Aujourd’hui, notre société fait face à toutes sortes de crises : idéologique, migratoire, écologique, nucléaire, culturelle, identitaire. Ces nouvelles problématiques causées par la modernité multiplient les insécurités, et les questionnements produisent surtout une perte de sens. Comme dans un supermarché proposant une offre de choix très varié, l’Humain moderne ne sait plus que faire, que penser, qui être. Il ne s’y attendait pas car la modernité était censée répondre à ses besoins avec le progrès. Le bilan des courses n’est pas très satisfaisant.
Les promesses déçues du progrès
La modernité a produit beaucoup de choses positives. Mais elle n’a tout de même pas répondu aux attentes profondes de l’être humain : c’est une véritable déception. L’être humain est soi-disant « libre » mais il n’est pas autonome. Les idéaux séculiers qui étaient censés l’affranchir de l’emprise religieuse ne sont plus porteurs d’espoir aujourd’hui. La société est en fait désenchantée. Cela se voit facilement avec la méfiance que certains peuvent avoir, envers le politique entre autres.
Sans repères avec le déclin de l’Église, la société française avait placé son espoir dans le progrès. Il ne devait pas faillir car il dépendait de l’être humain lui-même. Et ce dernier était enfin émancipé de toute référence divine. Mais le progrès n’a pas apporté ce que l’être humain espérait, il ne l’a pas délivré de sa quête de sens et il ne lui a pas offert le bonheur. Aujourd’hui, la société se retrouve désabusée, fragmentée et instable. La solitude et l’ennui accompagnent cette perte de sens. La recherche se poursuit donc.
Aujourd’hui, la société se retrouve désabusée, fragmentée et instable.
Les options de recours se multiplient comme le divertissement, la liberté sexuelle notamment, le retour à la nature, mais aussi, la spiritualité. Robert Somerville, pasteur et enseignant, parle d’une « fuite en avant ». La sociologue des religions Danièle Hervieu-Léger y voit une « crise de signification ». Ce qui était censé donner le bonheur non seulement n’y parvient pas mais révèle de gros problèmes sociétaux. La foi chrétienne a justement beaucoup de choses à apporter : elle répond à cette désillusion.
Le nihilisme ou l’absence de sens
Le sociologue et théologien Jacques Ellul observe dans la société une sorte de nihilisme, un sentiment d’absence de sens très contagieux. On peut le voir dans l’art avec le genre absurde et le structuralisme. Rien ne doit avoir du sens. Le rien se développe et envahit notre vision du monde, il est même valorisé. Pour le citoyen moderne, la société ne pourvoit plus aucun sens. Avec le relativisme ambiant, les valeurs perdent aussi leur place. Inconsciemment, la place d’une religion traditionnelle est remplacée par la laïcité, la République ou autre. Pour Jacques Ellul, cette vision du monde est le présage de l’effondrement de la société moderne, un nihilisme orienté vers soi qui peut prendre la forme d’un pessimisme envers la société. C’est le refus de faire face à la réalité telle qu’elle est, une forme de renoncement, d’abandon.
La modernité éveille donc un besoin de sens. Le sociologue et théologien américain Peter Berger parle d’un ennui dans un monde sans dieux. Au sein d’une rationalité extrême naît la demande d’irrationalité, de surnaturel, de spiritualité. En fait, la quête de sens est pour Danièle Hervieu-Léger une « manifestation moderne de la religion ». La religion chrétienne y a donc sa place étant donné qu’elle cristallise des protestations et des aspirations pour les orienter vers Dieu, l’origine de la vie et de son sens.
Au sein d’une rationalité extrême naît la demande d’irrationalité, de surnaturel, de spiritualité.
Une société en quête de mémoire
Avec la modernité, la religion – qui donnait autrefois du sens – se trouve mise de côté. La société doit alors se débrouiller seule pour trouver le sens de son existence. En plus, comme elle est fragmentée, ce n’est plus le groupe mais l’individu seul qui cherche son propre sens. Selon Danièle Hervieu-Léger, la modernité entraîne « l’émiettement de la mémoire collective » : elle détruit le sens de la vie en faisant disparaître l’enracinement des êtres humains dans l’histoire. Avec l’accès aux informations que nous possédons aujourd’hui, la surinformation ponctualise et isole les informations qui ne forment plus un tout cohérent, une histoire. Cela débouche sur une société morcelée, qui ne partage plus un récit commun. L’évolution de la structure familiale est un exemple parlant pour montrer comment la modernité peut détruire la mémoire.
Ainsi, la modernité opère une rupture dans la continuité de l’histoire et bouleverse la mémoire collective. Mais en faisant cela, elle crée par là même l’envie d’une nouvelle mémoire et un besoin du religieux. Car la religion est une source importante de mémoire de tradition qui donne sens. Nous sommes tous en recherche d’une nouvelle mémoire et donc d’une nouvelle religion qui serait à même de reconstruire une histoire collective. En cela, la société y trouverait du sens. C’est justement ce que propose la foi chrétienne pour l’Église : un sens basé sur une mémoire commune à chaque chrétien.
Oui, la modernité crée de nouveaux problèmes mais elle crée aussi une ouverture spirituelle où certains trouvent refuge dans la religion. Cette fois-ci, elle n’est plus vécue comme une adhésion religieuse mais comme une foi c’est-à-dire une confiance en un être supérieur qui peut répondre aux besoins existentiels humains. La foi chrétienne apporte en effet beaucoup de réponses à ces problématiques. Ainsi, les chrétiens voient dans leur foi une manière de répondre aux défis de la modernité.
Pour aller plus loin
- ELLUL Jacques, La Subversion du christianisme, Le Seuil, 2014, 256 ;
- HERVIEU-LEGER Danièle, La Religion pour mémoire, Paris, Cerf, Sciences humaines et religions, 1993.