Le bilan de l’été 2022 est lourd : même si les événements récents ne signifient pas qu’il en sera de même en permanence, les records de chaleurs, les incendies et la sécheresse sont autant de signes que l’humanité ne peut faire autrement que d’entendre.
Se mettre d’accord avec le « monde »
Les chrétiens de toutes confessions semblent aujourd’hui bien conscients du problème. Des organismes comme A Rocha ont contribué à la prise de conscience, de même que le SEL et des livres abordant la question de l’environnement. Mais surtout, le changement climatique est un des sujets sur lesquels nous ressentons pleinement notre humanité. Nous sommes frères et sœurs en humanité des 8 milliards de personnes qui peuplent notre planète et nous sentons bien que nous sommes tous logés à la même enseigne.
Du côté des évangéliques américains, même si certains restent réfractaires à l’évidence (pour de malheureuses raisons politiques, les politiques environnementales étant classées à « gauche »), les choses évoluent rapidement. La National Association of Evangelicals (NAE) vient de publier un très intéressant rapport intitulé « Loving the Least of These » qui appelle à prendre conscience des effets du changement climatique sur les « plus petits » et à agir (on peut se le procurer en ligne ici).
La difficulté, pour nous chrétiens, c’est de paraître faire cause commune avec le « monde ».
La difficulté, pour nous chrétiens, c’est de paraître faire cause commune avec le « monde » ou nous plier servilement aux tendances de société sur un sujet précis. J’ai l’impression qu’il nous est plus facile de nous opposer au monde. Mais si s’opposer au monde fait en effet partie de la vocation chrétienne, les chrétiens qui ont inventé les hôpitaux, les universités et les orphelinats sont bien allés dans le sens des aspirations du monde et du bien commun. Sur la base de notre condition humaine commune, et pour des raisons qui sont aussi proprement chrétiennes, nous pouvons apporter notre pierre à l’édifice des changements aujourd’hui nécessaires, sans nous sentir gênés d’aller dans le sens de nos contemporains.
Dans leur engament, les chrétiens prendront bien sûr aussi en compte des éléments spécifiques que n’ont pas les autres : la création est l’œuvre de Dieu et lui appartient ; le rôle des humains vis-à-vis de la création doit être positif et constructif ; le salut ne vient pas de nous mais de Dieu ; etc.
Des réserves théologiques ?
Certaines théologies de la fin des temps ont pu jouer en défaveur de notre engagement. Si l’univers doit être détruit à la fin, pourquoi s’en préoccuper ? Quand bien même Dieu voudrait détruire tout ce qu’il a créé (ce qui soulève quand même une question de logique), ce serait à lui de le faire et non pas à nous. Or les êtres humains que nous sommes, en l’état actuel des choses, contribuent à la destruction de ce que Dieu leur a confié en gestion. Mais les lecteurs de la Bible savent aussi que les données bibliques sur la fin des temps ne parlent pas que de destruction. Nous ne savons pas précisément ce que sera l’avenir, mais Dieu, comme il le fait pour la personne qui se convertit, n’effacera pas son œuvre passée : il la renouvellera, dans une certaine continuité, pour qu’elle devienne « les nouveaux cieux et la nouvelle terre » que nous attendons.
D’autres chrétiens pensaient : « Dieu ne détruira pas la terre ; il aime trop sa création, et surtout il a promis de la préserver » (voir Gn 9.11). Or les collapsologistes nous annoncent une destruction imminente : ils ne peuvent donc pas avoir raison. Il est vrai que certains courants écologistes ne facilitent pas la tâche de l’engagement écologique. Mais l’amour de Dieu et sa souveraineté, d’une manière douloureuse et mystérieuse, n’ont pas empêché les catastrophes de l’histoire : les millions de victimes (et peut-être même dizaines de millions) des grandes épidémies de peste en Europe ; la tragédie de la Shoah. Nous ne pouvons pas nous auto-convaincre que « tout ira bien ».
