Aujourd’hui, on dit que l’on vit dans une société postmoderne, sécularisée et non religieuse. Pourtant, ici et là, on peut voir des marques d’un intérêt pour ce qui relève du religieux ou du spirituel. Cela se voit avec la place que les gens donnent à l’ésotérisme, au succès des guérisseurs, des visites de monastères ou encore aux énergies, tout cela montre qu’une forme de religieux demeure bel et bien et qu’elle s’intègre même à la vision d’un monde moderne. Cela peut même être considéré comme la nouvelle normalité d’un milieu séculier. Voilà pourquoi on peut parler d’un retour du religieux. Mais ce n’est pas un retour vers une situation antérieure à la sécularisation, ce n’est en rien une copie actualisée. Ce retour se caractérise par un nouvel intérêt religieux grandissant.
Un nouvel intérêt religieux
Le philosophe Gary Gabor parle de la persistance du croyant religieux « sophistiqué ». Ce profil continue à être attiré par la religion ou la spiritualité, non pas parce qu’il ne se sent pas en sécurité, non pas parce qu’il y a un risque existentiel – ce qui était souvent le cas avant l’arrivée de la science moderne et de la modernité – mais parce que cela peut lui procurer un bénéfice (un sens dans la vie, la paix intérieur, ou autre). La religion peut donc toujours être attirante même dans un milieu séculier.
La religion peut donc toujours être attirante même dans un milieu séculier.
Les sociologues – athées et croyants – se rejoignent pour attester la continuité de l’intérêt religieux. Certains parlent même d’une forme de « dé-sécularisation » dans l’histoire. Cela peut faire écho aux grands réveils chrétiens en particulier, à la montée du mouvement évangélique, à la croissance de l’islam et à l’adhésion aux spiritualités venant d’Asie. Mais ces dernières – comprenant le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme – ne sont pas toujours considérées comme des religions en tant que telles, d’où la divergence d’avis sur le sujet.
La nécessité du sacré
Le religieux demeure. La religion reste une dimension essentielle de l’humanité et la question religieuse a toujours eu une place dans la société. Cette permanence du fait religieux s’explique parce que le religieux est nécessaire pour l’être humain, il répond à un besoin profond. Pour le sociologue et théologien Jacques Ellul, l’être humain ne peut pas vivre sans le sacré. Pour lui, on est donc face à un paradoxe : la désacralisation de la société crée une nouvelle sacralisation.
L’être humain ne peut pas vivre sans le sacré.
C’est vrai, l’être humain ne peut se dissocier du sacré. La recherche du sacré est liée à la nature humaine. On ne peut pas vivre dans un univers uniquement rationnel. Si le sacré était un jour amené à disparaître, il y aurait alors une production d’une autre forme de sacré. Et c’est souvent ce qui désacralise qui devient lui-même le nouveau sacré. L’historien et sociologue Jean Baubérot explique : « L’acte religieux est fondateur, et une société vit de son rapport avec le divin tout autant qu’elle contribue à le façonner ». L’histoire montre que l’être humain n’arrive pas à vivre dans un univers sans transcendance, sans religion. La société moderne n’y échappe pas. Le nouveau dieu paraîtra peut-être plus pertinent et plus attrayant que l’ancien mais il y en aura un.
Le sacré renouvelé
Le théologien Marc Boegner confirme cela : pour lui, la religion continuera d’exister parce qu’elle est indispensable au bon fonctionnement d’une société humaine. Certes, la société actuelle a fait face à son histoire et elle a dû renouveler ses croyances. Aujourd’hui, le sacré se voit dans tout ce qui prend une importance primordiale et considérable dans notre société : il prend la forme de l’argent, du pouvoir, de la sexualité mais aussi du bien-être personnel, de l’épanouissement et de l’auto-réalisation. Le sacré dans sa forme sécularisée prend peut-être des formes non religieuses mais il demeure.
Pour Émile Durkheim, les nouvelles croyances qui continuent de se créer sont imprévisibles, on ne peut pas les déterminer à l’avance. Mais cette « effervescence religieuse » permet une restructuration du lien social. C’est une véritable « création de la religion par la société ». Bien souvent, les individus élaborent de nouvelles formes de religion qui leur conviennent et qui se distinguent des religions traditionnelles.
Cette résurgence du sacré peut être perçue comme une régression irrationnelle pendant une période de crise liée à la modernité, ou bien, comme une dimension indissociable de l’être humain. Dans son ouvrage Les nouveaux possédés, Jacques Ellul défend que la période d’ultramodernité n’est pas areligieuse, mais que la religion y prend une forme différente.
Un besoin spirituel
Même si des chiffres attestent la chute de la pratique religieuse, ils cachent tout de même un regain d’intérêt pour la religion certes sous une forme renouvelée et qui s’exprime par une spiritualité personnelle. Ce regain reste toutefois encore difficile à mesurer aujourd’hui et il faudra le nuancer avec l’apport de l’immigration. Mais cet intérêt nous permet de ne pas sombrer dans le pessimisme : il montre bien que l’être humain est en recherche et qu’il a au fond de lui un besoin spirituel que seul Dieu peut combler. Le philosophe et mathématicien français Blaise Pascal parlait d’un vide existentiel en l’être humain et plus précisément d’un « gouffre infini » qui « ne peut être rempli que par un objet infini et immuable », c’est-à-dire que par Dieu lui-même. Depuis toujours, l’humanité est travaillée par les questions existentielles et spirituelles. La foi chrétienne peut apporter une réponse à ces questions et nous pouvons en être les messagers.
Pour aller plus loin :
- BAUBEROT Jean, Le Protestantisme doit-il mourir ?, Paris, Seuil, 1988, 274 p.
- ELLUL Jacques, La Subversion du christianisme, Le Seuil, 2014, 256 p.