Dans nos esprits, les notions de sacré et de
profane sont assez confuses, et comme périmées. Pourtant, cette distinction était fondatrice dans le culte d’Israël. Que
devient-elle dans la Nouvelle Alliance ?
Un texte comme celui d’Hébreux 10.29 nous avertit solennellement : « De quel pire châtiment pensez-vous que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour profane le sang de l’alliance, par lequel il a été sanctifié, et qui aura outragé l’Esprit de la grâce ? » Il est indispensable de comprendre le sens de ces choses, pour ne pas risquer de « profaner » Dieu, tout en prétendant le servir.
En traduisant le mot qodesh tantôt par saint, tantôt par sacré – lorsqu’il est associé à une fonction, une chose, un usage ou un lieu consacré à Dieu – la langue française fait bien ressortir la nature matérielle (par opposition au spirituel) du culte de l’Ancienne Alliance. Dieu est Esprit et Il siège dans les cieux, or l’ancien culte reposait sur « des ordonnances charnelles » (Hé 9.10) et n’était qu’« une image et une ombre des choses célestes » (Hé 8.5). Ainsi, dans l’Ancien Testament, le sacré était comme la « matérialisation » du saint, la transcription de ce qui concerne Dieu, dans le domaine terrestre : temporel (les jours de fêtes, Lv 23.2), spatial (le camp, le tabernacle, Ex 29.37) et fonctionnel (les sacrificateurs, leur vêtements, Ex 39.30).
Le saint/sacré s’opposait donc au profane, qui, au sens étymologique, signifie « ce qui est accessible », « situé hors du temple », ordinaire. Les espaces, temps, choses et personnes non consacrés sont profanes. Le sens du mot est actif et non statique : le monde a été profané, souillé par le péché (Gn 6.11).
Pour servir Dieu, le peuple devait impérativement distinguer « ce qui est saint de ce qui est profane et ce qui est rituellement pur de ce qui est impur » (Lv 10.10). Seul le lieu où Dieu se manifeste et demeure est saint (Ex 3.5), le reste était profane. Toutefois, ce qui était profane pouvait s’avérer pur ou impur (Lv 11). Les rites et les sacrifices avaient pour rôle de faire passer un élément ou un homme d’un état à l’autre, tout en maintenant une séparation fondamentale entre les différents états. Ainsi, le rite de purification faisait passer de l’impureté à la pureté, le rite de consécration du profane au sacré, sans qu’il n’y ait jamais aucune confusion. Ne pouvait être sanctifié rituellement (pour passer du profane au sacré) que ce qui était pur (de nature ou bien purifié rituellement).
Les rituels étaient donc indispensables pour qu’un peuple corrompu par le péché puisse servir Dieu sans « fouler aux pieds » sa sainteté. Tout non-respect de ces conditions liées au culte, toute intrusion dans Sa présence d’un élément étranger, souillé par le péché (Ag 2.12, Lv 10.1-2) était une profanation. La loi sanctionnait très sévèrement cette désinvolture (2 Sam 6.6-7, Ex 31.14) car Dieu refuse d’être servi par un peuple qui le méprise.
Le Temple ainsi que les rituels pour le culte et l’expiation, préfigurations de la Nouvelle Alliance, n’avaient de valeur qu’en vertu de ce qui allait venir : l’incarnation, la mort et la résurrection de Jésus Christ. En effet, par son sang, il nous a ouvert un libre accès auprès de Dieu, dans le sanctuaire céleste. Le Fils a traversé le voile du sanctuaire céleste « dans un sens et dans l’autre » ; d’abord en descendant du lieu très saint pour devenir homme, puis en y entrant à nouveau, après avoir déchiré, par le don de Sa vie, le voile qui nous séparait de Dieu (Mt 27.51).
En servant de sacrifice expiatoire, Christ n’a pas annulé la séparation entre le domaine de Dieu et celui des hommes (le sacré et le profane), mais Il s’est offert comme la porte (Jn 10.9), comme le médiateur par excellence (1 Tm 2.5). Il est lui-même le point de rencontre : par Lui Dieu se donne à connaitre aux hommes sans se profaner et par Lui nous sommes déclarés saints, nous pouvons approcher Dieu et le servir, sans Le profaner.
La distinction entre le sacré et le profane concrétisait la séparation spirituelle entre Dieu et ce qui a été corrompu par le mal. Christ a dématérialisé, dé-ritualisé et dé-formalisé le sacré, pour que la véritable nature spirituelle du saint soit manifestée et honorée et que nous entrions dans une véritable communion avec Lui. Plus de Temple terrestre, plus de rituels, plus d’habits sacerdotaux, plus de sacré donc ! Mais Celui qui est saint l’est toujours autant et le mal ne l’est pas moins…
Jésus atteste que l’impureté n’est liée ni aux aliments, ni aux origines (Juifs, païens), ni aux mains sales, mais au cœur de l’homme (Mc 7.14-23 ; Mt 15.15-25). Dans sa nature profonde (la chair), l’homme est corrompu et opposé à Dieu (Rm 8.7). De même, ce qui dans le profane est étranger à Dieu, ce n’est pas a priori la matière (la création, les objets), ni le temps, ni l’espace, mais cette entité spirituelle, rebelle et ennemie de Dieu qu’est le monde. Ce que le monde génère (la culture en particulier) n’est pas aussi neutre que la matière jadis créée par Dieu. Tout ce qui est dans le monde ne vient pas du Père mais vient du monde (1 Jn 2.16) ; celui-ci est corrompu par « l’esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion » (Ep 2.2), d’où l’exhortation à se garder « des souillures du monde » (Jc 1.27).
L’œuvre de Christ ratifie bien le sacré, mais son appropriation par la foi opère une nouvelle séparation : entre le chrétien et le monde (Ga 6.14 ; 2 Co 6.14-18) et à l’intérieur même du chrétien, entre la chair et l’Esprit de Dieu (Ga 5.17).
Aucun raisonnement religieux ne saurait mélanger ou relativiser cette séparation. Car Dieu ne consacrera pas et n’agréera la souillure qui en émane, pas plus que notre péché, nos passions ou notre mondanité. Il nous en purifie, pourvu que nous nous en séparions réellement. L’attitude inverse qui consisterait à justifier l’impureté et à la tolérer au point de l’introduire dans le culte, d’une manière ou d’une autre, serait une profanation en règle.
Car, s’il n’y a plus de sacré, c’est toujours à la seule condition d’une réelle sanctification que notre accès dans la présence de Dieu n’est pas une intrusion profanatrice et que nos offrandes « directes » ne sont pas pour Lui des abominations. Pour prendre une image choc, l’œuvre de Christ n’est pas une formule magique qui transforme nos « excréments » en « pains bénis ». Il ne suffit pas de dédier une chose à Dieu ou de la lui offrir superficiellement « en son nom » pour qu’elle soit pure et recevable (Pr 21.27 ; Ag 2.11-14). Mais plutôt, « Que celui qui prononce le nom du Seigneur, s’éloigne de l’iniquité » (2 Tm 2.19).
La simplification de l’accès au sanctuaire introduite par Jésus-Christ ne devrait pas générer une piété légère et désinvolte. Au contraire, la grâce qui nous est faite de pouvoir «lui rendre un culte dans la sainteté et la justice, en sa présence, tout au long de nos jours» (Lc 1.74-75), nous confond et inscrit en nous, de plus en plus profondément, la crainte de Dieu et la reconnaissance.
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