Un article récent défend l’idée d’une « divinisation » du chrétien. La « divinisation » nous vient d’Irénée de Lyon, qui écrivait que « Jésus-Christ notre Seigneur, à cause de son surabondant amour, s’est fait cela même que nous sommes, afin de faire de nous cela même qu’il est »[1] pour asseoir sa doctrine de la résurrection de la chair. Depuis, le terme est principalement employé par les théologiens orientaux, pour qui la divinisation est le pendant de l’incarnation : « Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu ». Or le parallélisme (esthétique) cache un sophisme, c’est à dire faux raisonnement (par exemple, ce n’est pas parce que Dieu est amour que l’amour est Dieu) ; il suppose que l’union avec Christ produit une « transmutation métaphysique » de l’homme ou une communion de substance, par laquelle il deviendrait « divin ».
Pour l’auteur, la « divinisation » permettrait de « dépasser une conception juridique du Salut » (jugée négative) en mettant en avant les aspects positifs de l’union avec Christ : « Jésus ne fait pas que mourir à notre place ; il vit en nous pour que nous retrouvions l’image de Dieu. »
Il est évident que les Écritures ne limitent pas le Salut à l’expiation et à la substitution pénale, même si elles en conditionnent l’accès. La régénération est l’un des principaux bienfaits de l’œuvre de Christ, qui, dans l’union avec lui, nous est appliquée par le Saint-Esprit. En ce sens, elle est bien un processus de transformation qui vise à restaurer en nous l’image de Dieu que le péché a détruite :
« Nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l’Esprit. » (2 Co 3.18)
Pour autant, rien ne laisse entrevoir une divinisation : la distinction fondamentale Créateur-créature demeure, selon la métaphore du modèle et de l’image, du miroir et du reflet. Seul Dieu possède la divinité en plénitude (1 Tm 1.17).
Les Ecritures ne présentent pas l’union avec Christ sur le mode de la « divinisation » mais sur celui de la participation :
« Comme sa divine puissance nous a donné tout ce qui contribue à la vie et à la piété, au moyen de la connaissance de celui qui nous a appelés par sa propre gloire et par sa vertu, lesquelles nous assurent de sa part les plus grandes et les plus précieuses promesses, afin que par elles vous deveniez participants de la nature divine, en fuyant la corruption qui existe dans le monde par la convoitise… » (2 P 1.4).
La participation implique le bénéfice d’une parfaite communion spirituelle (Christ en nous et nous en Christ) et la communication des vertus de Christ, mais pas une communion de substance.
En ce sens, notre être en Christ conduit d’abord dans une mise à mort du péché : nous sommes participants de la nature divine si nous recourons, par la piété, à sa divine puissance « en fuyant la corruption qui existe dans le monde par la convoitise. » Est uni à Christ celui qui, par la foi, accepte la mortification de la chair et la marche par l’Esprit de résurrection en renonçant au péché ainsi qu’aux convoitises du monde. Lorsque Paul parle d’ « être une plante avec le Christ », il précise que c’est dans la conformité à sa mort :
« En effet, si nous sommes devenus une même plante avec lui par la conformité à sa mort, nous le serons aussi par la conformité à sa résurrection, sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût détruit, pour que nous ne soyons plus esclaves du péché » (Rm 6.5-6).
S’il y a bien une participation à la nature divine, celle-ci n’est pas purement positive et mystique. Elle se fait en des termes juridiques qui sont ceux de l’expiation : mort avec Christ à la croix, résurrection avec lui. La transformation à son image ne s’opère que par l’application de son œuvre expiatoire à notre vie.
La divinisation introduit une erreur de compréhension quant à la nature de notre union avec Christ, que Calvin avait déjà déboutée dans sa controverse avec Osiander comme une chimère orgueilleuse.
Cette union « n’est ni une fusion, ni une diffusion, encore moins une confusion. »[2] La promesse d’être « comme des dieux », est celle, mensongère, du serpent.
Cela étant posé, la participation à la nature divine implique bien un « dépassement des avantages originels ». L’Esprit fait entrer l’homme dans une réalité spirituelle supérieure à celle de la première création, ce que les Écritures appellent la « glorification ». L’homme n’est pas divinisé, mais il sera « glorifié » (Rm 8.30) dans le monde à venir : il revêtira un « corps glorieux », « plein de force », et la lumière de sa justice brillera pour l’éternité. Étre rendus participants de la nature divine est bien la chose la plus excellente que l’on puisse concevoir. La portée de cet honneur nous échappe, car encore invisible et inouïe, mais ce que nous en savons est suffisant pour renoncer à l’impiété et aux convoitises (Tt 2.12), même les plus spirituelles ; comme le dit joliment Calvin : « Cette seule méditation doit plus que suffire à nous faire renoncer au monde, pour être complètement ravis au ciel. »[3]
[1] Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Préface au livre V.
[2] Jonathan Monnier, « La doctrine de l’union avec Christ est-elle la doctrine centrale de la théologie de Calvin ? », in La Revue Réformée, N° 271 – 2014/4 – JUILLET 2014 – TOME LXV.
[3] Jean Calvin, Epîtres de Jacques et de Pierre, Première épître de Jean et épître de Jude, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Marne la Vallée, 1992, 176.
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