On oppose souvent les livres de qualité, de bon niveau, exigeants et parfois difficiles d’accès, aux livres grand-public, parfois simplistes et standardisés. Mais le Nouveau Testament nous montre dans ce domaine une voie originale.
Si vous êtes lecteur ou lectrice, vous vous préoccupez certainement de la qualité littéraire des textes que vous lisez. Un livre n’est pas seulement un « contenu » ; c’est aussi la mise en forme littéraire d’un « contenu ». Et la forme contribue, avec le fond, au message et à sa transmission.
Le Nouveau Testament est-il un document littéraire de qualité ? Est-il bien écrit ?
Le langage employé est le grec qu’on appelle koinè, c’est-à-dire un grec ordinaire, le grec parlé. Et les exégètes modernes évaluent diversement la qualité des écrits du Nouveau Testament. Le grec concerné est celui des périodes dites hellénistiques et romaines, le « dialecte commun » (sens de koinè) qui avait été imposé à la région par les conquêtes d’Alexandre le Grand, au 4e s. av. J.-C. Puis les Romains avaient conquis le monde hellénistique, au cours des siècles suivants, mais ils avaient gardé la culture grecque et continué à utiliser le grec comme langue officielle (de la partie orientale de l’Empire).
Le Nouveau Testament est-il bien écrit ?
Mais il n’est pas très facile de proposer une évaluation globale du « niveau de grec » du Nouveau Testament, le langage et le style employés étant variables selon les livres. Disons que l’évaluation dépend beaucoup de l’objet de la comparaison. Les écrits du Nouveau Testament ne doivent pas être comparés à la littérature grecque classique, qui relève d’un autre langage, d’un autre grec.
Le niveau de langue de l’apôtre Paul, de ce point de vue, a souvent fait l’objet d’évaluations négatives. Il est vrai que Paul n’écrit pas sur un mode lettré. Il ne cite pas ou très rarement la littérature grecque. Il n’écrit pas pour la beauté de l’écriture, mais pour construire la foi. Il ne faut pas non plus comparer Paul aux puristes de son temps, qui militaient pour un retour du grec classique. Cela dit, Paul était loin d’être illettré, même si son langage n’est probablement pas à la hauteur de la sophistication du langage de rhétoriciens de son temps. S’il ne cherche pas l’artifice, les nombreuses comparaisons effectuées montrent que sa façon de s’exprimer a beaucoup en commun avec les lettres de l’époque. Et de ce point de vue, son grec est de bonne qualité.
Cela dit, le langage employé ne suffit pas à définir la qualité d’un texte. L’emploi de mots simples n’empêche pas la qualité de l’expression. Et la qualité littéraire apparaît aussi dans la qualité du discours.
Paul déploie dans ses épîtres un raisonnement parfois subtil, on pourrait même dire complexe (2 Pierre 3.16) ! Jamais il ne verse dans le simplisme. Il aborde de multiples questions, comme les conflits, le mariage, la responsabilité individuelle et collective, et jusqu’à de grands sujets théologiques comme la résurrection des morts, la fin des temps avec une grande force de conviction et une argumentation originale.
Le grec de l’Apocalypse est étrange, et selon certains de mauvaise qualité. Mais il faut dire que le genre littéraire du livre est très particulier. Et c’est plutôt de la richesse de ses images, par exemple, ou de sa structure, que ressortent les qualités littéraires de l’Apocalypse.
C’est de la richesse de ses images ou de sa structure que ressortent les qualités littéraires de l’Apocalypse.
De même, l’évangile de Luc et le livre des Actes, qui sont de la plume du même auteur, contiennent divers dispositifs littéraires qui montrent que l’intention de l’auteur n’était pas de lister des données les unes à la suite des autres. Les deux livres se renvoient l’un à l’autre. Il y a des points communs entre ce que fait Jésus dans Luc et ce que font Pierre et Paul dans les Actes. De nombreux ponts sont ainsi construits entre ces deux livres, qui permettent au lecteur de percevoir la portée de l’œuvre de Jésus, qui n’est pas limitée à un temps passé mais qui s’actualise dans la vie de l’Église. Mais ce n’est pas tout, dans le livre des Actes lui-même, des ponts sont également bâtis entre Pierre et Paul, Pierre occupant la première moitié du livre, Paul la seconde, grosso modo.
L’évangéliste Jean, de même, fait aussi usage de plusieurs procédés littéraires subtils, par exemple quand il fait passer le lecteur en douceur des discours de Jésus à ses propres méditations, ou avec ses doubles sens et jeux sur les mots. Lorsque Jean écrit, par exemple, qu’« il faut que le Fils de l’homme soit élevé », est-ce qu’il parle de l’élévation de Jésus sur la croix, ou de son retour à Dieu, au ciel ?
En soi, le fait que le Nouveau Testament soit un écrit de bonne qualité n’a rien de remarquable. Ce qui donne son caractère particulier à cette qualité, c’est que les livres qui composent le Nouveau Testament ne sont pas destinés à l’élite de la société gréco-romaine de l’époque, mais à des petits groupes chrétiens disséminés ici et là, d’une composition beaucoup moins homogène. La littérature, dans le monde gréco-romain antique, était bien sûr réservée à l’élite de la société ou à certains cercles particuliers.
L’exemple de Corinthe est bien connu. « Il n’y a pas parmi vous beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles » (1 Corinthiens 1.26, NBS). L’Église de Corinthe, de toute évidence, n’était pas un club de l’élite sociale de l’époque ; même si, quand Paul dit qu’« il n’y a pas parmi vous beaucoup de sages, de puissants, de nobles », ça ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas du tout ; il y en avait, ne serait-ce que les propriétaires des maisons qui accueillaient les rassemblements chrétiens. L’apôtre Paul évoque d’ailleurs des tensions entre riches et pauvres dans l’Église (11.21).
Quoi qu’il en soit, c’est pour des petits groupes de personnes majoritairement modestes que les auteurs du Nouveau Testament écrivent. Nous avons donc à faire à une littérature de bon niveau, exigeante, bien qu’écrite dans un langage généralement simple, rédigée pour des gens qui n’étaient pas « de qualité », selon les normes de l’époque.
Une littérature de bon niveau, rédigée pour des gens qui n’étaient pas « de qualité »…
C’est ce constat qu’il est intéressant de faire ! Et qui nous appelle, entre autres conclusions, à apprécier la simplicité tout en refusant le simplisme, et à considérer que les chrétiens, quelle que soit leur condition, peuvent être amenés à saisir la richesse de l’enseignement biblique.
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