Les protestants évangéliques confessent que l’Écriture seule (sola Scriptura) fonde et guide la foi et l’éthique chrétiennes. Pourtant, au-delà des points d’accord, ils divergent, parfois fortement, sur un certain nombre de sujets tels que le ministère pastoral féminin, la participation des chrétiens à la guerre, Israël contemporain dans le plan de Dieu, la prédestination, la place de l’écologie, l’œcuménisme…
Les raisons de ces divergences sont nombreuses. Elles tiennent d’une part à l’élément subjectif du processus d’interprétation (le lecteur, avec ses présupposés de lecture influencés par son contexte historique, culturel, personnel, même si la maturité herméneutique en limite la portée) et d’autre part au contenu objectif (la Bible) : distante de nous lecteurs du 21e siècle, diverse en 66 livres, différenciée en deux Testaments.
Sur des sujets tels que ceux mentionnés en tête d’article, l’interprète repère et rassemble les textes particuliers ayant trait au sujet, de manière directe et connexe. On tombera probablement d’accord sur la sélection des premiers (textes en lien direct), mais moins facilement sur le choix parmi les seconds (textes en rapport connexe) : sur la question de la participation des chrétiens à la guerre, faut-il verser au dossier les textes appelant à l’évangélisation envers tous, évangélisation rendue difficile par le fait de mettre fin à une vie humaine ? Voici un premier lieu de bifurcation entre interprètes des Écritures.
La tâche continue par l’exégèse des différents textes qui constituent ce dossier biblique, exégèse informée par les outils linguistiques, littéraires, historiques, culturels…. Au bout du travail d’exégèse sur les textes particuliers, l’interprète cherche à en faire une synthèse prenant en compte unité et diversité des textes du dossier biblique. Ce travail de synthèse constitue un deuxième lieu de bifurcation herméneutique.
Le résultat de ce travail conduit à présenter une doctrine « biblique » du ministère féminin, de la guerre et de la paix, d’Israël, etc. On aura compris que, vu les points de bifurcation du travail d’interprétation devant la réalité des Écritures (sans parler des présupposés subjectifs), les résultats seront en partie différents.
En rester là repose sur l’idée que les Écritures contiennent un réservoir de vérités intemporelles à appliquer telles quelles dans un autre contexte historique. Mais dans leur forme canonique, les Écritures sont porteuses d’un grand récit (story[1]), d’une trame globale, d’une intrigue : d’une situation initiale, on passe par un ou des éléments perturbateurs, des péripéties, un point culminant avec son dénouement, pour parvenir à une situation finale. Cette manière classique de décrire les caractéristiques de tout récit fonctionne pour tel récit particulier dans la Bible, mais également pour l’Écriture prise dans son ensemble.
Ce mouvement qui traverse la Bible est reconnu en théorie, comme dans le schéma classique Création > Chute > Rédemption. Mais la manière de décrire les grandes étapes du récit biblique global mérite d’être affinée d’une part et d’autre part prise en compte (au minimum) dans l’élaboration d’une doctrine biblique du ministère féminin, de la guerre et de la paix, d’Israël, etc.
S’agissant du premier aspect (les grandes étapes du récit biblique), et adaptant les modèles de théologiens contemporains (N.T. Wright, Kevin Vanhoozer, Branson Parler), je propose sept étapes exprimant la trajectoire principale des Écritures :
Voici quelques raisons légitimant cette proposition de lecture globale de la Bible :
Ce mouvement qui parcourt les Écritures reçues comme récit global ne devrait-il pas guider l’élaboration d’une doctrine du ministère féminin, de la guerre et de la paix, d’Israël, etc. ? Ne serait-ce pas respecter la forme canonique reçue et la révélation de Dieu au fil de l’Histoire et dont le récit global rend compte ?
Cette proposition n’implique aucunement de relativiser la prise au sérieux de chaque texte particulier, mais fournit une trame ou une trajectoire « biblique » pour situer les différents textes relatifs à tel sujet, plutôt que d’en laisser l’organisation à l’initiative de l’interprète.
Peut-être cela peut-il favoriser des convergences de vue, et surtout renforcer l’identité (narrative) de la communauté des croyants en mission.
[1] Le récit (story) biblique est situé dans l’Histoire (history).
Crédit schéma des sept étapes : Marion Daniel.
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