La chair … Késako ?

La chair … Késako ?
Matt Moury
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L’un des thèmes les plus éminemment paulinien est celui de la « chair ». Ce terme (sarx et ses dérivés en grec) apparait 91 fois chez Paul, plus que chez tout autre auteur inspiré. Dans la seule épître aux Romains, il est employé 26 fois, souvent en opposition avec l’esprit. Toutefois, il est de notoriété publique que la traduction de sarx suscite de vives polémiques, le seul mot « chair » ne suffisant pas à rendre la complexité de la pensée paulinienne. Au-delà du mot en lui-même, que signifie « chair » chez Paul en Romains ? Est-il question d’une opposition corps-esprit, comme beaucoup ont pu le croire ?

Sarx comme filiation

Le premier sens de sarx dans l’épître est celui de l’origine, de la descendance, de la parenté. Paul emploie cette acceptation dès son adresse. Avant de préciser qu’il est le Fils de Dieu, Paul écrit que Jésus est le « Fils, issu de la descendance de David selon la chair » (Rm 1.3). La filiation avec David est essentielle puisque le Messie promis devait descendre du roi d’Israël. Jésus de Nazareth accomplit l’alliance davidique (2 Sm 7 ; Ps 89), il est le Roi Messie qui triomphe sur ses ennemis et règne sur la terre (Ps 2 ; Ps 110). Les deux preuves de la messianité de Jésus dans ce passage sont, d’abord, son origine naturelle et, ensuite, sa résurrection qui révèle son origine surnaturelle. Il y a ici contraste mais pas opposition entre la chair et l’esprit (l’Esprit Saint en l’occurrence).

Si Jésus est unique par son divinité et son humanité (Rm 8.3), il ne l’est pas de par son origine ethnique. En effet, tous les Israélites ont pour père « Abraham, notre ancêtre, selon la chair » (Rm 4.1). Toutefois, tous les descendants naturels d’Abraham ne sont pas forcément d’authentiques croyants (Rm 9.6-8). Seuls les enfants de la promesse ayant le cœur circoncis (Rm 2.28) et plaçant leur foi en la Bonne Nouvelle de Jésus (Rm 10.16-17) sont la véritable descendance spirituelle d’Abraham. L’objectif de Paul est de susciter la jalousie de ses frères dans la chair pour qu’ils deviennent ses frères en Christ (Rm 11.14). Le problème ne réside donc pas dans l’antithèse corps-esprit mais plutôt dans l’opposition incrédulité-foi. Il est en effet possible d’être à la fois descendant charnel et spirituel d’Abraham, à l’image de Paul.

Sarx comme puissance

En deuxième lieu, sarx désigne la puissance à l’œuvre dans l’humain déchu. Dans la pensée de Paul, les effets délétères du péché, combinés aux limitations naturelles de l’homme, l’empêchent de saisir les raisonnements de Dieu. Dans ses explications aux chrétiens de Rome, Paul « parle de manière humaine à cause de la faiblesse de votre chair » (Rm 6.19). « La chair » semble donc être conçue comme une puissance qui enferme les humains dans la désobéissance à Dieu, une désobéissance qui mène, ultimement, à la mort. La chair recouvre donc une réalité universelle dont chaque descendant d’Adam partageant la condition humaine post-chute (exception faite de Jésus-Christ) fait l’expérience.

Dans un passage resté célèbre, Paul développe plus largement son anthropologie de l’homme tiraillé entre la loi de Dieu et la chair (Rm 7.7-27). Il faut noter que l’antithèse en vue en Romains 7 ne se rapporte pas tant à l’antithèse chair-esprit qu’à un conflit lié à l’intériorité humaine : « Moi, par mon intelligence, je suis esclave de la loi de Dieu, tandis que, par ma chair, je suis esclave de la loi du péché » (Rm 7.25). Qui qu’il soit, l’homme du chapitre 7 est pris dans une tenaille existentielle entre son intelligence qui souhaite obéir à la loi divine et sa volonté corrompue par la chair. Comment sortir de cette aporie ?

