Les persécutions subies par les protestants entre le XVIe et le XVIIIe siècle en France ont laissé des traces sur les murs de leurs lieux d’enfermement. Parmi ces graffitis, le plus célèbre est le « Résister » attribué à Marie Durand, gravé sur la margelle du puits de la Tour de Constance. Mais il en existe bien d’autres, qui établissent un lien original et assez peu exploré entre foi, Parole et image dans la culture huguenote[1] du martyre.
S’affirmer dans l’espace
Les graffitis sur les murs des prisons sont une pratique répandue dans les lieux d’internement d’Ancien Régime : « On les croise sur les murs, les rebords des fenêtres, les margelles, les sols et les lieux de passage, dans les couloirs, les latrines, les escaliers et les salles communes… »[2] Pour les réformés détenus à cause de leur foi, il s’agit d’inscrire un nom, des morceaux de Psaumes, des exhortations diverses, des dessins parfois très détaillés, des scènes de la souffrance endurée. La Tour de Crest, dans la Drôme, contient notamment des patronymes, gravés ou tracés au fusain[3]. Inscrire sa présence sur les parois permet l’affirmation de soi contre l’anonymat de l’expérience carcérale et une appropriation, voire une revendication, de l’espace qui devient un « lieu de mémoire » de leur passage et de leurs tribulations.
Cette affirmation de soi est parfois jointe à des protestations d’innocence. Natalia Muchnik mentionne ce graffiti (en vieux français) que l’on trouve au Château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, en Normandie :
« Le premier octobre 1715 (…) un homme injustement yci fut mis inosament (sur) requeste du sieur procureur du roy quy le fis (…) enferre sans l’avoir merite. Juges mortels prenee garde a vos faits. Rendee justice avec equite. Je vous dis en verite que tel justice vous ferre de Dieu pareillement seree jugee. Il jugera ce monde en equite et les peuples en verite. »
La contestation de la justice des hommes se fait en rappelant l’existence d’une justice supérieure. Ainsi, le prisonnier pour sa foi inverse les rôles en espérance : son graffiti sonne comme un avertissement par lequel il s’affirme dans son intégrité, dénonce les pouvoirs temporels et se distingue des détenus de droit commun qui méritent leur peine. Dans la même veine, la Tour de Crest contient sur l’une de ses archères un « soleil de justice ».
L’espace d’enfermement est investi par les graffiti d’une dimension religieuse qui en fait, paradoxalement, un lieu de résistance et de liberté de conscience : la foi emprisonnée n’a plus besoin de se cacher, elle peut s’exprimer. Dès lors, fleurissent les textes des Écritures, les mots d’ordres, les exhortations : « Plutôt mourir que renier sa fay » ; « n’abjure pas » ; « qui vient de renier sa foy see estre traitre et parjore car see renier jesus christ car cee rompre avec jesus christ car cee un crime et un peche mortel ». Le prisonnier a sans cesse ces paroles sous les yeux, comme un rappel à la fidélité.
Résister dans le temps long
Pour les huguenots, graver ou dessiner sur les murs est profondément lié à la résistance de la foi dans le temps long. Le temps de l’incarcération est un temps de l’incertitude car, à la différence des prisonniers contemporains, ils ne savent pas le temps qu’elle durera. Ils subissent un temps « à part » (dans une certaine mesure), « suspendu », à structurer et occuper. Souvent à l’aide d’outils de fortune, de charbon, voire de ses ongles, le prisonnier trouve dans le graffiti un remède à l’oisiveté. D’où les dessins parfois très élaborés (oiseaux, navires, etc.) ou les symboles de foi, ainsi que les fresques de grande taille, comme celle que l’on trouve à Crest, où se succèdent dix personnages et qui semble raconter une dragonnade.
La pierre, matériau de l’enfermement par excellence, est aussi un symbole biblique de résistance et de solidité ; graver la pierre est, dans le geste même, une mise en œuvre de la persévérance. Lorsque les femmes enfermées à la Tour de Constance écrivent « Résister » sur la margelle du puits de leur cellule, elles s’approprient la vertu nécessaire pour tenir, car le temps de la prison est celui, divin, de l’épreuve. Résister à l’abjuration, à la solitude, à l’injustice, à la perte de temps pour les affaires de ce monde : le graffiti exprime et communique des vertus de « patience ».
Ces vertus culminent dans des « confessions de foi » murales, qui associent l’affirmation de soi et le souci de ceux qui passeront après dans le même lieu. Les nouveaux se voient interpellés par les précédents, dans un dialogue qui soude la communauté, la réconforte ou évangélise : « Qui que tu sois qui te done la pene de lire cette excriture je prie Dieu que tu sois sa creature par sa grace comme tu l’es par la nature ». D’autres sont plus catéchétiques :
« M. Rivet prissonniere a cause que je porte tesmougnage au pere de jesus christ mon seul sauveur et redempteur et unique mediateur en toute sa verite et purete pour me vouloir et ne pouvoir ni ne devoir connoistre en l’eglise de mon seigneur jesus christ d’autre chef que luy ni d’autre avocat ni d’autre mediateur ni d’autre intercesseur dedans le ciel que mon bon pasteur les fils unique de dieu roy qui me guide et me conduits et me sauve et me gardera de la mort eternelle. Cee mon credo et mon seul evangile. »
Conclusion
Le graffiti fait ainsi partie d’une culture du martyre par laquelle les protestants ont exprimé et enduré la privation de liberté. « Cicatrices murales », ils « témoignent », encore aujourd’hui, d’un renoncement actif au monde dans lequel les mots « graphiques », la Parole et les images ont joué un rôle original.
Pour aller plus loin :
Natalia MUCHNIK, Les prisons de la foi, L’enfermement des minorités XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Puf, 2019.
Luc BUCHERIE, « La prison de Crest (Drôme) : graffiti religieux, graffiti politiques » in Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°1-2/2004. Cicatrices murales. Les graffiti de prison, sous la direction de Joël Candau et Philippe Hameau, pp. 47-61.
[1] Huguenot : terme qui désigne historiquement les calvinistes français.
[2] Natalia MUCHNIK, Les prisons de la foi, L’enfermement des minorités XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Puf, 2019, pp. 170-171.
[3] Luc BUCHERIE, « La prison de Crest (Drôme) : graffiti religieux, graffiti politiques » in Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°1-2/2004. Cicatrices murales. Les graffiti de prison, sous la direction de Joël Candau et Philippe Hameau, pp. 47-61.
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