L’Écriture ne se présente pas à nous comme un traité dogmatique qui nous fournirait des réponses toutes faites et structurées aux grandes questions touchant au salut. La révélation s’inscrit plutôt comme un ensemble d’enseignements épars nécessitant une certaine mise en relation et un processus d’interprétation pour y tirer des conclusions doctrinales.
Lorsque la nébuleuse de questions et de problématiques relatives au salut est abordée en milieu évangélique, le réflexe est très souvent d’engager la discussion avec comme toile de fond la dichotomie arminianisme contre calvinisme. L’approche défendue se dessine souvent en contraste avec l’une ou l’autre de ces positions. À titre d’exemple, il n’est pas rare que certains décrivent telle ou telle figure du passé comme un “calviniste avant l’heure” ou comme un “arminien en substance”, donnant le sentiment que ces deux options couvrent l’ensemble du faisceau des opinions théologiques possibles.
Le réflexe est très souvent d’engager la discussion avec comme toile de fond la dichotomie arminianisme contre calvinisme.
Pourtant, d’autres perspectives existent, y compris dans le protestantisme historique. Prenons en exemple la position du luthéranisme sur le sujet. Par luthéranisme, nous ferons ici référence à sa variante ‘confessionnelle’, c’est-à-dire conservatrice et évangélique (à ne pas confondre avec son pendant libéral), courant quasiment disparu de la francophonie depuis l’entame du XXe siècle mais toujours existant dans d’autres contrées, notamment outre-Atlantique.
Évaluons brièvement la conception luthérienne. Nous le ferons à l’aune de ce qui constitue généralement la grille conceptuelle à travers laquelle sont envisagées les doctrines touchant au salut : les cinq points du calvinisme. Bien que ces cinq points impliquent un réductionnisme certain et que leur genèse historique ne soit pas pleinement établie, ils n’en demeurent pas moins un outil dialectique utile pour analyser et distinguer les différentes opinions sotériologiques (c.-à-d. relatives au salut).
Ces cinq points, donc, s’attachent à définir une réponse aux éléments suivants :
– la nature de l’élection divine (conditionnée sur la prescience de Dieu ou selon son dessein éternel ?)
– l’étendue de la corruption humaine (l’homme est-il capable de venir à Dieu de lui-même ?)
– l’appel de Dieu (quelle est sa nature et l’homme peut-il y résister ?)
– la portée de l’expiation (pour qui Christ s’est-il donné, et qu’a donc accompli sa mort ?)
– l’apostasie et la persévérance (un chrétien authentique peut-il déchoir de la grâce ?)
Si l’on examine les réponses que donne la tradition luthérienne à ces questions, on s’aperçoit très rapidement que la division binaire calvinisme/arminianisme qui s’offre habituellement à notre esprit est illégitime et ne couvre pas l’ensemble du champ des possibles.
En effet, l’option luthérienne s’accorde avec le calvinisme sur l’idée d’une élection inconditionnelle et d’une action de Dieu efficiente et ultime dans le processus du salut. En revanche, le luthéranisme défend l’idée qu’un authentique chrétien puisse perdre le salut, elle rejette toute limitation à l’universalité de l’expiation, et enfin postule que l’homme peut résister à l’appel de l’Esprit Saint.
Il serait quelque peu simpliste d’y voir une sorte de mi-chemin entre calvinisme et arminianisme, mais il n’empêche que l’existence même de cette troisième perspective met à mal notre réaction naturelle visant à cataloguer les opinions de façon binaire calvinisme/arminianisme.
Ce que certaines traditions considèrent comme de “justes et nécessaires déductions” ou des corollaires implacables ne sont pas forcément vus comme tels par d’autres. Ainsi, et contrairement aux deux écoles précitées, le luthéranisme s’interdit d’effectuer un certain nombre d’inférences logiques jugées incompatibles avec des données bibliques considérées comme explicites et incontournables. “Ne pas être plus logique que la Bible elle-même” est la posture affichée. Le luthéranisme admet en effet une dimension de mystère et assume la présence de paradoxes apparents dans sa sotériologie.
On pensera ce que l’on veut de cette approche et de la validité de cette ligne de raisonnement, mais force est de constater que ce luthéranisme fournit une option sotériologique bien distincte des deux options habituelles et devrait nous forcer à sortir du cloisonnement idéologique calvinisme contre arminianisme.
Il ne s’agit pas ici de défendre le luthéranisme et l’ensemble de sa théologie (l’auteur de cet article n’est pas luthérien), mais simplement de mettre en lumière le manque de légitimité de la dichotomie habituelle, en rappelant la simple existence de cette illustre alternative protestante.
Par ailleurs, relevons que les réponses données à ces questions n’occupent pas du tout une place centrale dans la théologie luthérienne ; l’accent n’étant pas placé sur les décrets éternels divins mais plutôt sur d’autres éléments, notamment sur une théologie sacramentelle bien particulière et sur le paradigme loi/évangile comme grille d’interprétation des Écritures. Il va sans dire que la position relative à ces cinq points n’est donc aucunement suffisante pour rendre compte de ce qui caractérise réellement la théologie d’un camp.
Ne pas être plus logique que la Bible elle-même
Chacune des traditions chrétiennes articule les questions touchant au salut dans un cadre conceptuel particulier et unique. Il serait hors propos de scruter et d’examiner toutes les formulations sotériologiques à la seule lumière de la dichotomie calvinisme/arminianisme. Si la perspective des Remonstrants (les partisans d’Arminius) s’est indirectement constituée en contraste et en réponse au calvinisme dont elle partageait la même matrice théologique, il n’en est pas de même du luthéranisme, de l’anabaptisme ou d’autres traditions antérieures et postérieures.
L’objet n’est pas ici de remettre en question l’une ou l’autre position, mais de rappeler que nos dichotomies habituelles ne sont pas toujours légitimes. Sans trancher sur la validité de telle ou telle perspective, ce simple rappel que d’autres alternatives existent constitue une leçon et un rappel que notre théologie demeure provisoire et hautement dépendante des habitudes de pensée du milieu dans lequel nous évoluons. Notre tradition fonctionne parfois en chambre d’échos nous donnant une illusion d’exhaustivité et limitant les alternatives concevables. Il convient donc de faire preuve d’humilité dans notre dogmatique et la façon dont nous cataloguons parfois l’autre.
Nos dichotomies habituelles ne sont pas toujours légitimes
La foi des Eglises luthériennes – Confessions et catéchismes
The Great Divide: A Lutheran Evaluation of Reformed Theology (en anglais)
Between Wittenberg and Geneva (en anglais)
Wittenberg vs Geneva: A Biblical Bout in 7 Rounds on the Doctrines that Divide (en anglais)
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