La question de l’avenir de la création fait débat, même parmi les évangéliques. La terre que nous connaissons aujourd’hui sera-t-elle détruite, pour faire place à une nouvelle création, ou bien sera-t-elle restaurée ? Doit-on plutôt affirmer la continuité entre la création présente et la nouvelle création, ou bien la discontinuité ? La réponse à ces questions peut avoir un impact sur notre rapport à la création présente, et sur notre investissement citoyen ici et maintenant. Cela vaut donc le coup de d’y réfléchir.
Bien que de nombreux textes bibliques parlent de l’eschatologie (l’avenir) de la création, deux textes sont particulièrement représentatifs du débat. Il s’agit de Romains 8.18‑25 et 2 Pierre 3.5‑13. L’un insiste sur la continuité (Paul, en Romains) entre création actuelle et création à venir, l’autre sur la discontinuité (Pierre, dans sa deuxième lettre). À première vue, ces deux passages ont l’air contradictoires. Mais examinons de plus près ce qu’ils enseignent.
Pierre et la destruction de la création présente
Que dit Pierre ? Celui-ci utilise l’image du déluge pour illustrer ce que sera la « destruction » de la terre. Or, dans sa première lettre, il avait déjà utilisé cette image pour décrire ce qu’est le baptême (1 Pi 3.19‑21). Lors du baptême, nous crucifions en effet le vieil homme, mais nous sommes toujours la même personne ! De plus, lors du déluge lui-même tout n’a pas été détruit : la terre en tant que telle n’a pas été détruite, et Dieu a préservé un reste humain et animal. L’image du déluge n’implique donc pas une destruction totale.
Remarquons encore que le mot « nouveau » dans l’expression « des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (2 Pi 3.13) n’indique pas non plus l’annihilation de ce qui est désigné comme « ancien ». Le Nouveau Testament peut parler des croyants comme de nouvelles créatures (par exemple Ep 4.24), alors que nous sommes toujours les mêmes personnes après notre conversion (on rejoint là l’image du baptême).
Paul et la libération de la création présente
Que dit Paul ? Il insiste bien plus que Pierre sur la continuité entre la création actuelle et la création à venir, mais il parle tout de même d’une rédemption, c’est-à-dire d’un rachat, d’une libération de l’esclavage, pour la création. Cette libération de l’esclavage de la corruption suppose un changement radical de cette même création, une transformation. Il y a donc aussi une certaine discontinuité.
De plus, Paul peut lui aussi parler, dans d’autres textes, de l’aspect purificateur du jugement. Par exemple, en 1 Corinthiens 3.12‑15, il enseigne que nos œuvres passeront à travers le feu. Certaines (celles désignées comme étant « de l’or, de l’argent, des pierres précieuses » ; voir 1 Co 3.12) demeureront, mais d’autres seront détruites. Et la visée de ce texte est la même qu’en 2 Pierre 3 : lors du jugement, plus rien ne sera caché, tout sera mis en lumière (1 Co 3.13 ; 2 Pi 3.10). On peut donc penser que la création aussi aura ses pierres précieuses, qui, par la grâce de Dieu, passeront au travers du jugement.
Finalement, la théologie de la résurrection chez Paul illustre bien cette tension entre continuité et discontinuité : le corps est comme une graine que l’on sème et qui deviendra une plante (1 Co 15.35‑44). La discontinuité est forte : à première vue, une graine et une plante n’ont pas grand-chose en commun. Pourtant, la continuité est indéniable : c’est bien le grain de blé qui devient l’épi de blé. Et c’est cette continuité qui permet à Paul d’écrire : « Ainsi, mes frères [et sœurs] bien-aimé[-e]s, soyez fermes, inébranlables, progressez toujours dans l’œuvre du Seigneur, sachant que votre travail, dans le Seigneur, n’est pas inutile. » (1 Co 15.58)
Conclusion
Que dire alors ? La terre telle que nous la connaissons est bien vouée à disparaître un jour ou l’autre. Nous ne pouvons pas minimiser ce fait. Et c’est une facette de notre espérance : la place sera alors faite pour une nouvelle création, dans laquelle le mal n’aura plus de prise, et qui aura part à la gloire des enfants de Dieu. Pour autant, il y a aussi continuité entre la création actuelle et la nouvelle création. Et cette continuité fonde notre investissement dans et pour la création aujourd’hui. Comme le montre Paul en 1 Corinthiens 3, certaines de nos œuvres pourront, par pure grâce de Dieu, passer le jugement et demeurer pour l’éternité. De plus, même pour ce qui sera détruit, nous ne connaissons ni l’heure ni le jour. Ne précipitons donc pas cette destruction. Émile Nicole écrit : “qui s’abstiendra de manger ou de soigner son corps sous prétexte qu’il mourra un jour et qu’il a l’espérance de la vie éternelle ?”
