Vie chrétienne

Vivre à deux aujourd’hui : les fondements et le relationnel (1)

Si la vie de couple fait partie de la réalité sociale des siècles passés, les formes qu’elle prend changent avec le temps. Et il revient à chaque génération de chrétiens, dans la culture et l’environnement qui sont les leur, de définir ce qu’est concrètement vivre en couple. Ce n’est pas une surprise, parce qu’il en est de même dans beaucoup d’autres domaines, par exemple le fonctionnement de l’Église, l’évangélisation, le culte, etc.

Bien sûr, tout n’est pas à réinventer tout le temps ! Mais quand même. Les livres qui traitent de l’histoire du mariage au fil des siècles permettent de voir l’évolution et ses nécessités. Et la comparaison avec les descriptions bibliques met en lumière le changement. Dans leur réflexion pratique, les chrétiens ne partent pas de zéro : la Bible ne fournit pas un modèle, mais des points de repères stables. Il faut donc, à partir des données bibliques, traduire la théologie de la vie de couple en pratique.

Les fondements

Cette théologie nous dit (1) que le mariage n’est pas une institution chrétienne mais qu’il relève de l’ordre de la création. Elle précise (2) que le mariage est une alliance, comme le confirme l’usage fréquent de la métaphore conjugale pour évoquer la relation entre Dieu et Israël, et plus encore, dans le Nouveau Testament, la relation du Christ à l’Église. Par ailleurs, cette théologie du mariage nous dit (3) qu’il y a une façon spécifiquement chrétienne de vivre à deux, qui consiste en particulier à appliquer à la vie de couple les principes, valeurs et orientations de la vie de disciple.

C’est à cause du point (1) que dans les ressources chrétiennes sur le mariage, on trouve énormément de choses qui relèvent tout simplement du bon sens, de la sagesse pratique. C’est le cas de la communication. Communiquer dans le couple est essentiel, mais c’est un conseil qui n’est pas spécifiquement chrétien, et c’est ce qu’on peut souhaiter à tous les couples.

D’un autre côté, la relation de couple doit se nourrir de l’enseignement néotestamentaire sur la vie de disciple et sur les relations dans l’Église. Pourquoi ? Parce que le couple est un lieu particulier de mise en pratique de l’Évangile : l’amour qui se donne à l’autre, le respect réciproque, la sincérité, la fidélité, la soumission mutuelle, le pardon, etc. Tout cela, sans être inaccessible aux couples non-chrétiens, heureusement, correspond à des exhortations spécifiquement bibliques.

Concrètement, cela signifie deux choses. Premièrement, les couples chrétiens ont tout intérêt à travailler sur les pratiques et les façons de vivre qui valent pour tous les couples, par exemple la communication, la résolution des conflits, le rapport à la belle-famille… Et loin de recevoir la sagesse humaine sans critique, ils peuvent y introduire des motivations et des colorations spécifiquement chrétiennes (voir plus loin). Deuxièmement, les couples chrétiens ont l’occasion immédiate de mettre en pratique ce qu’ils apprennent par la prédication de l’Évangile et l’enseignement biblique reçu : vivre en chrétien avec son plus proche prochain, le conjoint.

Ces fondements étant rapidement rappelés, comment construire une vie de couple aujourd’hui, en utilisant au mieux les ressources chrétiennes et la sagesse commune ? Le projet est beau, les difficultés sont réelles, probablement pas plus qu’avant, mais elles sont spécifiques à notre époque.

La dimension relationnelle

Vis-à-vis

Le couple, c’est une forme spécifique de « vivre ensemble ». La relation de couple n’est évidemment pas la seule relation existante. Mais elle est une relation forte, originale, entre un homme et une femme, qui répond à l’aspiration profonde de l’être humain : être en relation durable avec l’autre, de manière vraie et profonde.

Le « vis-à-vis » de Genèse 2.20 fournit une clé remarquablement parlante. Et la réaction d’Adam face à Ève confirme : « Alors l’homme s’écria : Voici bien cette fois celle qui est os de mes os, chair de ma chair » (Genèse 2.23). C’est une relation directe, en face à face, d’égal à égal. L’homme reconnaît dans la femme celle qui sera en face de lui, avec qui il sera en relation proche et prioritaire, son alter ego.

Le récit de la création nous dit en particulier deux choses : l’homme et la femme sont semblables. « L’insistance […] porte sur la similitude de l’homme et de la femme[1] ». C’est ce que voit Adam quand Dieu lui présente Ève, celle qui est comme lui. Mais le récit de la création dit aussi la différence : « C’est comme autres que l’homme et la femme sont faits l’un pour l’autre[2] ».

Cette relation entre semblables, entre différents et donc en personnes utiles l’une à l’autre, se construit sur la base d’un attachement/engagement, et de l’union sexuelle. « C’est pourquoi l’homme laissera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront plus qu’un » (Genèse 2.24).

