Clés de lecture – Ézéchiel

Clés de lecture – Ézéchiel

Pénétrer dans le monde d’Ézéchiel

Un attelage flamboyant qui transporte le trône de Dieu, une vallée remplie d’ossements qui reprennent vie, un prophète haut en couleur transporté par des visions saisissantes et qui délivre avec art des prophéties surprenantes et souvent dérangeantes… rien dans le livre d’Ézéchiel ne laisse indifférent.

Quelques clés ne seront pas de trop pour pénétrer dans ce livre des contrastes, où la promesse d’un avenir radieux succède à l’imminence de la plus sombre des catastrophes.

Prophète déraciné

Comme bon nombre de migrants aujourd’hui, Ézéchiel a vécu le déracinement, arraché par la guerre à un avenir qui semblait tracé.

Né en Judée dans une famille de prêtres, lui qui s’était probablement préparé toute sa vie à officier dans le temple de Jérusalem se retrouve à 1800 km de chez lui, non loin de Babylone.

Ézéchiel a fait partie du convoi de déportés de 597 av. J.-C., que Nabuchodonosor – le dirigeant de la superpuissance d’alors – avait emmené en Babylonie, suite au siège de Jérusalem visant à mater la rébellion de ce petit vassal.

Mais en juillet 593, à l’âge de 30 ans, âge auquel Ézéchiel aurait dû prendre ses fonctions de prêtre s’il n’avait pas été déporté, YHWH lui offre un nouvel avenir. Au travers d’une vision magistrale où la gloire divine s’approche de lui à bord d’un étrange char flamboyant (Éz 1), YHWH lui confie une mission : il sera prophète auprès de la communauté des exilés.

Catastrophe imminente

De la lecture des premières pages du livre d’Ézéchiel se dégage un sentiment d’urgence : il reste peu de temps avant que la catastrophe annoncée ne s’accomplisse : la destruction de Jérusalem par les Babyloniens. D’ailleurs le livre s’ouvre alors que le processus est déjà largement enclenché : les Judéens qui n’ont pas su entendre l’appel des prophètes à un retour à Dieu, pas plus que les avertissements de Babylone (sièges, déportations de 605 et 597, captivité de Yéhoyakîn leur roi), s’acheminent vers la catastrophe.

Ézéchiel, un hyper communicant

Le style du livre est haut en couleur. Voire carrément déroutant. La langue est parfois hachée, truffée de mots rares, de tournures et de conjugaisons surprenantes, de jeux de mots, de propos explicites (les rabbins interdisaient sa lecture aux moins de trente ans, les curieux pourront lire par ex. Éz 16 dans une version type Chouraqui, ou profiter de l’occasion pour apprendre l’hébreu 😉). Et surtout, c’est la manière même de délivrer les oracles qui est quasi-unique. Lorsque le prophète a quelque chose à dire, il surprend toujours son auditoire, quand il ne le choque pas.

Il se rase la tête et la barbe, fait trois tas avec les poils. Il brûle le premier, fait le tour de la ville avec le deuxième en le dispersant avec son épée, puis disperse au vent le troisième (Éz 5). Il confectionne une maquette en argile de Jérusalem, et s’allonge à côté pendant de longs mois, s’enferme dans un mutisme prolongé. Il cuit une galette à l’aide d’excréments pour combustible. Même la mort de sa femme est l’occasion de faire passer son message, en refusant à la surprise générale de porter le deuil comme il était de coutume. Il vit des expériences extatiques qui le transportent à Jérusalem (Éz 8), ou au milieu d’une vallée remplie d’ossements humains (Éz 37).

Ce prophète serait-il fou ? Certains ont émis l’idée que ces pratiques prophétiques étranges s’expliqueraient par certaines pathologies psychiatriques. Mais si la personnalité atypique du prophète colore fortement son message, Ézéchiel est loin d’être considéré comme fou par ses contemporains : il est une personne clé de la communauté des exilés, que les responsables viennent trouver et consulter (Éz 8.1, 20.1).

Tout chez ce prophète – sensible, artiste et décalé – est matière à délivrer son message : non seulement sa voix, mais aussi son corps et même son couple. Ézéchiel évoque ces artistes contemporains qui délivrent leurs messages sous forme de happenings, mettent en scène leur corps, déguisé, peint, nu, percé ou tatoué.

Mais l’exubérance du prophète s’explique grandement par les circonstances. Israël est au bord du gouffre. YHWH a fait d’Ézéchiel une sentinelle. Il se doit d’avertir, et il faut qu’on l’écoute. Coûte que coûte.

Le Jugement avant la restauration

Mais avertir, tout en clamant que la catastrophe est inévitable, n’est-ce pas inutile, voire contradictoire ? La mission d’Ézéchiel ne consiste pas en un énième appel à la repentance du peuple et de ses dirigeants, qui doivent revenir à l’Alliance du Sinaï s’ils veulent échapper au châtiment prévu par celle-ci.

Dans la première section du livre (Éz 1-24), le lecteur comprend que la machine est lancée, les jours de Jérusalem sont comptés.
Ézéchiel s’adresse à la communauté des exilés : ils doivent abandonner l’idée d’un salut providentiel de leur région d’origine et d’un retour prochain, prendre acte des erreurs du passé (idolâtrie, mépris des faibles, violence et meurtres, adultère, corruption, usure, etc.) et assumer chacun sa part de responsabilité.

Dans la dernière partie du livre (Éz 33-48)[1], un messager délivre aux exilés la nouvelle de la chute de Jérusalem. Puisque le châtiment est tombé, il est temps pour Ézéchiel d’annoncer la restauration à venir. Les exilés ne doivent pas céder au défaitisme ou au fatalisme : Dieu s’apprête à faire renaître son peuple qui existera à nouveau en tant que nation dotée d’une terre, d’un roi de la lignée de David, d’un temple.

Mais cette nouvelle alliance dépassera la précédente : Dieu va s’impliquer personnellement dans un renouveau spirituel du peuple, il va transformer les cœurs de pierre en cœur de chair (Éz 36).

Ainsi ils sauront que je suis YHWH

Alors, pourquoi lire un livre si déroutant ? Et bien justement pour son potentiel d’interpellation, et parce qu’il constitue un bijou d’art littéraire et de communication prophétique. Laissons-nous surprendre !

Et puis parce qu’il est incontournable, du fait de sa situation charnière dans l’histoire du salut. Ézéchiel prend acte de la fin d’un monde où le peuple de Dieu a échoué à être son témoin (Éz 5.1-12). Qu’à cela ne tienne, Dieu s’auto-révélera aux nations contre le gré de son peuple : aussi bien au travers de sa dispersion, que de son rassemblement après l’exil et de sa restauration glorieuse. Dieu est le maître de l’histoire, et il agit pour sa gloire (Éz 36.22, 31-32).

La théologie du livre d’Ézéchiel a nourri la méditation des auteurs du Nouveau Testament qui ont développé les thématiques du bon berger, du don de l’Esprit et de la nouvelle naissance, de la nouvelle création, de la nouvelle Jérusalem, etc. ; et ont vu dans le ministère du Christ la clé de voûte de ce qui a commencé avec le retour d’exil : la restauration et la résurrection du peuple de Dieu.

 


[1] Entre ces deux volets « Jugement » et « Restauration » d’Israël, se trouve une section charnière consacrée à la fides paroles de jugement à destination des pays voisins d’Israël (Ch. 25-32).

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