Cela vaut aussi pour la création. Ainsi, notre rapport à la création actuelle devrait servir de signe au rapport que nous aurons avec la terre glorifiée dans l’éternité.qui s’abstiendra de manger ou de soigner son corps sous prétexte qu’il mourra un jour et qu’il a l’espérance de la vie éternelle ?
Émile Nicole
Pour aller plus loin
Un auteur qui met l’accent sur la discontinuité entre création présente et création à venir :
- Nicole, Émile, « Les fondements d’un comportement écologique chrétien », Fac-Réflexion 15, 1990, p. 17‑24 (disponible gratuitement en ligne ici).
Deux auteurs qui mettent l’accent sur la continuité entre création présente et création à venir :
- Jones, Peter, « L’eschatologie et l’avenir de la création », La revue réformée 169, 1991, p. 43‑70.
- Cobb, Donald, « La création a-t-elle un avenir ? L’eschatologie, les nouveaux cieux et la nouvelle terre », La revue réformée 270, 2014, p. 1‑16 (disponible gratuitement en ligne ici).
Un ouvrage général sur le rapport entre la Bible et l’écologie :
- Baudin, Frédéric, La Bible et l’écologie, Éclairages, Charols/Vaux-sur-Seine, Excelsis/Edifac, 2013.
3 Commentaires
Clair et synthétique. Merci !
Le discours est certes juste sauf quant à l’engagement à “sauver la planète”. La “destruction du Pays” depuis l’ancienne alliance est liée à la souillure morale et la malédiction du péché. Notre oeuvre est bien celle de la Foi et la sanctification avant toute chose.
Pour ce qui est de la nature des lieux célestes, nous sommes si enfermés dans nos conceptions tridimensionnelles, temporelles, matérielles, qu’il nous est impossible d’envisager les nouveaux cieux et la nouvelle terre dont les propriétés, caractères,et lois seront totalement re-fondées. La transformation de nos corps comme celui du Seigneur ressuscité, affranchi des lois de la nature, sans caractère masculin ou féminin et les images qui montrent une collusion entre réalités spirituelles et matérielles: Dieu et le Temple, le Soleil et Christ…ne sont pas envisageables dans nos limites… Déjà le peu de connaissance des lois physiques laisse entrevoir des possibilités infinies, mais elles seront elles même recréées. Et quelle dimension sera nécessaire pour contenir des générations de myriades de myriades… ? Quelle sera la nature du temps qui s’écoule une éternité? Comment conjuguer l’omniprésence du Seigneur aux lois de l’espace. Tout cela semble grotesque, ce ne sont pas tant les lieux qui vaudront d’ailleurs mais comme le dit Paul, nous serons “auprès du Seigneur”. Amicalement, JZ.
Bonjour Joseph,
merci pour votre commentaire. Cependant, je ne crois pas avoir parlé d’un engagement à “sauver la planète” mais d’une responsabilité, confiée par le Seigneur, à gérer fidèlement le bien qu’il nous a confié par amour pour lui, et comme signe du rapport que nous aurons avec la nouvelle création.
Je vous rejoins sur notre incapacité d’appréhender aujourd’hui cette nouvelle création, mais le fait même qu’il y en aura une a des conséquences éthiques pour nous. C’est exactement le raisonnement que Paul fait à propos du corps dans la première lettre aux Corinthiens, et ceci même si nous ne pouvons pas non plus appréhender ce que sera notre nouveau corps.
Fraternellement
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