L’Église et le nationalisme

L’Église et le nationalisme

La fraternité chrétienne

En devenant enfants de Dieu, nous devenons frères et sœurs les uns des autres. Jamais le Nouveau Testament n’envisage que l’un puisse aller sans l’autre. La fraternité en Christ fait partie du vocabulaire de base de la foi chrétienne.

Les implications de cette fraternité ne sont pas toujours claires mais ce qui l’est, c’est qu’elles vont plus loin que de simplement conclure nos emails par « bien fraternellement ».

Joseph Hellerman fait un travail remarquable dans The Ancient Church as Family pour montrer que l’Église est toujours présentée dans le Nouveau Testament comme une « famille d’adoption » dans laquelle les membres de l’Église sont appelés à être solidaires les uns des autres comme devaient l’être des frères et sœurs de sang à l’époque. Cela incluait en particulier la responsabilité de répondre aux besoins matériels des membres de la fratrie, même après que chacun des membres se soient mariés.

Cette description de notre fraternité chrétienne est déjà ambitieuse à l’échelle de l’Église locale, mais elle l’est encore nettement plus lorsque l’on considère que cette solidarité est attendu aussi à l’échelle mondiale. C’est ce que l’on observe avec la collecte de Paul en faveur des chrétiens de Jérusalem (2 Corinthiens 8-9). Ce que Paul demande aux chrétiens de Corinthe est tout à fait remarquable. Il est vraisemblable que c’est historiquement le premier élan de générosité qui transverse ainsi les barrières ethniques et géographiques pour unir des personnes qui ne se rencontreront probablement jamais.

Alors comment Paul peut-il attendre cela des Corinthiens ? Hellerman montre bien que Paul attend des Corinthiens d’agir envers les chrétiens de Jérusalem comme ils devraient le faire pour des frères et sœurs de sang. Il les appelle d’ailleurs « frères » pas moins de six fois en deux chapitres.

Supérieure à la solidarité humaine universelle ?

Alors que l’idée de la fraternité chrétienne universelle, pouvait apparaître comme une très belle avancée il y a 2000 ans, beaucoup de personnes préfèrent aujourd’hui souligner le lien de fraternité qui unit tous les humains et non-seulement les chrétiens. La dernière encyclique du Pape François Fratelli Tutti (2020) explore justement les implications de notre fraternité, non pas confessionnelle, mais universelle. C’est « encouragé par le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb » qu’il affirme par exemple que Dieu « a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux » (5).

La Bible nous appelle bien sûr à la solidarité avec l’ensemble de l’humanité, au moins en tant qu’êtres créés à l’image de Dieu. Nous sommes appelés à être bons envers tous, comme notre Père est bon envers tous (Luc 6.35-36).

Mais cela ne doit pas masquer que ce qui me lit à mes frères et sœurs en Christ, partout dans le monde, dépasse ce qui m’unit à l’humanité toute entière. Par la foi, nous formons un seul corps, uni par un même Esprit, et nous sommes appelés à vivre à la lumière de cette nouvelle réalité. Perdre cette distinction, c’est perdre de vue la beauté de l’Église que Dieu s’est acquise à la croix.

Je comprends la volonté de souligner plutôt ce qui unit les humains en général. Insister sur ce qui unit les chrétiens peut être vu comme une source de divisions. Et il faut reconnaître que certains chrétiens utilisent la « solidarité de l’Église » comme une arme contre ceux qui n’en font pas partie, par exemple en instrumentalisant la défense de « l’héritage judéo-chrétien » pour limiter l’accès au droit d’asile pour les migrants venant de pays à majorité musulmane. Mais cela montre seulement qu’ils n’ont pas compris quel genre de solidarité unit l’Église. D’abord celle-ci ne remet en rien en question l’amour que nous devons à tous, jusqu’à nos ennemis. Et puis l’Église unie telle que la Bible nous la décrit n’est jamais une forteresse pour rejeter ceux qui n’en font pas partie, mais un Royaume alternatif dont les portes sont grandes ouvertes. Si l’Église brille de la lumière de l’amour de Dieu en son sein, alors ceux qui n’en font pas partie ont l’occasion de découvrir cet amour pour rejoindre cette nouvelle famille (Mt 5.14-16 ; Jn 13.35).

En cela, ces deux niveaux de solidarité ne s’opposent pas mais se cumulent en donnant une priorité au lien qui nous lie en tant que membres de la famille de Dieu. Paul peut résumer ainsi : « Ainsi donc, pendant que nous en avons l’occasion, œuvrons pour le bien de tous, en particulier pour la maison de la foi. » (Galates 6.9)

L’aberration d’un nationalisme chrétien

Pour un article qui a « nationalisme » dans son titre, le thème est jusque-là remarquablement absent. J’espère en fait que ce que j’ai pu écrire jusqu’ici suffise à montrer ce qu’il y a d’aberrant pour un chrétien d’être nationaliste. J’imagine qu’on me rétorquera « qu’il n’y a rien de mal à aimer son pays ». Pourquoi pas. Mais être nationaliste c’est plus que simplement aimer son pays.

Le Larousse donne deux définitions du nationalisme. Cela peut être un « Mouvement politique d’individus qui prennent conscience de former une communauté nationale en raison des liens (langue, culture) qui les unissent et qui peuvent vouloir se doter d’un État souverain. » Ce n’est bien sûr pas de ce nationalisme dont je parle. Préférer un fonctionnement en nation plutôt qu’en tribus ou en Empire n’est ni ma préoccupation ni l’usage habituel du terme. Mais c’est le nationalisme en tant que « Théorie politique qui affirme la prédominance de l’intérêt national » en particulier « par rapport aux autres nations de la communauté internationale » qui me semble en tension avec la fraternité chrétienne. Dans le cadre de la concurrence internationale, plus l’on donne la priorité aux intérêts nationaux moins ceux de nos frères et sœurs à l’étranger sont prioritaires.

Pour le dire simplement, de par mon union avec Jésus, je suis plus uni à mes frères et sœurs Togolais qu’avec mes concitoyens français. Parce que mon allégeance première n’est pas à la nation française, mais à Jésus, Roi du Royaume Dieu, alors ma solidarité voit d’abord ce qui m’unit aux membres de ce Royaume avant de voir des frontières géographiques.

Encore une fois : cela ne me dédouane pas de chercher le bien des non-chrétiens, qu’ils soient français ou non. Mais cela signifie que je ne peux chercher l’intérêt de mes concitoyens au détriment de personnes qui sont mes frères et sœurs au-delà des frontières nationales. C’est justement lorsque nous devons choisir que nos priorités apparaissent plus clairement : quels sont les choix que je fais qui révèlent en moi une plus grande solidarité avec mes frères et sœurs dans la foi, au-delà de nos frontières nationales, plutôt qu’avec mes concitoyens ?

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