie. Dans cette ambition narcissique il y a une violence particulière : « ne sois pas juste à l’excès, ne sois pas trop sage, pourquoi te détruirais-tu ? » (Ec 7.16). Le philosophe Vladimir Jankélévitch[1] décrit très bien cela : « La paralysie complète : voilà le châtiment destiné à ceux qui entendent préserver en eux même un état de parfaite asepsie morale » (p.32). Le puriste ne fait pas vivre le cœur en le purifiant (« car de lui viennent les sources de la vie » v.23), il le fait mourir. À la place de l’oxygène qu’offre la source abondante, c’est l’asphyxie totale : « il ne faut plus parler ni respirer, il faut même se retenir de penser si l’on ne veut pas embuer le cristal translucide de l’âme » (p.31). Puisqu’ici bas tout est corrompu et que l’« homme – ange d’un instant » en a bien conscience, voici l’unique option qui s’offre à lui : hibernation perpétuelle, silence, solitude. Peut-être que cela satisfera le puriste, mais nous sommes là, loin de l’abondance d’amour à l’égard du Seigneur et du prochain, qui devrait caractériser la vie des saints.
Pascal avait vu juste : « qui veut faire l’ange fait la bête ». Mais entre cette tyrannie stérile du purisme et l’impureté délibérée, il existe une voie biblique : la purification. Celle-ci est d’ailleurs, la seule pureté qui nous soit accessible.
En effet, la Parole nous enseigne que le cœur de l’homme est le siège de toutes les impuretés (Mc 7.20-23 ; Jr 17.9). Ainsi, pour pouvoir « garder un cœur pur », il faut d’abord l’avoir reçu par le moyen de la repentance et de la foi. Lorsque le Seigneur par son Esprit, nous lave de toutes nos souillures, de nos passions et idoles, Il nous atteint si profondément qu’Il remplace notre ancien cœur par un nouveau (Ez 36.25-26 ; Pr 51.12). Cette première purification est, pour ainsi dire, l’inauguration du cœur vivant et entier. De là jaillit le « premier amour ».Mais entre cette tyrannie stérile du purisme et l’impureté délibérée, il existe une voie biblique : la purification. Celle-ci est d’ailleurs, la seule pureté qui nous soit accessible.
Dès lors, uni au Seigneur Jésus par la foi, le chrétien sera au bénéfice de l’efficacité permanente de Son sang (1Jn 1.7). Cela à la condition qu’il continue de « se laver » : « si nous marchons dans la lumière » est-il écrit. C’est-à-dire que la confession et la purification des « péchés nouveaux », tout comme celles des « anciens péchés » ne peuvent être mises en oubli (2P 1.9) durant la vie chrétienne. Ainsi, pour que la conscience et le corps soient gardés purs (Hé 10.22), le cœur sans partage, la repentance et la foi resteront de mise notre vie durant (Ap 22.11). Celui qui marche ainsi verra son « premier amour » renouvelé, voire grandi. Car plus nous aurons été pardonnés, plus nous aimerons notre Seigneur (Lc 7.46-47).
[1] Dans son ouvrage Le pur et l’impur, Editions Flammarion, Paris, 1960
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