Que s’est-il passé entre la mort et la résurrection de Jésus ? Et quel est l’intérêt théologique de cet intervalle de temps ?
Lors du week-end de Pâques, beaucoup d’Églises et de chrétiens se concentrent – à raison – sur le vendredi saint, se rappelant la mort de Jésus et ses bénéfices pour les croyants. Une célébration est souvent organisée, où des textes de la Passion de Jésus sont lus et médités. Puis, l’on se dit « bonsoir et à dimanche pour célébrer la résurrection de Jésus ! » Pourtant, le Symbole des Apôtres, ou Credo, insère une phrase entre la déclaration de la mort de Jésus et celle de sa résurrection : « Il est descendu aux enfers ». Phrase étonnante et troublante s’il en est ! Nous sommes là probablement face à l’un des aspects les plus négligés et les moins compris du Credo (et de la foi chrétienne en général ?). Il mérite donc que l’on s’y attarde : que signifions-nous quand nous confessons cette phrase ? Dans ce qui suit, j’aimerais tenter de la comprendre à la lumière des Écritures.
La première chose à dire – et cela peut surprendre – c’est que Jésus n’était pas formellement « au ciel » pendant l’intervalle de temps entre sa mort et sa résurrection. Quand Marie Madeleine a rencontré le Christ ressuscité dans le jardin, il lui a dit : « Cesse de t’accrocher à moi, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers celui qui est mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20.17). C’est donc l’Ascension de Jésus qui marque le retour de Jésus au ciel. Mais si Jésus n’était pas au ciel, était-il pour autant en enfer ? Le Credo semble l’affirmer, mais cette déclaration contredit Apocalypse 20.14, où nous apprenons que c’est à la fin des temps que la mort et le séjour des morts seront « jetés dans l’étang de feu », c’est-à-dire en enfer. Ainsi, Jésus n’a pas pu descendre dans ce lieu quand il est mort, tout simplement parce que l’enfer n’existait pas encore. Tout au plus était-il vide !
Où était-il donc ? À mon sens, la seule solution possible est que Jésus est allé dans un endroit que la Bible appelle Hadès (en grec) ou Shéol (en hébreu), c’est-à-dire le lieu d’attente des morts, « le séjour des morts ». Hadès/Shéol, c’est le lieu où habitent les morts en attente du jugement dernier. Et il faut, de fait, distinguer ce lieu de l’enfer. L’enfer, en effet, est l’endroit où le jugement éternel prendra effet, où la séparation avec Dieu sera définitive, après le jugement dernier. Le « séjour des morts », lui, est présenté dans les Écritures comme comprenant deux parties distinctes : une « bonne » partie, heureuse, pour les saints, et une « mauvaise » partie, souffrante, pour les injustes. C’est la pensée que reflète par exemple la parabole de Lazare et de l’homme riche, en Luc 16.19-31 (voir aussi Lc 23.44).
Quand le Credo dit que Jésus est descendu « aux enfers », ce qu’il veut dire, c’est que Jésus est allé au séjour des morts.
Donc, quand le Credo dit que Jésus est descendu « aux enfers », ce qu’il veut dire, c’est que Jésus est allé au séjour des morts. Mais alors, pourquoi le Credo dit-il qu’il est descendu « aux enfers » plutôt que « dans le séjour des morts » ? La confusion vient semble-t-il d’un simple problème de traduction. En effet, si les plus anciennes versions latines de cette phrase ont desendit ad inferos, d’autres proposent « desendit ad inferna ». Le latin inferus signifie « les profondeurs », « le monde du dessous » ou « le séjour des morts ». Par contre, infernus peut être traduit par « enfer » ou « perdition ». Cependant, dans le Moyen-Âge ancien, ces deux termes auraient très certainement été synonymiques, et il ne faudrait pas traduire infernus par enfer dans cette version du Credo. C’est « le séjour des morts » qui était aussi signifié. La traduction communément utilisée dans nos Églises est donc le fruit d’une simple erreur, mais d’une erreur fort problématique ! Jésus n’est pas allé en enfer, mais au séjour des morts.
Mais quelle est alors la signification théologique de la présence de Jésus dans le séjour des morts ? Premièrement, cette idée indique que Jésus a partagé pleinement avec l’humanité les conséquences de la mort physique. Il est vraiment mort et son âme est allée, comme tout humain, dans le séjour des morts. Son corps a été enseveli et son âme a rejoint la compagnie de ceux qui étaient morts, en attendant la résurrection. Comme le dit l’Épître aux Hébreux, « ainsi, par la grâce de Dieu, il a goûté la mort pour tous » (Hé 2.9).
