Dans la riche histoire du christianisme, il existe nombre de périodes et de lieux méconnus. La spiritualité chrétienne celtique en fait partie. L’Irlande a été évangélisée dès le Vème siècle par des missionnaires venus du continent comme Palladius et Patrick. Si l’essor du christianisme celtique de la fin de l’Antiquité au début du Moyen-Âge demeure nimbé de mystère, tous les historiens s’accordent à dire que l’île s’est tournée vers la foi chrétienne, sans l’usage de la violence, en seulement deux siècles. Dès lors s’est développée une riche tradition qui mérite d’être étudiée. Et si les chrétiens celtes du passé avaient quelque chose à nous dire, à nous chrétiens évangéliques du XXIème siècle ?
Historiquement, le christianisme celtique s’est ancré dans les grandes affirmations doctrinales de Nicée (notamment la croyance en la Trinité et l’affirmation de la double nature du Christ). L’approche celtique peut être qualifiée d’holistique puisqu’elle ne cantonne pas Dieu aux lieux de culte. Le Dieu trinitaire, Créateur de l’univers visible et invisible, dépasse de loin tout ce qui est imaginable ou saisissable, il est ce Tout-autre mystérieux qui échappe aux raisonnements humains et aux constructions intellectuelles. Dans le même temps, Dieu se laisse rencontrer puisqu’il peut être trouvé partout. En d’autres termes, le Dieu transcendant (au-dessus de nous) est disponible à chaque instant comme le Dieu immanent (à côté de nous). Il l’a démontré singulièrement lors de la venue de Jésus-Christ sur terre et de l’événement de la Pentecôte. Qu’on le reconnaisse ou non, notre pratique religieuse actuelle est profondément marquée par le sécularisme ambiant, la foi étant restreinte à la « sphère privée ». À titre d’exemple, combien d’entre nous oublions opportunément de prier au restaurant par peur de choquer nos voisins ? Pour le chrétien celtique, le Dieu trine peut être rencontré dans les thin places, des espaces où ciel et terre se rejoignent, dans la rue, au travail, en famille. Tracy Blazer explique : « Un véritable ‘endroit mince’ est n’importe quel environnement qui nous invite à une transformation intérieure, qui nous aide en tant que croyants en Jésus à penser et à comprendre comme lui. Tout endroit qui crée un espace et une atmosphère qui nous invitent à l’honnêteté devant Dieu et à écouter les murmures de l’Esprit en nous est ‘mince’[1]».
Le christianisme celtique s’est ancré dans les grandes affirmations doctrinales de Nicée.
La doctrine de la création découle nécessairement de la doctrine de Dieu. Dans la vision celtique, le Dieu trinitaire bon est l’auteur d’une création bonne, certes entachée par le péché mais en attente de restauration. Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens évangéliques éprouvent de la difficulté à se positionner face aux problématiques de changement climatique. Les présupposés païens derrière une partie de l’idéologie verte pouvant refroidir (sans mauvais jeu de mot) certains croyants. Le christianisme celtique, sans jamais céder au panthéisme, redonne sa juste place à la nature, avec comme appui l’Écriture, notamment les psaumes. La création est le livre de Dieu (la révélation générale), sa beauté nous invite à la contemplation de la majesté du Dieu trois fois saint. Notre rôle consiste à prendre soin à bon escient de la création comme des gestionnaires temporaires des biens de Dieu. Et si la crise environnementale était l’occasion pour les chrétiens évangéliques de repenser leur doctrine de la création, de l’utiliser comme un tremplin pour l’adoration et une meilleure appropriation du mandat culturel ?
Bien avant le schisme Orient-Occident et la Réforme protestante, les communautés irlandaises observaient une saine distance avec l’influence grandissante de Rome. En ce temps-là, l’Église celtique rejetait le modèle épiscopal romain au profit de structures monastiques locales proche d’une forme de congrégationalisme, sans jamais tomber dans l’isolationnisme[2]. Dès le VIème siècle, l’Irlande est devenue un centre intellectuel important avec une production littéraire riche[3], en plus d’une plateforme missionnaire rayonnant sur les îles britanniques et, au-delà, à travers l’Europe occidentale. Dans la perspective celte, mission et réflexion forment les deux faces d’une même pièce, l’intellectuel et le spirituel n’étant pas opposés mais alliés. À une époque où un nombre croissant de croyants pensent pouvoir vivre comme des Robinson Crusoé de la foi chrétienne, sans église ni attache, cet exemple nous interpelle. La foi chrétienne ne peut se vivre seule, elle est nécessairement communautaire, l’Église ne pouvant être sel de la terre et lumière du monde qu’en étant unie, nourrie et transformée. Dans la perspective celtique, le croyant individuel reste un pèlerin marchant à la suite du Christ qui a besoin de s’appuyer sur ses camarades de route pour avancer. Chaque chrétien doit se lier avec un anmchara, un « soul friend » qui sera son référent spirituel tout au long de sa vie. Ce mentor pourra recevoir des confidences et autres confessions et devra répondre en avertissant et en encourageant son protégé. Dieu seul sait combien d’entre nous gagneraient en maturité et en sagesse si nous acceptions d’être redevables et de nous livrer à un « ami d’âme ». Dans une telle configuration, il y a fort à parier que l’Église dans son ensemble serait plus forte pour interpeller la culture païenne et gagner le monde, à l’image de l’influence du christianisme celtique au début du Moyen-Âge.
La foi chrétienne ne peut se vivre seule, elle est nécessairement communautaire.
Si la spiritualité chrétienne celtique offre une base de réflexion stimulante, il est difficile d’y souscrire sans réserve en tant que protestants. Un grand nombre de pratiques nous séparent en effet de cette perspective, comme le culte des saints ou l’ascétisme exacerbé. Comme toujours, l’adage paulinien s’impose : « examinez toutes choses, retenez ce qui est bon » (1 Th 5.21). En examinant plus encore cette forme ancienne de christianisme et en retenant ses aspects les plus pertinents, nous pourrons mieux saisir nos propres défaillances présentes et travailler à mieux envisager l’avenir, nourris par l’histoire du peuple de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Pour sa seule gloire et le salut du monde !
[1] Tracy Blazer, Thin places: An Evangelical Journey into Celtic Christianity, p.32.
[2] Avant la Réforme grégorienne, le christianisme celtique était aussi connu pour son insistance sur le sacerdoce universel et sa valorisation des femmes.
[3] Dans son livre How the Irish saved the civilization, Thomas Cahill raconte le rôle clé joué par l’Irlande, une île « de saints et de savants », dans la survie de la foi chrétienne après la chute de Rome et les invasions barbares. Les moines celtes ont notamment recopié les manuscrits bibliques avec diligence.
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