Les chrétiens sont « citoyens des cieux ». Mais qu’est-ce que cela signifie ? En général, on entend la formule comme l’espérance de « déménager » aux cieux dans la vie d’après. Seulement, est-ce vraiment cela que l’apôtre Paul avait en tête lorsqu’il a écrit aux Philippiens : « Quant à nous, notre citoyenneté est dans les cieux » ?
Philippiens 3.17-21 (voir aussi 1.27) :
« Mes frères, imitez-moi, et portez les regards sur ceux qui suivent le modèle que vous avez en nous. Car il en est beaucoup qui se comportent en ennemis de la croix du Christ ; je vous en ai souvent parlé, mais maintenant j’en parle en pleurant : leur fin, c’est la perdition ; leur dieu, c’est leur ventre, ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Quant à nous, notre citoyenneté est dans les cieux ; de là nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps humilié, en le configurant à son corps glorieux par l’opération qui le rend capable de tout s’assujettir. »
Paul et ses lecteurs, les Philippiens, n’ont pas les mêmes références que nous lorsque quelqu’un leur dit être citoyen d’une autre région du monde. Nous, on s’imagine ce voisin indien, venu en France pour quelques années seulement, afin de travailler pour une entreprise en partenariat avec son pays. On s’imagine encore cet ami américain ou congolais, qui vit déjà depuis de nombreuses années ici, et qui n’a pour l’instant pas prévu de repartir, même si il espère passer ses « vieux jours » dans son pays natal.
La référence de Paul et de ses lecteurs en revanche, c’est la citoyenneté romaine. Depuis 42 av. J.‑C. en effet, Philippes est une colonie romaine, fière de sa culture (Ac 16.21) et dont le latin est la langue courante bien que la ville soit située dans une région grecque. De nombreux vétérans des légions romaines vivent dans cette colonie depuis sa conquête par l’empereur Auguste, et beaucoup d’entre eux avaient dû recevoir la citoyenneté romaine en guise de remerciement pour services rendus à l’Empire. On comprend alors que Paul parle de citoyenneté céleste à cette Église et non pas à une autre.
Or la citoyenneté romaine ne signifiait pas, pour les citoyens résidents à Philippes, l’espoir d’aller un jour habiter à Rome. D’ailleurs la cité italienne n’aurait jamais eu l’espace et les ressources pour accueillir tous les citoyens disséminés dans l’Empire. Cela signifiait plutôt que leur ville était un lieu ancré dans le réseau politique et commercial de Rome, un lieu où l’on vivait selon les valeurs romaines et donc un lieu par lequel César étendait son influence sur les pourtours de la Méditerranée. Cela signifie aussi que César viendrait lui-même défendre la ville si celle-ci était attaquée. Comme le résume bien N.T. Wright, « la question à propos de la citoyenneté est une question de statut et d’allégeance, pas une question de lieu de résidence. » (The Resurrection of the Son of God, p. 230).
La citoyenneté romaine ne signifiait pas, pour les citoyens résidents à Philippes, l’espoir d’aller un jour habiter à Rome.
À partir de ce contexte, que signifie alors pour les Philippiens chrétiens d’être citoyens des cieux ?
Si l’on applique ce modèle à la notion de citoyenneté céleste, on commence à comprendre que Paul envisage l’Église de Philippes comme une colonie des cieux. Il s’agit pour ses lecteurs chrétiens de vivre sur terre selon les principes du Royaume, comme des ambassadeurs de l’Évangile de Jésus-Christ. Cela implique un double mouvement : tout d’abord abandonner ses anciennes manières de vivre (repentance) et adopter une nouvelle manière de vivre (sanctification). Cette compréhension de la citoyenneté céleste permet donc une meilleure articulation des versets 20 et 21 avec le reste du chapitre 3, où Paul raconte comment il a considéré tous ses avantages sociaux et religieux comme une perte, « afin de gagner le Christ » (Ph 3.8), avant d’inviter ses lecteurs à l’imiter (Ph 3.17).
Ce rapport au monde est donc strictement opposé à celui d’une fuite du monde (impliqué par l’attente de « déménager » aux cieux). Les chrétiens sont au contraire invités à investir pleinement leurs vies ici-bas pour témoigner d’un « ailleurs », les cieux. Ils témoignent par leur manière de vivre que la terre n’est pas un système clos sur lui-même, et qu’ils y vivent comme membres d’un Royaume qui, pour le moment, n’est pas pleinement réalisé en ce lieu. Ils anticipent en leurs personnes, par l’Esprit qui vit en eux, l’accomplissement de la prière que le Seigneur leur a apprise : « que ton règne vienne […] sur la terre comme au ciel » (Mt 6.10).
Les chrétiens sont au contraire invités à investir pleinement leurs vies ici-bas pour témoigner d’un « ailleurs », les cieux.
Enfin, la notion de citoyenneté céleste génère l’espérance de la venue de l’empereur céleste pour rétablir la justice et la paix là où il a placé ses sujets. C’est d’ailleurs explicitement ce qu’écrit Paul au verset 20 : « de là [des cieux] nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ ». Le texte parle donc bien d’un déplacement « géographique » (bien qu’il faudrait préciser le sens de ce terme ici, « les cieux » ne désignant pas un lieu de notre univers), mais ce n’est pas un déplacement de la terre vers les cieux, plutôt des cieux vers la terre. Et ce n’est pas un déplacement de l’Église, mais du Seigneur.
La promesse de la résurrection des corps, qui interviendra concomitamment à la venue du Seigneur, vient appuyer un rapport au monde fondé sur l’ambassade et le témoignage plus que sur la fuite. Le Seigneur revient pour restaurer l’existence humaine jusque dans ses aspects corporels et terrestres (plus de détails sur le sens de la résurrection ici et là).
En résumé donc :
Citoyenneté romaine | Citoyenneté céleste |
Vivre à Philippes selon les lois romaines | Vivre sur terre selon les principes du Royaume |
Étendre l’influence de Rome à Philippes | Étendre l’influence du ciel sur la terre |
Avoir l’assurance de la protection de l’empereur romain (César), qui viendra dans la colonie pour la protéger en cas de guerre | Avoir l’assurance de la protection de l’empereur céleste (Jésus-Christ) qui viendra sur terre pour soumettre toutes choses à son autorité lorsque le temps sera venu |
Ce n’est pas l’espérance d’aller un jour habiter à Rome | Ce n’est pas l’espérance d’aller un jour habiter au ciel |
Oui nous sommes bien citoyens des cieux. Et oui, cette formule implique bien une espérance à venir. Mais ce n’est pas celle de rejoindre notre patrie céleste. Nous attendons plutôt que le Seigneur vienne à notre rencontre pour restaurer ce monde brisé et transformer nos corps humiliés en corps incorruptibles. Et avec lui descendra la Jérusalem céleste, notre cité-mère (Ap 21 ; Ps 87 ; Hé 12.18-24). Alors nous serons véritablement chez nous, et non plus en exil. Alors nous hériterons la terre (Mt 5.5 ; Rm 4.13), et nous ne serons plus des étrangers. Dans l’attente de ce jour, prions que son règne vienne, et vivons comme les membres d’un Royaume qui n’est pas (encore) de ce monde.
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