Organisation

Mais l’engagement, qui correspond au mariage, n’est que le point de départ. Tout reste ensuite à construire. L’homme et la femme doivent organiser leur vie de couple de telle sorte qu’ils vivent le partenariat qui leur permettra d’avancer dans leur projet commun. On insiste beaucoup aujourd’hui sur l’idée que le projet commun ne doit pas effacer les individualités. C’est juste : surtout que quand il y a effacement, c’est souvent seulement de l’un des deux, au profit de l’autre. En même temps, l’équation n’est pas simple : 1 projet commun + 2 projets individuels = 3 projets, qu’il n’est pas toujours facile de conjuguer. C’est un des défis de l’époque moderne : exister en tant qu’individu, tout en ne formant plus qu’un avec l’autre…

1 projet commun + 2 projets individuels = 3 projets, qu’il n’est pas toujours facile de conjuguer.

L’entité nouvelle, le couple, devient collectivement responsable de son projet. Il peut arriver que la responsabilité soit attribuée à l’un ou à l’autre selon les domaines, car le projet a plusieurs dimensions, mais globalement c’est le couple qui est solidairement responsable. Tout le défi est de trouver un équilibre d’ensemble, de construire la place de chacun, sans rechercher une illusoire équité, mais dans une alliance solide, respectueuse des deux. Dans le passé, les rôles sociaux étaient dans une certaine mesure prédéfinis (au moins en apparence) ; le texte biblique, s’il utilise l’image du couple pour représenter la relation d’alliance entre Dieu et son peuple, n’en déduit fort heureusement pas d’assignations sociales (voir le cas intéressant de la « femme vertueuse/chef d’entreprise » de Proverbes 31). Aujourd’hui la liberté est grande et il revient à chaque couple de trouver son organisation, « l’essentiel de leur activité ayant peu de rapport avec leur sexe[3] ».

La plupart des couples chrétiens d’aujourd’hui perçoivent cette souplesse et cette liberté dans les textes bibliques. La marche selon l’Esprit (Éphésiens 5), dans un cadre de soumission mutuelle, les amène à organiser les responsabilités selon les domaines et les affinités de l’un et de l’autre. Jacques Nussbaumer lit dans le rapport homme-femme tel que l’évoque Éphésiens 5 un bel appel à l’empowerment de l’épouse (qui est une très bonne nouvelle dans le contexte antique). À cette « “émancipation” de l’épouse au meilleur sens du terme », cette « dynamique d’élévation » par « l’union conjugale », répond « la réceptivité » de l’autre[4]. On pourrait presque ajouter que cet empowerment peut viser celui ou celle des deux qui, globalement ou provisoirement, se sent en situation d’affaiblissement ou d’infériorité, à cause de son histoire ou des épreuves de la vie présente. Le mariage peut être un lieu d’épanouissement des personnes si cette intention est mise en œuvre.

Communication

On comprend du coup pourquoi la communication est essentielle. En vis-à-vis, on peut certes se tenir bouche bée, figé… Mais on sent bien que cela ne peut pas durer ! Il y a nécessairement communication : par le regard, les gestes, les paroles. C’est d’ailleurs à juste titre un des conseils les plus fréquents qu’on donne aux couples : exprimez-vous, de diverses manières, dans le respect et l’écoute de l’autre. Se parler l’un à l’autre, échanger ses impressions, faire connaître les aspects de sa vie qui ne sont pas directement connus de l’autre, tout cela fait partie de la vie de couple.

Il y a nécessairement communication : par le regard, les gestes, les paroles.

La communication interpersonnelle étant ce qu’elle est, on pressent cependant – et l’expérience le confirme – qu’il ne suffit pas le dire pour que la communication advienne, d’autant plus que nous n’avons pas tous les mêmes « compétences » en matière de communication.

Communiquer, c’est quelque chose qui se travaille et qu’il vaut mieux éviter de prendre pour acquis. Vérifier que l’on a les temps réguliers disponibles pour dialoguer est essentiel ! Acquérir des « outils » de communication. Se donner la liberté et l’espace pour développer une parole « authentique », en « je », sans contrainte.

[1] Henri Blocher, Révélation des origines, Excelsis/GBU, 2018, p. 94.

[2] Henri Blocher, Révélation des origines, p. 99.

[3] Henri Blocher, Les grandes questions de la théologie, Édifac/Excelsis, 2021, p. 92.

[4] Jacques Nussbaumer, « Méditation introductive : Éphésiens 5.21-33 », dans Le mariage. Les questions brûlantes, Édifac/Excelsis, 2021, p. 15.

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Après un parcours fait d’études d’informatique, d’enseignement des mathématiques et de divers projets d’Église et d’évangélisation, Christophe a fait des études de théologie à la FLTE, puis à la faculté de théologie protestante de Montpellier. Il a été pasteur 10 ans dans l’UEEL, avant de devenir professeur de théologie pratique à la FLTE.

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