Le paradoxe contemporain des droits de l’homme : le déni du droit à la vie

Le paradoxe contemporain des droits de l’homme : le déni du droit à la vie

Nous vivons à une époque d’un des plus grands paradoxes. D’un côté, les droits de l’homme sont de plus en plus affirmés et s’élargissent, signe que l’on a une considération plus grande pour la dignité de la personne humaine. Mais d’un autre côté, on bafoue le premier de tous les droits de l’homme : le droit à la vie.

La théorie et les faits

Oui, il y a une contradiction énorme entre l’affirmation solennelle des droits de l’homme et leur négation tragique dans la pratique.  D’une part, les différentes déclarations et les nombreuses initiatives qui s’en inspirent montrent, dans le monde entier, la progression d’un sens moral plus disposé à reconnaître la valeur de tout être humain en tant que tel, sans aucune distinction de race, de nationalité, de religion, d’opinion politique ou de classe sociale. D’autre part, dans les faits, ces nobles proclamations se voient malheureusement opposer leur tragique négation par une culture de la mort envers les enfants non nés et les personnes âgées.

C’est d’autant plus déconcertant que cela se produit justement dans des sociétés comme la France qui font de l’affirmation et de la protection des droits de l’homme leur principal objectif et en même temps leur fierté.

Soyons concrets. En France, on compte entre 215 000 et 230 000 avortements par an. Il y a certes dans tous ces avortements des femmes victimes de violences sexuelles, des mères en danger de mort, ou des femmes en grande situation de détresse psychologique et sociale. Mais force est de constater que, loin de l’esprit de la loi de Simone Veil en 1974, l’avortement est aujourd’hui devenu un droit, et à certains égards une autre forme de contraception, ou encore que se développe le désir-droit d’un enfant en bonne santé.

Que dire aussi des plus de 20 000 embryons surnuméraires issus de FIV et sans projet parental qui sont proposés à la recherche[1] ? Que dire des 18000 embryons surnuméraires sans projet parental destinés à la destruction[2] ? Que dire de l’euthanasie, dont la légalisation est aujourd’hui au programme de plusieurs candidats à la présidentielle française ? La pression monte quand tous les pays voisins de la France ont légalisé le suicide assisté, l’euthanasie ou l’assistance au suicide (Belgique, Luxembourg, Suisse, Espagne, et même dans l’Italie très catholique il y a eu un cas en novembre 2021 d’autorisation par la Cour Constitutionnelle de suicide assisté).

Culture de mort

Le pape Jean-Paul II parle longuement de cette culture de la mort qui menace notre civilisation et nos démocraties dans son encyclique Evangelium Vitae, et il en parle même en termes de « structures de péché ». Ce concept de structure de péché, ou de péché structurel, qui n’est pas familier chez les évangéliques, vient de théologiens de divers horizons qui vivaient dans des situations d’oppression dans les années 1960-1970. Par cette notion, ces théologiens tentaient de rendre compte de la dimension sociale du péché, c’est-à-dire du péché quand il n’est pas seulement commis par des individus identifiables mais quand ce sont des systèmes ou des structures entières qui sont corrompus par le péché.

Le caractère anonyme et la complexité qui marquent ces rapports ou ces situations rendent difficile si ce n’est impossible d’en attribuer la responsabilité à quelqu’un en particulier (ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes que des victimes !). L’accumulation de péchés qui vont dans la même direction crée des structures mauvaises qui acquièrent une forme de consistance propre. Et une structure marquée par les conséquences du péché favorise ensuite la commission de nouveaux péchés et le maintien et le renforcement de structures mauvaises. Jean Paul II écrit ainsi par exemple à propos de cette culture de la mort :

Ce ne sont pas seulement des menaces venues de l’extérieur, des forces de la nature ou des « Caïn » qui assassinent des « Abel » ; non, ce sont des menaces programmées de manière scientifique et systématique […]. Au-delà des intentions, qui peuvent être variées et devenir convaincantes au nom même de la solidarité, nous sommes en réalité face à ce qui est objectivement une « conjuration contre la vie », dans laquelle on voit aussi impliquées des Institutions nationales et internationales […]. Enfin, on ne peut nier que les médias sont souvent complices de cette conjuration, en répandant dans l’opinion publique un état d’esprit qui présente le recours à […] l’avortement et même à l’euthanasie comme un signe de progrès et une conquête de la liberté[3].

Bibliquement, de nombreux textes peuvent soutenir cette notion de péché structurel : on peut penser à Genèse 11 et la tour de Babel, au jugement de villes entières comme Sodome (Genèse 19) ou la grande Babylone (Apocalypse 18), aux textes prophétiques qui dénoncent les péchés des nations (par exemple Esaïe 10.5-9, 13, 14.28-31, 15, 19, Ezéchiel 25-26, 35, Amos 1-2, Abdias, Nahum 3, etc.). On peut penser à la manière dont Jésus s’en prend au « système » pharisien qui oppresse le peuple et à la manière dont il annonce le jugement de villes entières qui ont refusé l’Evangile (Matthieu 11.21-23). On peut enfin penser à la manière dont l’évangéliste Jean parle du « monde ».

Il s’agit aussi de souligner que l’œuvre de Jésus-Christ à la croix n’a pas qu’une dimension individuelle mais qu’elle a aussi une portée sociale, que nous évangéliques oublions souvent : « Car il a plu à Dieu de faire habiter toute plénitude et, par lui, de tout réconcilier avec lui-même en instaurant la paix par le sang que son Fils a versé sur la croix » (Colossiens 1.19).

Et on peut ainsi estimer que la mission des chrétiens dans le témoignage rendu au Christ inclut aussi une dimension sociale : discerner les situations marquées par le péché et l’injustice, les dénoncer, les limiter voire les vaincre pour établir des conditions plus propices à l’exercice d’une authentique justice, avec la conscience néanmoins que seul Dieu établira un jour son royaume sur terre.

Le oui de Dieu

L’Évangile est l’Évangile de la vie, il est un grand OUI de Dieu à la vie, pour l’éternité, et nous devons le proclamer à temps et à contre-temps et aujourd’hui plus que jamais.

D’autant que le droit à la vie est le premier droit fondamental de l’homme. Sans lui, tous les autres droits n’existeraient pas. Tous les autres droits le présupposent. Or, tout comme aujourd’hui la sexualité est devenue l’objet du débat démocratique, la vie et la mort le sont aussi. Le sociologue Éric Fassin parle de « démocratie sexuelle », on pourrait à sa suite parler de « démocratie de la vie et de la mort ». Et cela interroge : la vie elle-même et la mort peuvent-elle dépendre d’un vote parlementaire ? N’est-ce pas se prendre pour Dieu ?

Il en va ainsi face à cette culture de la mort d’une urgence pour les chrétiens d’être des prophètes et des ambassadeurs de la vie de toutes les manières possibles, en accueillant la vie, en la célébrant, en l’accompagnant jusqu’au bout, car la vie est toujours don de Dieu.

[1] Chiffres 2017 de l’Agence de la biomédecine

[2] Ibid.

[3] Jean-Paul II, Encyclique Evangelium vitae, Vatican City, Libreria Editrice Vaticana, 1995 (disponible en ligne).

Abonnez vous à notre Newsletter et recevez gratuitement les nouveaux articles par mail