D’autres chrétiens encore s’inquiètent des excès, voire du paganisme affirmé, de certains courants écologiques. Ils n’ont pas tort. Comme tous les domaines, l’écologie a ses fondamentalistes et ses illuminés. Les écologistes ne donnent pas toujours envie (parfois, les chrétiens non plus…), et l’écologie politique n’a pas toujours su montrer sa crédibilité. Mais nous avons l’habitude du discernement : de recevoir ce qui est bon, et de récuser ce qui ne l’est pas. C’est ce que nous faisons dans tous les domaines.
Enfin, certaines approches chrétiennes de l’écologie ont pu laisser penser que les chrétiens, par leur attitude, détenaient la clé de l’avenir eschatologique. Or les données bibliques annoncent une intervention de Dieu, de jugement et de renouvellement. Si les êtres humains seront bien tenus pour responsables, c’est entre les mains de Dieu qu’est notre avenir.
Où sont les prophètes ?
Comment expliquer que les chrétiens n’aient pas été plus visiblement en première ligne de la préservation de la création, qu’ils n’aient pas fait entendre plus tôt leur voix dans ce domaine, alors que nous lisons et chantons que « les cieux proclament [ou devraient proclamer ?] la gloire de Dieu », des cieux qui, aujourd’hui, ont plutôt tendance à proclamer le péché humain ? En un mot : où sont passés les prophètes ? En fait, certains chrétiens ont été pionniers en la matière, et ont inspiré les mouvements écologistes. Il faudrait les mentionner. Mais globalement, j’ai peur de devoir dire que les prophètes chrétiens se sont trop souvent perdus dans des discours autocentrés et orgueilleux (voir par exemple l’article de l’exégète Craig Keener dans Christianity Today). C’est à réfléchir, mais les chrétiens peuvent aussi avoir un rôle précurseur et prophétique dans certains domaines.
Que faire ?
Quelques idées simples :
- Inutile de chercher à tout prix l’originalité, les chrétiens peuvent adopter les bonnes pratiques qui sont aujourd’hui proposées dans notre société. L’originalité sera peut-être que nous les recevrons avec reconnaissance, comme un don du Dieu qui veut préserver sa création malgré la mauvaise volonté de ses créatures.
- Le président français parlait récemment de la « fin de l’abondance et de l’insouciance ». On peut certes discuter du degré d’abondance dans lequel nous vivons, mais par rapport à nos prédécesseurs et à d’autres continents, les Européens s’en sortent plutôt bien. Mais quoi qu’on pense de la formule, l’appel à la simplicité et à la sobriété n’est pas une nouveauté pour les chrétiens. Et la simplicité et la sobriété sont même des valeurs chrétiennes ! Dans le classique de Richard Foster sur la vie spirituelle (1978 ; Éloge de la discipline), la simplicité est une discipline spirituelle, au même titre que la prière ou le jeûne. En 1977, le théologien mennonite Ron Sider publiait Rich Christians in an Age of Hunger, un livre qui appelait les chrétiens à sortir de l’insouciance et à adopter un mode de vie plus simple. S’approprier positivement des valeurs qui aujourd’hui s’imposent à tous, parce que ces valeurs font partie de notre tradition, ne serait-ce pas une belle démarche ?
La simplicité est une discipline spirituelle, au même titre que la prière ou le jeûne.
- Enfin, nous pouvons continuer à dire l’espérance. On ne va pas se le cacher, ce ne sera pas facile. Mais ça n’a jamais été facile. Les premiers prédicateurs chrétiens ont dû prêcher l’espérance aux esclaves de l’Empire romain. Les prédicateurs de nombreux pays disent l’espérance à des chrétiens persécutés. Il nous revient de trouver le moyen d’annoncer l’espérance chrétienne dans le contexte de crises qui s’ajoutent les unes aux autres, et d’une crise écologique qui inquiète vivement nos contemporains, et en particulier les jeunes générations.
Pour aller plus loin :
- Frédéric Baudin, La Bible et l’écologie, Excelsis, 2020.
- Alain Nisus, Luc Olekhnovitch et Louis Schweitzer, Vivre en chrétien aujourd’hui. Repères éthiques pour tous, Maison de la Bible, 2015, chapitre sur l’environnement.
- Dave Bookless, Dieu, l’écologie et moi, Je sème, 2014.
- L’écologie, parlons-en ! Guide d’étude sur la Bible et l’environnement, Excelsis, 2021.