Sarx comme nature humaine et corps humain

Le troisième sens de sarx peut sembler plus obscur à première vue. Le début du chapitre 8 proclame la solution au problème insoluble de l’être humain : l’œuvre du Christ et la venue de l’Esprit. Après avoir indiqué que les chrétiens ne sont plus sous la condamnation (v.1) et qu’ils ont été libérés de la loi du péché et de la mort (v.3), Paul ajoute : « Car – chose impossible à la loi, parce que la chair la rendait sans force – Dieu, en envoyant son propre Fils dans une condition semblable à la chair du péché, en rapport avec le péché, a condamné le péché dans la chair, pour que la justice requise par la loi soit accomplie en nous qui marchons, non selon la chair, mais selon l’Esprit » (Rm 8.3-4).

Comment comprendre ? Sur ces quatre emplois, « deux s’appliquent clairement à la réalité humaine considérée dans sa globalité et avec une connotation péjorative : la faiblesse de la loi est due à la chair (v.3) et la loi est honorée par ceux qui ne marchent pas selon la chair (v.4) » selon Samuel Bénétreau. Si ces deux usages semblent évidents, les deux autres suscitent des questions. Mais que veut donc dire Paul lorsqu’il affirme que le Fils a été envoyé « dans une condition semblable à la chair » ? Que le Fils de Dieu a  bien endossé la nature humaine, mais une nature humaine sans péché (Hé 4.5). Il est possible d’être humain sans pécher, Jésus étant l’homme par excellence ! Mais comment comprendre que Dieu a « condamné le péché dans la chair » ? Jésus a enduré la condamnation de la loi dans son propre corps, jusqu’à la mort, afin que les croyants reçoivent sa justice et son Esprit. De cette manière, Dieu est resté juste en condamnant le péché dans la chair et en justifiant les pécheurs par amour. La chair désigne donc ici à la fois la nature humaine et le corps physique de Jésus.

Jésus a enduré la condamnation de la loi dans son propre corps, jusqu’à la mort, afin que les croyants reçoivent sa justice et son Esprit.

Sarx défaite et corps glorieux

Dans les parties exhortatives, Paul développe un contraste saisissant entre d’un côté « ceux qui sont sous l’emprise de la chair » et, de l’autre, « ceux qui sont sous l’emprise de l’Esprit » (Rm 8.5). Le premier groupe désigne les hommes sans Dieu tandis que le second décrit les chrétiens qui ont été libérés du péché et marchent selon l’Esprit. Toutefois, Paul ne sombre pas dans une forme de perfectionnisme. Certes, l’homme ancien, en Adam, a été crucifié avec Christ (Rm 6.6) mais la nouvelle identité en Christ doit sans cesse être alimentée et mise en pratique par l’Esprit (Rm 8.13).

Au terme de ce parcours, il apparait que le concept de sarx dans l’épître aux Romains est complexe, un mot dépendant toujours de son contexte. Il désigne parfois la filiation, d’autres fois la puissance anti-Dieu à l’œuvre dans le non-croyant et parfois même la nature humaine parfaite de Christ ! Si la chair au sens de puissance a été défaite par le salut extraordinaire opéré par le Dieu trine, elle n’est cependant pas totalement éradiquée. Le chrétien est toujours en lutte avec elle, mais il peut en triompher par l’Esprit, jour après jour.

Seule la résurrection finale permettra aux croyants de triompher définitivement. Le problème de l’humanité ne réside pas dans sa corporalité puisque son espérance est précisément de revêtir un corps glorieux, semblable à celui du Christ (Rm 8.18-24). Nous serons alors des êtres de chair entièrement animés par l’Esprit (1 Co 15.44). Chaque chrétien soupire après cette libération, après le jour où la chair comme puissance corrompue laissera la place à un corps glorieux incapable de pécher. Maranatha !

Le concept de sarx dans l’épître aux Romains est complexe, un mot dépendant toujours de son contexte.

 

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