« Cela n’était pas dans le contrat… »

« Cela n’était pas dans le contrat… »
Guy Delarbre
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Un livre a particulièrement retenu mon attention : « L’Autre Dieu » écrit par la pasteure Marion Muller-Colard [1]. Une phrase, en plein milieu, … une phrase qui m’est venue droit au cœur : « Cela n’était pas prévu dans le contrat ! »[2]. Est-ce que ça ne vous est jamais arrivé d’avoir ce genre de phrase à l’esprit ? Combien de situations improbables, injustes à vos yeux se sont imposées, vous ont dérangées, vous ont conduits à des questions, voire à des impasses… et après ? Qu’en a-t-il été ? Toujours l’impasse ou un regard nouveau ?

Marion Muller-Colard nous impose de ne pas rester sans réaction, quitte à crier un bon coup. Même la question sans réponse peut alors être un bon début. Un certain Job, qui dans un premier temps n’a rien compris au contrat qui lui était imposé, a été entrainé à revisiter sa vie… Cela lui a été salutaire…

Quand je pense à cette phrase « Cela n’était pas prévu dans le contrat ! », cela m’a conduit à lire différemment ne serait-ce que la célèbre confession de Pierre « Tu es le Messie» (Mc 8.29) mais qui, en elle-même, n’est pas suffisante puisque Pierre ne sait pas tout de ce Messie ; ce qui conduira Jésus à lui adresser (et aux autres aussi) une parole sévère lorsque Pierre se refusera à entendre parler de souffrance et de mort. Pierre aurait pu dire « Mais ce n’est pas prévu au contrat : » Et Jésus aurait pu lui répondre : « De quel contrat parles-tu ? Quelles sont tes références ? »

Dans cet autre contrat il était question, non pas de culpabilité à rechercher mais de gloire de Dieu à manifester.

Quand je pense à cette phrase « Cela n’était pas prévu dans le contrat ! », cela m’a conduit à relire l’épisode relatif à l’aveugle de naissance (Jn 9). Le premier réflexe a été de dire « Qui a péché ? » Selon la même lecture que Pierre, les autorités religieuses auraient pu dire « Comment est-ce possible ? Ce n’est pas prévu au contrat ! ». Et oui !… Un autre « contrat » était en cours mais impossible à déchiffrer par ces savants religieux. Dans cet autre contrat il était question, non pas de culpabilité à rechercher mais de gloire de Dieu à manifester… Qui aurait pu y penser ? Pauvres humains que nous sommes ?…

Quand je pense encore à cette phrase « Cela n’était pas prévu dans le contrat ! », il m’est arrivé, au cours de mon ministère, de faire une autre lecture de la vie d’Église.

Dans le contrat auquel je me réfère immédiatement, je vois des valeurs et des pratiques qui vont de soi dans la pratique communautaire, n’est-ce-pas ? (compassion, bonté, amour fraternel, réunions de prières) … et pourtant je suis obligé d’aller à l’évidence que j’ai (nous avons) un autre contrat entre les mains, un contrat quelque peu inattendu qui m’oblige (nous oblige) à revoir ma (notre) théologie, ma (notre) perception de Dieu et de l’Église… car il y a une certaine distance entre l’effet attendu et la réalité…

Mais plutôt que de me plaindre ou de désenchanter, j’en viens alors à me dire : « Merci Seigneur pour cet autre contrat sans quoi je ne t’aurais jamais connu pour ce que tu es vraiment ; je n’aurais jamais été en mesure d’aller aussi loin dans ce que tu réclames de moi, que ce soit dans ma foi, dans ma piété ou dans ma pratique de l’amour fraternel ; j’aurais érigé une Église non conforme à la tienne ; je n’aurais pas connu la valeur de la grâce,… de Ta grâce. Je reconnais qu’il faut payer un prix pour communiquer et vivre de cette grâce ; alors pardon pour toutes les fois où j’ai usé d’une grâce à bon marché, où j’ai pu exiger des autres sans exiger de moi ! »

Je commence à comprendre que les écueils, qui coûtent et qui me semblent injustes au premier abord, contribuent à mon édification… Je suis donc conduit à reconnaître ce que je suis et à réviser sans cesse ma théologie, mon regard sur Dieu… et mon regard sur ma petite vie…et mon regard sur son Église… et mon regard sur mon frère et ma sœur, qui n’est pas plus coupable que moi… qui est tout autant coupable que Moi.

Point alors de rejet facile… point alors de jugement unilatéral… Mais, au contraire, une invitation à regarder ensemble dans la même direction, à marcher ensemble, certes d’un pas malhabile, mais en suivant le sentier qui mène à la Vie, défriché, heureusement, par l’Unique, Celui qui a accepté nécessairement de revêtir notre condition pour nous permettre d’arriver au bout du chemin.

« Ce Dieu que je renonce à emprisonner dans mes théologies… je lui rends grâce de m’avoir fait prendre le risque de vivre »[3].

 

[1] Marion Muller-Collard, « L’autre Dieu », Éditions Albin Michel, 2017.

[2] Marion Muller-Collard, « L’autre Dieu », Éditions Albin Michel, 2017,  page 42.

[3] Marion Muller-Collard, « L’autre Dieu », Éditions Albin Michel, 2017.

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