L’humanité connaît, à diverses échelles, des drames.
Du déni à la panique, des explications de leurs causes à la mise en place du secours aux victimes : politiques, scientifiques, journalistes et, de manière amplifiée par Internet, chacun de nous, présentent un véritable arc-en-ciel de réactions à la crise. On pensera à la pandémie de la Covid-19 qui agite les réseaux sociaux et les médias ; mais aussi à la terrible invasion de locustes qui a frappé au même moment l’Afrique de l’Est et l’Inde, ou à la famine que connaît Madagascar.
L’obsession de vouloir discerner des causes spécifiques de tels drames mène à la quête de « coupables » à blâmer : « Éclipse solaire : que fait donc le gouvernement ? » Sans oublier les thèses de complots ourdis par des forces aussi obscures que puissantes – si secrètes que des milliers d’internautes « savent » qu’elles existent. Néanmoins, l’aspect soudain et démesuré de maux effrayants vient heurter notre idée d’un monde bien ordonné ; et, pour les croyants, celle de la providence d’un Dieu bienveillant.
Comment réagir aux catastrophes naturelles ?
Le livre de Joël, une clé de lecture
Un petit livre de la Bible fonde son propos sur une double catastrophe naturelle : celui du prophète Joël, qui voit la conjonction d’une sécheresse et d’une invasion de locustes frapper le royaume de Juda. Un événement d’une telle ampleur qu’il la présente de manière comparable à la huitième plaie d’Égypte, au temps de l’Exode]. En effet, la formulation de Jl 2.2 « … tel qu’il n’y en a jamais eu et qu’il n’y en aura plus » ressemble singulièrement à Ex 10.14 : « … il y avait une masse de criquets telle qu’il n’y en avait jamais eu et qu’il n’y en aurait plus jamais par la suite. ».
Comment le prophète réagit-il à ce double fléau ?
Le signe d’une rupture d’avec Dieu
Il est intéressant de noter que Joël n’évoque pas seulement le problème de la famine, mais aussi le fait que la dévastation des cultures rend impossible le culte de Dieu : « Offrandes et libations ont disparu de la maison du Seigneur ; les prêtres, officiants du Seigneur, sont en deuil. » (Jl 1.9 NBS)
Joël lit la catastrophe comme un signe de rupture d’avec le Seigneur. En effet, la sécheresse et les invasions de locustes sont prédites par la Tora comme des effets de l’infidélité du peuple à l’alliance que Dieu a scellée avec lui (Dt 28.22-23 et 28).
Joël lit la catastrophe comme un signe de rupture d’avec le Seigneur
L’occasion d’un retour à Dieu
La réaction du prophète consiste à enjoindre le peuple, sous la direction des prêtres, à revenir au Seigneur.
Au-delà de l’organisation formelle du deuil national, Joël appelle à un changement intérieur : « Ne déchirez pas vos vêtements, mais votre cœur, et revenez au Seigneur, votre Dieu ! » (Jl 2.13a)
Le fondement de la démarche repose sur la grâce et la bonté du Seigneur, en écho à la formidable révélation accordée à Moïse à la suite de la révolte du veau d’or (Ex 34.6).
L’aspect relatif des explications
Il est frappant que Joël – à la différence de bien d’autres prophètes – ne dénonce pas de faute particulière de la part des Judéens : il n’est question ni d’idolâtrie ni d’injustice sociale, par exemple.
Le contexte montre d’ailleurs plutôt un culte pratiqué selon les règles de la loi. Non qu’aucun péché n’ait été commis, mais Joël est moins intéressé par le détail des causes du problème que par la nécessité d’une réconciliation avec Dieu et d’une restauration de l’alliance mise en péril.
Joël est moins intéressé par le détail des causes du problème que par la nécessité d’une réconciliation avec Dieu et d’une restauration de l’alliance mise en péril
Échos dans d’autres passages bibliques
La manière dont Joël appréhende les catastrophes naturelles trouve des parallèles ailleurs dans les Écritures.
On peut penser aux épreuves de Job, pour lesquelles ce juste souffrant recevra une révélation nouvelle de Dieu, coupant court à ses exigences d’explication et condamnant en même temps la théologie de rétribution immédiate de ses amis.
Aussi, Jésus, évoquant les dix-huit personnes écrasées par la chute d’une tour à Siloé, réfute toute explication de causalité et appelle ses auditeurs à revenir à Dieu : « Pensez-vous qu’elles aient été plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Non, je vous le dis. Mais si vous ne changez pas radicalement, vous disparaîtrez tous pareillement. » (Lc 13.4-5).
Jésus, évoquant les dix-huit personnes écrasées par la chute d’une tour à Siloé, réfute toute explication de causalité
Comprendre le tableau général
La vision biblique de l’histoire du monde est qu’à la suite de la création – originellement bonne – une rupture historique entre l’être humain et Dieu, communément appelée « la Chute », a entraîné toute une série de conséquences néfastes dont nous héritons aujourd’hui. Le monde est « soumis à la vanité », comme l’explique Paul aux chrétiens de Rome (Rm 8.20).
Donc, même hors du contexte de l’Ancienne Alliance, les malheurs qui frappent le monde peuvent être compris comme les effets de la Chute. Et, à ce niveau, il est vain de toujours chercher telle faute ou telle raison particulière aux catastrophes. Non qu’on ne puisse pas repérer certains enchaînements causals spécifiques ; mais ils ne doivent pas nous obnubiler, couvrant de leur nuages la vision globale d’un monde malade et détraqué en besoin de rédemption.
« la Chute », a entraîné toute une série de conséquences néfastes dont nous héritons aujourd’hui
Pistes d’application : nous tourner et tourner notre prochain vers Dieu
En refusant de restreindre notre rapport aux drames de l’existence à des explications – qui peuvent nous égarer dans une vision schématique de causes et d’effets – nous pouvons simplement « aller en nous-mêmes » (comme le dit bellement Jésus du fils prodigue en détresse en Lc 15.17) : plutôt que blâmer tel ou tel supposé coupable d’un malheur, apprenons à revoir nos propres motivations, à nous tourner vers Dieu loin de nos fautes, de nos égarements, de nos idoles.
La vulnérabilité de l’existence et d’un monde soumis aux effets de la Chute nous envoie un memento mori (souviens-toi que tu vas mourir) qui nous contraint à revisiter notre rapport à l’espérance éternelle. Plutôt que nous ériger en donneurs de leçon – selon quelle science ? celle du café du commerce ? – soyons comme Joël et le Christ, hérauts de la rédemption offerte à l’humanité : « Soyez réconciliés avec Dieu ! » (2 Co 5.20).
Dans la tempête des colères obscures et dans l’agitation des peurs, soyons des lumières pointant vers l’espérance éternelle.
Plutôt que nous ériger en donneurs de leçon – selon quelle science ? celle du café du commerce ? – soyons comme Joël et le Christ, hérauts de la rédemption offerte à l’humanité