Actualité ou science-fiction ?
Il y a quelques semaines, j’ai participé à un temps de réflexion dans le cadre d’une pastorale sur le thème : « Nos Églises face au développement du digital : opportunités et nouveaux défis ». Dans mon groupe où l’on discutait des différentes formes d’évangélisation sur internet, j’ai mentionné la présence de certaines Églises dans le métavers. Les participants du groupe se sont gentiment moqués de moi en me répondant : « tu vis dans le futur toi ! ». Mais quelques minutes plus tard, (alors que tous les groupes s’étaient rassemblés), un pasteur a annoncé que son Église serait présente sur le métavers dans les prochaines années.
Pour certains, le sujet du métavers relève encore de la science-fiction, alors que pour d’autres, c’est déjà un sujet d’actualité. Je voudrais par cet article donner quelques éléments de compréhension pour ceux qui découvrent son existence, et ouvrir la réflexion sur la présence future de l’Église dans ce nouvel environnement.
Qu’est-ce que le métavers ?
De la même manière que dans les années 90 on aurait pu décrire internet comme un minitel en couleur dans lequel on pourrait bientôt faire plein de choses, on peut aujourd’hui décrire le métavers comme une version 3D d’internet, dans lequel on pourra bientôt faire plein de choses.
Comme pour internet dans les années 90, on ne sait pas encore ce qu’on pourra faire dans le métavers. Mais de manière générale, le métavers a vocation d’interconnecter des espaces de réalité virtuelle et de réalité augmentée (en 3D), un peu comme internet interconnecte des sites internet (en 2D).
À ce jour, très peu de personnes utilisent le métavers, en partie parce que la technologie n’est pas encore au point. Les casques de réalité virtuelle en particulier sont chers et peu pratiques à utiliser. Mais il est vraisemblable que la situation évolue rapidement grâce aux investissements pharaoniques qui sont consacrés à son développement. Le groupe Meta (anciennement Facebook) a investi à lui seul 10 milliards de dollars en 2021 dans le métavers et a annoncé intensifier son effort dans les années à venir.
Un enjeu théologique ?
Mais qu’est-ce que cette description du métavers vient faire sur Point-Théo ? Est-ce qu’à force de passer du temps avec des ingénieurs j’aurais oublié la différence entre théologie et technologie ?
La raison de mon intérêt vient d’abord du fait que les Églises vont vraisemblablement devoir se positionner par rapport à cette nouvelle technologie. Cela peut sembler une problématique encore lointaine, mais certaines megachurchs américaines ont déjà des campus dans le métavers depuis l’an dernier. Pour l’instant, même pour ces Églises, le métavers représente une partie infime de leur présence en ligne (en général seulement quelques dizaines de connexions pour des Églises de plusieurs milliers de membres). Mais les choses pourraient évoluer rapidement, et mon exhortation est de se poser les questions de fond avant d’être poussés par les circonstances à prendre des décisions pragmatiques pour nos Églises. Combien d’Églises ont repoussé la question de leur présence en ligne pendant des années pour se voir contraints du jour au lendemain d’organiser des cultes en lignes, sans jamais avoir pris le temps de réfléchir théologiquement à la place que devrait avoir internet dans la vie de leur communauté ?
Mon exhortation est de se poser les questions de fond avant d’être poussés par les circonstances à prendre des décisions pragmatiques pour nos Églises.
Avec le métavers, je nous encourage à prendre le temps de nous poser les bonnes questions pour discerner les opportunités et les travers à éviter. Cet article n’a pour seule ambition que d’amorcer cette réflexion, et je voudrais proposer deux aspects du métavers qui me semble présenter une opportunité et un travers potentiel pour l’Église.
L’enjeu missiologique
Aujourd’hui déjà, beaucoup de personnes ne peuvent entrer en contact avec la Bible ou avec des chrétiens qu’au travers d’internet. Demain, cela pourrait être le cas pour des millions de personnes dans le métavers. Si nous croyons que tous devraient pouvoir accéder à la Bonne Nouvelle qui nous a été confiée, alors nous ne pourrons pas faire l’économie d’y être présents, d’une manière ou d’une autre. J’ai pu discuter avec une personne en charge du campus métavers de son Église qui m’a confirmé que la majorité des personnes qui se connectaient étaient des personnes qui n’auraient jamais mis les pieds dans un local d’Église.
L’enjeu de notre corporalité
C’est un vaste sujet, mais beaucoup de choses dans notre culture nous poussent à « dépasser » notre corporalité pour nous construire une identité « libérée » de toute contrainte biologique et le développement du métavers pourrait participer à ce mouvement. À mesure que la technologie évoluera, il pourra devenir de plus en plus tentant de négliger notre vie hors du métavers et d’investir toute identité dans celui-ci. Quel intérêt de faire du sport quand je peux avoir un avatar athlétique ? Quel intérêt de soigner mon apparence lorsque je peux avoir une garde-robe infinie en ligne ? Quel intérêt d’avoir un logement accueillant lorsque je peux avoir la maison de mes rêves en numérique ?
Certains technophiles pourraient voir ces questions comme anecdotiques, mais en tant que chrétiens, nous recevons notre corps et l’environnement dans lequel nous vivons comme des cadeaux de Dieu. Nous devons donc apprendre à discerner entre des usages pertinents du métavers et ceux qui nous poussent à fuir la bonne création que Dieu nous a confiée et dont nos corps font partie. Ce discernement ne peut pas être anticipé. Il devra se faire tout au long du développement et des usages du métavers.
Conclusion
Nous pourrions être tentés de réduire le sujet du métavers à une simple « pour ou contre le métavers ? ». Mais les innovations technologiques ont la fâcheuse tendance de devenir si omniprésente que les questions « pour ou contre » perdent vite de leur sens. Êtes-vous pour ou contre l’électricité ?… En général, nous sommes rapidement amenés à nous poser plutôt la question : « quel est le meilleur usage de cette technologie à la lumière de la sagesse biblique ? »
Je crois qu’il est encore trop tôt pour répondre à cette question pour le métavers, mais il n’est pas trop tôt pour commencer à y réfléchir.