1 Corinthiens 11.27-29 : « C’est pourquoi quiconque mangerait le pain ou boirait de la coupe du Seigneur d’une manière indigne se rendrait coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun donc s’examine sérieusement lui-même et qu’alors il mange de ce pain et boive de cette coupe. Car celui qui mange et boit sans discerner ce qu’est le corps se condamne lui-même en mangeant et en buvant ainsi » (Bible du Semeur).
« Le corps » dont il est question ici, celui qui doit faire l’objet d’un « discernement », c’est vraisemblablement l’Église de Dieu, mais la question est débattue, comme le montre le commentaire d’Antony Thiselton sur la Première épître aux Corinthiens (dans la série NIGTC, p. 891-897). Trois traditions d’interprétation existent :
(a) Le pain et le vin de l’Eucharistie
La première ligne d’interprétation considère qu’il faut distinguer d’un côté le pain et le vin de l’Eucharistie, et de l’autre le pain et le vin ordinaires. À l’appui de cette lecture, on fait valoir le fait que « corps » et « sang » viennent juste de désigner le pain et le vin de la cène. Mais cette approche semble bien importer dans le récit des convictions ultérieures et, qui plus est, des convictions qui n’ont rien à voir avec le mouvement global du passage, soucieux des relations entre les membres de la communauté.
(b) Le corps-communauté
La deuxième lecture est celle qui aurait ma préférence : le corps représenterait ici la communauté chrétienne. À l’appui de cette lecture, on peut relever le fait que Paul ne mentionne pas le « sang », mais seulement le corps. On pourrait évidemment répliquer en disant qu’on n’a là qu’une formulation pars pro toto, la mention d’une partie pour désigner le tout (c’est par exemple ce que dit I.H. Marshall, Last Supper and Lord’s Supper, Paternoster, 1980, p. 114). Mais on peut aussi rapprocher ce texte de 1 Corinthiens 10.16-17, où le mot « corps » est employé dans ce sens collectif.
(c) Le corps du Christ
La dernière lecture considère que les Corinthiens sont appelés à reconnaître ce qui singularise le corps [what caracterizes the body as different], à savoir que Paul les appelle à être conscients de ce qui est propre au Christ, notamment le fait qu’il s’est donné pour les autres par pure grâce. Le repas du Seigneur, en soulignant la participation et l’identification au Christ crucifié, doit donc générer une transformation sociale. Il faut alors que le chrétien examine l’authenticité de son action, et partage la Cène d’une façon qui corresponde à la singularité du corps. « Ce qui est requis, c’est de reconnaître notre part au Christ crucifié “pour nousˮ, c’est-à-dire reconnaître notre statut et nos obligations de chrétiens, ou, pour reformuler le verset 29, de reconnaître ce qui nous caractérise comme chrétiens. Il s’agit de discerner notre caractère distinctif, non pas en tant qu’individus, mais comme étant-morts-et-ressuscités-comme-corps-de-Christ » (A. Thiselton, The First Epistle to the Corinthians, p. 897). Si je comprends bien la pensée, assez subtile, « le corps » correspondrait ici au Christ, ou à son œuvre. C’est ce qui me gêne dans cette lecture, qui ne me paraît pas très naturelle. Cela dit, j’ai l’impression que l’approche (c) rejoint la précédente (b) sur le plan du retentissement pratique.
Conclusion
Je ne suis pas sûr que l’on puisse exclure tout à fait du v.29 la référence au pain de la cène, puisque l’expression vient d’être employée dans ce sens dans le contexte le plus proche. Il n’est donc pas immédiatement évident qu’on puisse importer au chapitre 11 la connotation communautaire qu’a le terme en 1 Corinthiens 10.17. Cela dit, la référence au corps me semble bien être en 11.29 principalement communautaire. Si l’on veut chercher un compromis entre les lectures b et c, on peut toutefois aller dans le sens proposé par Marshall :
Nous pouvons fort bien être accusé d’avoir un a priori protestant, mais il faut dire que les remarques de Paul n’exigent rien d’autre qu’un accent sur le symbolisme du pain et du vin et n’exigent pas une identification du pain et du vin au corps et au sang de Jésus. C’est tout particulièrement vrai si les spécialistes qui considèrent que le corps et le sang de Jésus ne sont pas deux parties « séparées » du Seigneur crucifié, et si le pain et le vin représentent l’un et l’autre la personne de Jésus dans son entier [voir à ce propos la p. 86 de son ouvrage]. Il peut aussi être important de noter qu’aucun auteur du Nouveau Testament ne fait référence au vin comme symbole du sang de Jésus ; c’est la coupe qui constitue le symbole, et le vin en tant que tel n’est pas significatif (p. 114).
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