Les récits de la création de Genèse 1-2 représentent un enjeu important dans le débat théologique opposant complémentariens et égalitariens. La question est de savoir si la création prévoit un ordre dans lequel l’homme exerce une responsabilité particulière de direction ou si elle prévoit une égalité fondamentale homme/femme qui ne définit aucun rôle spécifique pour l’un et l’autre. Une partie des discussions à ce sujet tourne autour de la femme présentée en Genèse 2.18, 20 comme une « aide » (ʽēzer) fournie à l’homme.
L’argument classique des égalitariens est que le mot ʽēzer désigne dans la majorité de ses emplois l’aide que Dieu donne aux hommes (ex. : Dt 33.7, 26 et 29 ; Ps 20.3 ; 33.20 ; 70.6 ; 89.20 ; 121.1-2 ; Es 41.10 ; Os 13.9), ce qui s’oppose à l’idée d’une subordination inhérente de l’aide. Que la femme soit une « aide » pour l’homme ne porte donc en soit aucune idée d’infériorité et, de ce fait, elle apporte un secours bienfaisant à l’homme dont elle est le complet vis-à-vis.
Les complémentariens estiment, au contraire, que la femme, parce qu’elle est désignée comme « aide », se distingue de l’homme sur le plan fonctionnel et que le but de sa création établit de fait une subordination entre elle et l’homme. Puisqu’il est indéniable que Dieu reste toujours en position de supériorité et d’autorité dans le cadre de ses relations avec les êtres humains, la question du rapport de subordination est quelquefois habilement déplacée par les complémentariens vers les relations des êtres humains entre eux. Comme il existe des exemples où ʽēzer décrit des situations impliquant la subordination entre deux personnes partageant une nature identique (comme en Es 30.5 où l’Égypte est en situation de supériorité sur Israël et Ez 12.14 où le roi est en situation d’autorité sur ses bataillons), c’est le contexte dans lequel le mot est utilisé qui détermine s’il induit subordination ou pas. Ce qui permet de conclure que c’est le cas en Genèse 2.18,20, dans la mesure où il est admis que la prééminence de l’homme sur la femme est prévue dès leur création. C’est la démarche effectuée par Guillaume Bourin, qui s’appuie sur ces exemples bibliques, dans son article publié sur le blog Le bon combat.
Il convient donc d’admettre que ʽēzer, même s’il est majoritairement utilisé pour qualifier l’aide que Dieu fournit à l’être humain, peut impliquer un rapport de subordination entre deux entités de nature humaine. Afin de cerner au mieux le sens du mot, il est intéressant de pousser plus loin l’analyse en examinant aussi l’emploi de la forme verbale ʽāzar, correspondant au nom ʽēzer. Celle-ci est en effet utilisée, comme ʽēzer, pour désigner une aide apportée dans le cadre de différents types de relations. Elle qualifie l’aide de Dieu (ex. : Gn 49.25 ; 1 Ch 12.18 ; 15.26 ; 2 Ch 14.11 ; 18.31 ; Es 41.10, 13-14 ; Ps 121.1-2) et celle fournit par une personne en situation d’autorité (Jos 10.6 ; 2 S 18.3 ; Esd 8.22 ; Dn 10.13). Elle se trouve aussi dans des cas où c’est l’autorité qui a besoin d’être aidée (Jos 10.4, 2 S 21.17 ; 1 R 1.7 ; 20.16 ; 1 Ch 12.18, 21-22 ; 1 Ch 22.17). En Ésaïe 31.3, ʽāzar désigne tout autant l’aidant (l’Égypte) que l’aidé (Israël). ʽĀzar se trouve par ailleurs utilisée en Josué 1.14 pour qualifier l’aide que les Rubénites, les Gadites et la demi-tribu de Manassé doivent apporter à leurs « frères », c’est-à-dire aux autres tribus, pour conquérir leur territoire. Dans cette dernière occurrence, il n’est question d’aucune hiérarchie entre ceux qui aident et ceux qui sont aidés (voir Es 41.6). Au regard de ces différents emplois, il apparaît que le sens du mot ʽēzer n’est pas fondamentalement dépendant de la relation établie entre celui qui aide et celui qui est aidé. Son emploi ne suppose pas nécessairement un rapport hiérarchique. Il qualifie essentiellement la capacité déployée par l’aidant pour soutenir l’aidé et cela sans subordination ou autorité inhérentes l’un par rapport à l’autre.
Nous sommes donc d’accord pour dire que le contexte est décisif pour établir si l’emploi du mot ʽēzer suppose ou non subordination. Or, dans la mesure où l’égalité homme/femme a été clairement explicitée en Genèse 1.26-27 (comme nous l’avons vu dans un précédent article) et où la femme est présentée en 2.18 comme une aide « semblable » à l’homme, ce qui rappelle l’égalité entre l’un et l’autre (un point que nous avons traité dans un second article), le contexte permet d’établir qu’il n’y a pas de subordination inhérente ou subséquente de la femme à l’homme.
Le texte n’indique pas explicitement comment la femme peut être une aide pour l’homme. Puisqu’aucune fonction n’est répartie entre l’homme et la femme, seule l’étude du contexte peut, là aussi, nous permettre de comprendre en quoi consiste cette aide. Or, il nous est dit que la femme est une aide pour l’homme parce qu’il n’est pas bon que ce dernier soit seul. Considérant que, à la lumière de Genèse 1.26-30, cultiver et garder le jardin d’Éden est la réponse à l’appel divin adressé à l’homme et la femme de dominer la terre, l’homme fait le constat en Genèse 2.19-20 qu’aucun animal ne constitue une aide assez efficace pour lui permettre d’assurer cette tâche. La création de la femme est la solution donnée à l’homme qui ne peut pas cultiver et garder le jardin seul. En tant qu’aide « semblable », la femme, contrairement aux animaux, entre dans la même catégorie que l’homme et partage avec lui les facultés qui vont permettre à l’être humain d’assurer au mieux la responsabilité que Dieu lui confie. Il n’y a donc aucune subordination inhérente sous-entendue dans le texte.
Ni la polysémie du mot ʽēzer ni le contexte de Genèse 2 n’impliquent que la femme soit subordonnée à l’homme. Elle est au contraire associée à l’homme sur un pied d’égalité pour l’œuvre de sujétion de la création à laquelle Dieu appelle l’être humain et ceci sans qu’aucune différence fonctionnelle n’apparaisse.
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