Quarante jours après sa résurrection, Jésus a été élevé au ciel. C’est ce qu’on a pris coutume d’appeler « l’Ascension ». Mais, au fond, qu’est-ce que ça change ? Ne suffit-il pas de confesser que Jésus est mort à notre place et qu’il est ressuscité le troisième jour ? Quels éclairages l’Ascension apporte-t-elle à notre compréhension du Christ, et à celle de l’Église ? Je propose de réfléchir à ces questions à partir d’une lecture d’Actes 1.4-11.
Luc (auteur de l’évangile du même nom, mais également du livre des Actes), est le seul auteur du Nouveau Testament à raconter explicitement l’Ascension. D’autres textes l’affirment (par ex. Ép 1.20 ; 1 P 3.22), mais Luc est le seul à nous rapporter l’événement (voir Lc 24.51 ; Ac 1.4‑11). Le fait est déjà significatif : l’Ascension n’est pas juste une manière de parler d’autre chose (de la résurrection, de la présence spirituelle de Jésus sur la terre, etc., comme certains le prétendent) mais le terme renvoie d’abord à quelque chose qui a eu lieu dans l’Histoire.
Actes 1.4-11 : « Comme il [Jésus] se trouvait avec eux, il leur enjoignit de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’attendre ce que le Père avait promis — ce dont, leur dit-il, vous m’avez entendu parler : Jean a baptisé d’eau, mais vous, c’est un baptême dans l’Esprit saint que vous recevrez d’ici peu de jours.
Ceux qui s’étaient réunis lui demandaient : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? Il leur répondit : Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez de la puissance quand l’Esprit saint viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.
Après avoir dit cela, pendant qu’ils regardaient, il fut élevé et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils fixaient le ciel, pendant qu’il s’en allait, deux hommes en habits blancs se présentèrent à eux et dirent : Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là à scruter le ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu aller au ciel. »
L’événement même de l’Ascension est raconté de manière assez succincte. Jésus est élevé, il « s’en va », et une nuée le couvre de telle manière qu’il ne soit plus visible. Tout cela se déroule sous les yeux des disciples, et le texte insiste d’ailleurs sur le caractère visible de cette Ascension au ciel. En effet, lors de cette « élévation », Jésus était en présence des apôtres (1.4), et Luc précise que ceux-ci « regardaient » ce qui était en train d’arriver (1.9), ils « fixaient le ciel » (1.10), puis les anges leur demandent « pourquoi restez-vous là à scruter le ciel ? », et leur annoncent que le Seigneur viendra « de la même manière que vous l’avez vu aller au ciel » (1.11). Il y a peut-être là, par cette insistance sur le caractère visible de l’enlèvement de Jésus, une allusion à l’enlèvement d’Élie et la demande d’Élisée de recevoir une double part de son esprit (voir 2 R 2.9-10)…
L’Ascension est donc un signe visible, mais un signe de quoi ? La mention de la nuée peut nous mettre sur la piste. Le terme fait certainement référence à Daniel 7.13-14 : « Dans mes visions nocturnes, je vis alors arriver, avec les nuées du ciel, quelqu’un qui ressemblait à un être humain ; il s’avança vers le vieillard, et on le fit approcher de lui. On lui donna la domination, l’honneur et la royauté ; tous les peuples, les nations et les langues se mirent à le servir. Sa domination durera toujours, elle ne passera pas, et son royaume ne sera jamais détruit. »
Cette prophétie vétérotestamentaire nous permet de mieux comprendre ce qui se joue dans cette élévation de Jésus vers le ciel. Celui-ci n’est monté ni dans « le ciel des oiseaux » ni vers celui des étoiles, mais il s’est avancé « vers le vieillard », pour reprendre les mots de Daniel, c’est-à-dire vers Dieu. Et il a reçu de sa part « la domination, l’honneur et la royauté », sur « tous les peuples ».
