Doctrine

L’évangélisation et la théologie. Souveraineté de Dieu et décision humaine

Qui vient s’immiscer dans un débat millénaire ne doit pas rêver qu’il produira beaucoup d’inédit : ce qui est bon est rarement neuf ; ce qui est neuf est rarement bon. Il faut se méfier des solutions « miracles », faussement supérieures, qui prétendent réconcilier tout le monde, ou renvoyer tous les adversaires dos à dos.

Sur la souveraineté de Dieu et la décision humaine, nous pourrions donc reprendre les plaidoyers, toujours valides, des théologiens d’autrefois. Deux tendances s’affrontent depuis longtemps : il y a le côté d’Augustin, de Luther, de Calvin, de César Malan, de Spurgeon ; il y a de l’autre côté, celui de Pélage, de Melanchthon, d’Arminius, de Wesley, de Finney. Les arguments échangés n’ont pas perdu leur pertinence.

Annonçons d’entrée la couleur ! Voici notre thèse : L’affirmation sans réserve de la souveraineté de Dieu dans la conversion de l’homme, loin d’exclure, implique et fonde l’appel à la décision, en lui permettant de garder son caractère biblique.

Rappel des données

  1. L’Écriture martèle l’affirmation de la souveraineté de Dieu. Il est, entre tous les dieux, le Seigneur. Pantocrator, il fait ce qu’il veut de l’argile qu’il pétrit. Tous les êtres sont à son égard dans une dépendance radicale et totale : tout est de lui, par lui, pour lui ; en lui nous vivons, nous nous mouvons, nous sommes ; il opère tout selon le conseil de de sa volonté.
  2. Pourquoi les arminiens d’un côté, les hyper-calvinistes de l’autre (et ceux qui se rattachent à ces deux tentations), jouent-ils toujours l’une contre l’autre la souveraineté de Dieu et la décision de l’homme, alors que l’Écriture affirme sans réserve la première et exige avec insistance la seconde ? Dans la Bible, aucune tension ne s’exprime entre les deux ; il ne nous est pas demandé de les garder toutes deux malgré une discordance douloureuse ; il ne nous est pas commandé de travailler avec crainte et tremblement bien que Dieu opère en nous et le vouloir et le faire, mais parce qu’il les opère !
  3. Il faut creuser plus profond pour découvrir le fondement de la différence radicale entre les déterminations aliénantes des forces de la nature et la détermination personnelle et infaillible de Dieu. Si les images tirées de l’action que les créatures exercent les unes sur les autres nous égarent, c’est que notre rapport à notre Créateur est unique, tout autre. C’est en Lui que nous sommes. Alors que toutes les créatures sont métaphysiquement extérieures les unes aux autres, Dieu nous est « plus intérieur que le plus intime de nous-mêmes » (Augustin). Comme l’a dit l’abbé Monchanin, Dieu est tout autre qu’un autre. Sa distinction d’avec le monde et sa présence radicalement fondatrice de Créateur permettent au Dieu biblique de produire en nous un vouloir qui est un vrai vouloir.
  4. Loin d’exclure la décision de l’homme, la souveraineté du Dieu Trine, tout-autre qu’un autre, l’implique et la fonde comme le moyen par lequel la créature en image de Dieu doit accéder à sa vie.

Les conséquences

  1. Puisque l’appel à la décision de l’homme n’est pas exclu, mais fondé par la souveraineté du Seigneur, nous n’hésiterons pas à le faire retentir. Ce n’est pas tomber dans le pélagianisme ou l’arminianisme que d’inviter les hommes à se convertir. Ce n’est pas léser la grâce souveraine de Dieu que rappeler solennellement que sans repentance et foi personnelles il n’y a pas de salut.
  2. Puisque la décision de l’homme procède elle-même de la grâce de Dieu, et qu’elle joue le rôle de moyen dans l’accomplissement du projet de Dieu, l’appel à la décision devra se garder, dans sa forme, de suggérer le contraire.

Il faut se garder de réclamer la foi comme une « part de l’homme » qui s’ajouterait à celle de Dieu. On ferait ainsi, paradoxalement, de la foi une sorte d’œuvre. Tout est grâce ! Et à Dieu seul revient ainsi toute la gloire !

Il faut se garder de décrire Dieu comme un Dieu mendiant, qui se serait lié les mains devant sa créature. Le dépeindre ainsi a, en vérité, une apparence de sagesse, en suggérant la profondeur mystique et le renversement des idées communes sur Dieu, mais cela n’a aucune base biblique et contribue à la satisfaction de la chair, c’est-à-dire de la prétention humaniste à l’autonomie.

Conclusion

En tout cas, cette vérité doit demeurer ferme : devant l’immensité de la moisson et la puissance de l’adversaire, il n’est pas de vérité plus stimulante et plus consolante dans l’évangélisation que la souveraineté absolue de Dieu !

Travaillez à répandre le salut avec zèle et assurance, car c’est Dieu qui opèrera dans vos auditeurs, et le vouloir et le faire, selon son bienveillant dessein.

[Ce texte est extrait d’un article paru dans la revue Ichthus, n° 79, octobre-novembre 1978, et publié avec l’accord de l’auteur.]

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Professeur émérite de théologie systématique et philosophie, doyen honoraire, de la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine.

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