Chaque époque a ses sujets de controverse théologique. Les grands débats sur l’eschatologie ont connu leur âge d’or et ont souvent constitué un point de clivage très fort dans les milieux évangéliques. Ce débat est aujourd’hui largement apaisé. On pourrait sans doute dire la même chose, ou presque, des débats sur l’interprétation des premiers chapitres de la Genèse. Non que ce sujet soit clos, loin s’en faut – et dans certains milieux, il reste un point très sensible. Mais il ne constitue plus, me semble-t-il, un marqueur d’identité théologique comme il le fut auparavant. Même la « question charismatique » est, en particulier depuis la création du CNEF [1], vécue plus sereinement qu’elle ne le fut longtemps.
Depuis le début du siècle environ, le sujet théologique qui semble avoir pris le relais en tant que « marqueur d’identité théologique » et point de clivage majeur dans nos milieux est celui qu’on appelle sobrement et trop vaguement « les ministères féminins »
Depuis le début du siècle environ, le sujet théologique qui semble avoir pris le relais en tant que « marqueur d’identité théologique » et point de clivage majeur dans nos milieux [2] est celui qu’on appelle sobrement et trop vaguement « les ministères féminins ».
En réalité, il faudrait parler plus largement d’anthropologie biblique. Car le sujet dépasse celui des ministères. La question qui se pose est double : est-il légitime d’affirmer, même avec toutes les précautions de langage appropriées, que les hommes ont vocation à être « chefs » de leur foyer, que Dieu leur a confié en ce sens une responsabilité particulière, et que les femmes mariées sont invitées en conséquence à « se soumettre » à leurs époux (2 Pi 3.1 ; Eph 5.22) ? Ou faut-il considérer que les injonctions bibliques en ce sens sont relatives au contexte culturel de l’époque et doivent être repensées en fonction du nôtre ? De manière analogue, est-il légitime d’estimer que certaines responsabilités dans l’Église – la direction de l’Église, et, pour certains, l’enseignement public – devraient être réservées aux hommes ? Là encore, des textes bibliques évoquent directement la question, mais beaucoup estiment qu’il s’agissait pour les auteurs bibliques de s’accommoder aux normes culturelles de leur époque, sans les ériger en principes permanents.
En réalité, il faudrait parler plus largement d’anthropologie biblique. Car le sujet dépasse celui des ministères.
Il n’est pas possible ni souhaitable d’entrer ici, en quelques lignes, dans le fond du sujet. Pour qu’on ne me reproche pas d’affecter une fausse neutralité, je préciserai simplement ici que je suis de ceux qui estiment qu’il est bibliquement fondé de voir certaines différences de vocation entre l’homme et la femme, dans le couple en premier lieu, et, dans une certaine mesure, dans l’Église. Ces différences de vocation peuvent, à mon sens, être vécues dans l’égalité et la complémentarité, dans une grande liberté d’exercice des dons et compétences de chaque personne, et loin des stéréotypes figés qu’on confond trop souvent avec l’enseignement biblique. Voilà pour l’ « opération transparence » de l’auteur de ces lignes. Mais ce n’est pas la question de fond qui nous occupe ici.
Ce qu’il y a de particulier dans ce débat, c’est qu’il évolue en quelque sorte en parallèle d’un débat sociétal, ou plutôt d’une pression sociétale croissante qui rejette de plus en plus fermement toute « discrimination » [3] en fonction du sexe. La parité dans les institutions gouvernementales est devenue une évidence, au point d’être aujourd’hui légalement imposée. Tout propos – sérieux, humoristique, ou de « sagesse populaire » – évoquant « les hommes » ou « les femmes » est reçu comme un vestige malheureux d’un autre temps. Des réflexes culturels s’appuyant sur la différenciation sexuelle, comme la galanterie, sont rejetés comme étant une forme douce de condescendance voire d’oppression. Plusieurs estiment même nécessaire d’adapter la langue, notamment les fameuses terminaisons inclusives (« citoyen.ne.s »). Enfin, la dénonciation du « sexisme » est un élément aujourd’hui omniprésent – pour le meilleur ou pour le pire – des débats publics.
Or il me semble inévitable que l’ambiance sociétale soit ressentie de manière de plus en plus sensible dans nos milieux. Ce qui a longtemps été considéré comme une tradition ou simplement un choix théologique possible (un corps pastoral en grande majorité masculin, une théologie du mariage qui différencie les vocations) ne sera-t-il pas bientôt vu comme une forme de discrimination moralement, voire légalement condamnable ? Les médias qui, depuis quelques années, s’intéressent – de manière souvent plus bienveillante qu’auparavant – à nos milieux les fustigeront-ils bientôt pour leur « sexisme institutionnel » ? Le malaise souvent ressenti dans nos Églises lorsqu’on évoque quelques textes bibliques sur ce thème deviendra-t-il franche consternation ?
Face à cette crispation qui me semble quasi-certaine – j’espère me tromper ! – la grande question est de savoir comment les chrétiens réagiront.
La pire des réactions serait la surenchère. Ainsi, les « complémentaristes » pourraient être tentés d’ériger toujours plus la question des « ministères féminins » en shibboleth de la fidélité biblique. Les « égalitaristes » seraient ainsi systématiquement accusés de libéralisme et de compromission. Pire, les vraies dérives sexistes de nos milieux, leur tendance réelle à abaisser parfois avec condescendance les femmes et à cultiver les stéréotypes désuets, seraient « verrouillées » et justifiées au nom du courage des convictions.
A l’inverse, les « égalitaristes » pourraient être tentés de s’armer du cadre conceptuel de notre société incroyante pour mépriser la conscience de leurs frères et sœurs, pour « ringardiser » leurs convictions en refusant d’entrer dans le légitime débat biblique et théologique, pour se désolidariser d’eux au nom du nécessaire et indiscutable « progrès » voire, pire, d’accompagner par omission une dérive sociétale qui brouille toujours plus les repères et s’attaque aux structures familiales.
Face à « la tempête qui vient » (peut-être), il semble nécessaire d’ouvrir un vrai et large débat biblique et théologique qui permette à chacun d’examiner en profondeur ses convictions et, surtout, de réaffirmer notre solidarité, notre amour fraternel et notre communion. Comme l’écrivait récemment le pasteur britannique Andrew Wilson, « Ne supposez pas que les égalitaristes sont des libéraux. Ne supposez pas que les complémentaristes sont sexistes. Pensez le meilleur de votre famille. Demandez pourquoi. Débattez. Honorez-vous les uns les autres[4]. »
Saurons-nous suivre ensemble le Seigneur au cœur de la tempête qui vient ?
[1] Conseil National des Évangéliques de France. Je prends le parti de me focaliser sur la situation dans mon pays.
[2] En tout cas dans le mien !
[3] Notons qu’au sens strict, « discriminer » est un terme neutre qui signifie « faire une différence en fonction de certains critères »
[4] Andrew WILSON, tweet du 18 mai 2017
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