L’Ascension est donc l’événement au cours duquel Jésus est entré au ciel, en tant que Dieu-homme, et où il a été établi roi des rois et seigneur des seigneurs par Dieu le Père. Qu’est-ce que cet événement change pour le premier groupe des disciples qui, eux, demeurent sur la terre, et pour nous à leur suite ?
L’Ascension permet de distinguer nettement le Christ-roi qui règne sur l’univers depuis le ciel de l’Église qui vit sur la terre. Comme l’écrit N.T. Wright : « Si Jésus se confond plus ou moins avec l’Église – c’est-à-dire si l’évocation de Jésus peut être réduite à une évocation de sa présence au sein de son peuple, en lui refusant une existence distincte au-dessus de son peuple en tant que Seigneur, alors nous aurons construit une avenue qui débouche sur un triomphalisme de la pire espèce. » (Surpris par l’espérance, p. 180).
Et l’Ascension permet aussi de distinguer le royaume du Christ des nations politiques qui naissent et disparaissent sur terre. Le royaume de Jésus-Christ « n’est pas de ce monde » (Jn 18.36), et en conséquence la vocation de ses disciples n’est pas de combattre pour lui. Leur vocation n’est pas d’établir son règne ici-bas ni de croire qu’ils règnent sur terre en son nom.
La vocation des disciples n’est pas d’établir son règne ici-bas ni de croire qu’ils règnent sur terre en son nom.
Bien au contraire, à l’interrogation des disciples sur le rétablissement du royaume pour Israël, Jésus leur répond qu’ils n’ont pas à en connaître le moment, indiquant par-là que la question n’est pas d’actualité. De plus, il décentre les disciples de son ministère pour se concentrer sur leur vocation de témoins. « Les disciples, non Jésus, seront les acteurs du temps qui s’ouvre ; mais ils le seront en tant que récepteurs d’une puissance conférée par la venue de l’Esprit. » (Daniel Marguerat, Les Actes des apôtres, p. 41).
Depuis l’Ascension, Jésus n’est désormais plus présent « en chair » sur la scène terrestre, et s’ouvre alors le temps du ministère des chrétiens, de l’Église. Sans se prendre pour le Christ (il est au ciel et son existence ne se confond pas avec sa présence terrestre), ni en cherchant à établir son règne ici-bas, ses disciples, et nous à leur suite, recevons la vocation d’être ses témoins, c’est-à-dire celle d’annoncer l’œuvre qu’il a accomplie et son investiture comme roi. Les chrétiens sont les ambassadeurs qui proclament sur terre que Jésus est Seigneur.
Si l’Ascension permet alors d’éviter la tentation « théocratique » (régime où le règne de Dieu se confond, au moins partiellement, avec un gouvernement politique), n’y a-t-il pas le risque pour l’Église de s’enfermer dans une bulle en gardant les yeux fixés au ciel, lieu du règne de Jésus ?
« Pourquoi restez-vous là à scruter le ciel », demandent les deux hommes en habits blancs (voir Lc 24.4) aux disciples. Puis ils leur annoncent que Jésus reviendra de la même manière qu’on l’a vu partir. L’intervention de ces deux hommes (sûrement des anges) vise donc certainement à faire détourner le regard des disciples du ciel. L’Ascension révèle que le règne de Jésus n’est pas un règne terrestre, mais l’espérance chrétienne n’en est pas pour autant une fuite au ciel. Jésus viendra comme il est parti, et ses apôtres ont une mission à accomplir sur la terre.
Cette annonce du retour resitue l’espérance chrétienne : fondamentalement, ce n’est pas de suivre Jésus là où il est allé, mais d’attendre son retour, en annonçant partout la Bonne Nouvelle de son règne, jusqu’aux extrémités de la terre. Que l’Ascension nous renouvelle donc dans notre compréhension du Christ et de son règne, qu’elle nous aide à nous situer à notre juste place, saisissant pleinement notre vocation de témoins et qu’elle nous inspire pour la mission qui n’est pas encore terminée !
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