Les textes de Genèse 1 et 2 sont incontournables lorsqu’il s’agit de réfléchir sur les rapports entre les hommes et les femmes et leur analyse a des conséquences inévitables sur la manière d’envisager le ministère féminin. Le débat tenu entre Guillaume Bourin (GB) et Marie-Noëlle Yoder (MNY) sur le thème : « Une femme peut-elle être pasteure ? » dans le cadre des Points chauds organisés par le centre de formation mennonite du Bienenberg, n’a évidemment pas manqué de s’y référer. Les lectures complémentaristes et égalitariennes s’accordent sur l’égalité ontologique de l’homme et de la femme, mais pas sur la nature de leurs fonctions. Pour les complémentariens, leurs rôles sont distincts et inscrits dans l’ordre créationnel, tandis que pour les égalitariens, il n’y a aucune différence fonctionnelle entre l’homme et la femme.
J’aimerais ici me pencher sur certains des arguments avancés par GB et MNY et examiner quelques points importants de Genèse 2. Pour ce faire, comme dans l’étude de Genèse 1.26-27 effectuée dans un précédent article que j’aimerais ici compléter, je me reporterai aux propos de GB retranscrits sur son blog et à ceux de MNY contenus dans l’enregistrement de son exposé. Je ferai juste quelques remarques sur la façon d’envisager la continuité entre Genèse 1 et 2 car la relation entre les deux chapitres a des conséquences sur la manière de comprendre le rôle de l’homme et de la femme.
Sur ce sujet, un premier point attire l’attention. GB dit, en accord avec Genèse 1.26-28, que l’homme et la femme, tous les deux créés à l’image de Dieu, sont appelés à exercer leur domination sur la création l’un avec l’autre. La femme, qui est issue de l’homme, vient « le compléter efficacement » et rend possible d’accomplir la mission que Dieu leur a confiée. Que la femme soit tirée de l’homme ne s’oppose donc pas à leur égalité ontologique.
GB poursuit toutefois son raisonnement avec des propos qui atténuent l’égalité entre l’homme et la femme. Il souligne que le « fait que la femme dérive de l’homme démontre également que l’auteur n’a aucune intention d’établir une stricte égalité entre les deux » et ceci parce que leur mode de création n’est pas le même : « Adam est formé de la poussière de la terre, tandis que la femme dérive d’un être vivant préexistant. » Il faut donc comprendre que l’origine de la femme induit sa subordination à l’homme, dont elle a été tirée.
Notons tout d’abord que, si l’on considère que Genèse 1.26-27 expose l’égalité ontologique de l’homme et de la femme (un point sur lequel GB et MNY sont d’accord), celle-ci ne peut pas être remise en cause dans la suite du récit. Cette égalité est un pré-acquis pour la lecture de Genèse 2 et rien ne permet de l’invalider tant que le texte n’introduit aucune nuance explicite. Il me semble tout à fait logique, comme l’exprime MNY, « d’interpréter ce qui suit, Genèse 2, à la lumière de ce qui précède, Genèse 1 » (15’). C’est la démarche méthodologique la plus cohérente. D’autre part, rien n’indique que le statut d’être vivant de l’homme pose ce dernier en supériorité sur la femme. Au contraire, la femme reçoit un statut d’être vivant pleinement identique à celui de l’homme dont elle est tirée (voir 3.20). Littéralement, l’homme a été « modelé » (yāṣar) à partir de la terre et la femme a été « construite » (bānā) à partir de la côte (ou du côté) de l’homme. Le vocabulaire utilisé pour décrire la création de l’homme et de la femme fait entendre qu’ils ont été l’un et l’autre créés à partir d’une matière inerte à laquelle Dieu a donné la vie, comme un potier et un maçon mènent à l’existence un vase et une maison. Que la femme soit tirée de l’homme n’enlève rien au fait qu’elle soit à l’image de Dieu et associée à part entière à l’homme, dont elle est l’équivalent féminin, pour dominer la création (c’est le pré-acquis de Gn 1.26-28).
Le vocabulaire utilisé pour décrire la création de l’homme et de la femme fait entendre qu’ils ont été l’un et l’autre créés à partir d’une matière inerte à laquelle Dieu a donné la vie, comme un potier et un maçon mènent à l’existence un vase et une maison.
L’antériorité de l’homme ne suppose pas non plus sa prééminence. MNY dit que « si le mâle a été créé le premier, je crois que l’on doit aussi souligner que la Bible ne cesse de détruire cette idée de la primogéniture et … la responsabilité confiée au premier-né n’est pas forcément reprise ou validée par l’ensemble de l’Ancien Testament » (17’). C’est vrai, mais nul besoin de recourir à cet argument car la rhétorique du premier-né et de son droit d’aînesse (voir Gn 49.3 et Dt 21.17) est absente en Genèse 2. Et c’est normal puisque le texte évoque des relations conjugales, non des relations au sein d’une phratrie.
Selon GB, la « subordination inhérente » de la femme à l’homme repose sur leur « dissymétrie créationnelle ». Genèse 2 expose au contraire une symétrie homme/femme. C’est ce que fait entendre le texte en parlant de la femme comme d’une aide « semblable » à l’homme. Que la femme soit tirée de l’homme, que celui-ci s’écrie qu’elle est os de ses os et chair de sa chair et qu’il désigne son identité féminine (iššā) à partir de son identité masculine (ʼiš), tout cela fait écho à cette similarité. Contrairement aux animaux, qui sont pourtant comme l’homme tirés de la terre (2.19), la femme est par nature et en substance identique à lui. C’est d’ailleurs ce qui va permettre à l’homme de devenir « une seule chair » (2.24) avec elle.
Le mandat divin d’assujettir la terre, qui passe par la nécessité d’être fécond et de se multiplier, peut alors être rempli grâce à leur association, même si le terme bāśār, traduit par « chair », implique ici certainement plus que l’union physique dans la mesure où, conformément à l’anthropologie hébraïque, il désigne une personne à part entière, corps et esprit (ex. s: Gn 6.17,19 ; Jo 3.1).
La seule distinction entre l’homme et la femme qui soit vraiment repérable en Genèse 2 est d’ordre sexuel. C’est l’unique complémentarité que l’on puisse y discerner. Genèse 2 développe l’idée contenue en Genèse 1.26-28 que l’être humain, image de Dieu, est mâle et femelle et que cette différence essentielle lui permet de dominer la terre. Cette domination est co-exercée par l’homme et la femme, sans qu’aucun rôle spécifique ne soit réparti entre eux.
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