Deuxièmement, un texte énigmatique du Nouveau Testament, 1 Pierre 3.19-20, enseigne que Jésus a prêché la bonne nouvelle de sa victoire dans le séjour des morts :
Car le Christ lui-même a souffert une fois pour toutes en rapport avec les péchés, lui, juste, pour des injustes, afin de vous amener à Dieu. Mis à mort quant à la chair, il a été rendu vivant quant à l’Esprit. C’est ainsi qu’il est aussi allé faire la proclamation aux esprits en prison, à ceux qui avaient refusé d’obéir autrefois, lorsque la patience de Dieu attendait – aux jours où Noé bâtissait l’arche dans laquelle un petit nombre de personnes, huit, furent sauvées à travers l’eau.
Jésus est donc descendu dans le séjour des morts pour « faire la proclamation aux esprits en prison ». Il est difficile d’interpréter ce texte car l’idée qu’il véhicule est unique dans le Nouveau Testament. Il me semble que ce qui est signifié ici est que Jésus est allé faire la proclamation à tous ceux – même les impies – qui étaient retenus par le pouvoir de la mort, dans le séjour des morts. Pierre n’explicite pas le but de cette annonce, mais je dirais qu’il fallait simplement que tous sachent ce qu’il avait réalisé à la croix (victoire sur la mort, réconciliation avec Dieu, pardon des péchés, etc.). Cette proclamation aurait alors été une affirmation d’espérance pour les croyants et de jugement pour les impies. Celle-ci, notons-le explicitement, n’avait clairement pas pour intention d’offrir le salut aux impies. Il ne saurait là y avoir une quelconque base pour les doctrines d’un salut universel et/ou du purgatoire.
Mais troisièmement, en descendant et en proclamant sa victoire dans le séjour des morts, Jésus a libéré les saints du Sheol et les a emmenés dans la présence de Dieu. C’est ce que Paul déclare en Éphésiens 4.8-10, quand il discute des dons offerts à l’Église par le Christ exalté :
C’est pourquoi il dit : Il est monté dans la hauteur, il a emmené des captifs, il a fait des dons aux humains. Or, que signifie : il est monté, sinon qu’il est aussi descendu dans les régions inférieures, sur la terre ? Celui qui est descendu, c’est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir tout.
Paul, citant le Psaume 68, utilise l’image d’une procession victorieuse : celle du Christ conduisant fièrement les captifs opprimés par la mort hors du Sheol, devant les yeux médusés de leurs tyrans et de tous ceux qui avaient rejeté Dieu (qui, eux, restent dans le Sheol en attendant l’aboutissement de leur destinée malheureuse). Christ emmène les saints, morts avant sa venue, dans la présence de son Père. L’Épître aux Hébreux va également dans ce sens, au chapitre 11, quand elle cite celles et ceux qui sont morts sans avoir reçu ce qui était promis, c’est-à-dire une cité céleste (Hé 11.11, 13-16). Ce faisant, Dieu en Christ a été fidèle, il a sauvé ceux qui avaient placé leur foi en lui en les délivrant de l’esclavage de la mort.
Ainsi, selon cette interprétation, c’est depuis la descente de Jésus dans le séjour des morts, dans l’intervalle entre sa mort et sa résurrection, que les croyants qui meurent vont directement dans la présence de Christ et du Père, rejoignant de la sorte l’Église triomphante. Christ est descendu dans le séjour des morts pour ouvrir la voie vers le Père. Les clefs de la mort et de son séjour sont maintenant entre les mains de notre sauveur : « Heureux ceux qui dès maintenant meurent au service du Seigneur ! » (Ap 14.13) !
• Alain Nisus, Autour du Credo : ce que les chrétiens croient depuis les origines, Croire et lire, Paris, Croire Publication, 2010.
• Matthew Y Emerson, “He Descended to the Dead”: An Evangelical Theology of Holy Saturday, Downers Grove, IVP Academic, 2019.
• Mike Bird, What Christians Ought to Believe: An Introduction to Christian Doctrine Through the Apostles’ Creed, Grand Rapids, Zondervan, 2016.
Nous utilisons des cookies non-publicitaires pour rendre ce site plus clair. Si vous le souhaitez, vous pouvez les désactiver. Bonne visite sur Point-Théo !