Mutualiser : un cas pratique autour des groupes de maison

Mutualiser : un cas pratique autour des groupes de maison

Mutualiser

La réutilisation et la mutualisation sont une préoccupation importante dans l’entreprise. Il s’agit de faire en sorte qu’un travail soit utilisé plusieurs fois, dans plusieurs contextes proches. L’intérêt est évident : une telle pratique permet de faire des économies en faisant en sorte qu’un seul travail serve plusieurs fois.

La mutualisation des ressources peut-elle intéresser l’Église ? En effet, celle-ci n’a pas pour moteur la rentabilité et l’optimisation des moyens. Mais la notion d’efficacité y est présente, comme elle l’est dans le ministère de Jésus et dans celui des apôtres.

Jésus montre une conscience forte de sa mission et sa volonté de s’y concentrer et de ne pas se disperser (cf. Mt 15.21-28) et ce, même s’il s’est laissé régulièrement interrompre par les sollicitations (comme avec la femme atteinte de perte de sang : Mt 9.20ss). Jésus a pleinement conscience de ses limites face à l’étendue de la moisson (cf. Mt 9.35-38), et c’est dans ce contexte qu’il y associe ses disciples en les envoyant en mission.

Il est évident que l’apôtre Paul avait lui aussi une démarche réfléchie. On le voit choisir des collaborateurs, les emmener avec lui pour les former, les laisser dans une ville pour pouvoir poursuivre l’œuvre dans une autre. Et ses lettres témoignent de la conscience qu’il a de sa mission et de la volonté de la remplir efficacement, même s’il reste à l’écoute de Dieu, prêt à être interpellé.

Le pasteur doit réfléchir au moyen d’alléger sa tâche afin de rester à l’écoute et de cultiver la disponibilité.

Confronté lui aussi à de multiples besoins, le pasteur doit réfléchir au moyen d’alléger sa tâche afin de rester à l’écoute et de cultiver la disponibilité. Il doit donc se poser la question de l’efficacité. La mutualisation des moyens entre Églises est un moyen d’y parvenir.
Présenté ainsi, cela semble aller de soi. Pourtant, qu’elle soit aussi peu pratiquée prouve qu’il y a des freins. On connaît bien l’adage : « Seul on va vite, mais ensemble on va loin ». Mettre en place une démarche de mutualisation prend du temps. C’est un investissement dans l’espérance d’un bénéfice ultérieur.

Nous indiquions au début de cet article que c’était une démarche répandue dans les entreprises. Celles qui s’engagent dans la voie de la mutualisation s’en donnent les moyens. Dans l’entreprise de développement de logiciel où l’un des auteurs a travaillé, les collaborateurs étaient invités à passer plus de temps sur les modules qui pourraient être utilisés par d’autres. Il s’agissait de généraliser un élément pour qu’il puisse être utilisé pour un autre projet. Le succès de cette opération nécessite de dégager du temps pour que les collaborateurs effectuent ce travail supplémentaire. Dans cette entreprise, des postes étaient prévus pour faire le lien entre les projets, identifier ce qui pouvait être réutilisé et mutualisé, et s’assurer que la démarche était suivie.

Jésus attirait l’attention de ses disciples sur l’habileté louable des gens de ce monde (Lc 16.8). N’y a-t-il pas dans cette pratique une opportunité pour l’Église et ses pasteurs ?

Méthode

Tant qu’à suivre les méthodes des gens de ce monde, autant mener un projet à leur façon ! La mise en œuvre d’un projet se déroule en cinq grandes étapes :

  1. Étude de l’opportunité : Il s’agit d’identifier une possibilité de collaboration. Y aura-t-il un réel gain à mutualiser ? Cela vaut-il la peine de se mettre au travail dans cette direction ?
  2. Étude de faisabilité : À partir de l’idée initiale, il s’agit de vérifier que le projet est faisable. C’est le moment où l’on s’assoit pour réfléchir à comment ça va se passer. Il faut en particulier prendre le temps d’évaluer la distance entre les pratiques des Églises collaboratrices, comprendre comment chacune fonctionne et évaluer le pas que chacune aura à faire pour avancer ensemble.
  3. Développement : À cette étape, il s’agit de développer le projet et de mettre en place la structure qui lui permettra de vivre.
  4. Production : Cette étape est celle de la vie du projet. À ce stade, le projet tourne ; il s’agit de l’accompagner.
  5. Évaluation : Il est bon de prendre un temps après l’expérience pour en faire un retour, voir ce qui s’est bien passé et identifier ce qui peut être amélioré pour une expérience future.

La tentation existe de ne pas délimiter ces phases. En effet, les idées arrivent de façon désordonnée, ce qui invite à faire se chevaucher les différentes étapes. S’imposer de les suivre de façon rigoureuse peut apparaître alors comme une lourdeur inutile. L’expérience montre que respecter la méthode permet d’anticiper et d’éviter des déconvenues ultérieures. Par ailleurs, chacune des phases ne représente pas forcément un travail formel fastidieux comme le montre l’application au cas pratique du programme commun de groupes de maisons des Églises évangéliques baptistes de Clermont-Ferrand et de Lyon.

Application au cas pratique d’un programme de groupes de maison commun

Pour la saison 2021-2022 de leurs groupes de maison, les Églises évangéliques baptistes de Clermont-Ferrand et de Lyon ont suivi un programme d’études commun. Celui-ci a été défini ensemble, les trames d’échange utilisées ont été rédigées à tour de rôle par les pasteurs des deux Églises.

Étude d’opportunité

L’idée de la collaboration trouve son origine dans les échanges nombreux entre les pasteurs des deux Églises au sujet des groupes de maisons au cours des années précédentes. Lors des échanges d’idées, une certaine convergence s’est installée. L’Église de Clermont-Ferrand suivait un programme commun aux différents groupes en se basant sur des trames envoyées aux responsables. L’objectif était de les décharger du travail de préparation afin qu’ils puissent se concentrer sur l’accueil et le suivi des personnes. La trame comprenait des questions et des éléments de réponse. Lors d’un remodelage de son organisation, l’Église de Lyon a adopté un fonctionnement similaire.

L’objectif était de décharger les responsables du travail de préparation afin qu’ils puissent se concentrer sur l’accueil et le suivi des personnes.

La perspective de suivre les programmes et de mutualiser la préparation des trames laissait entrevoir la perspective pour chacun des pasteurs d’alléger de moitié cette charge et de libérer ainsi du temps pour d’autres tâches.

Étude de faisabilité

La première étape a été de vérifier que les deux Églises pouvaient se mettre d’accord sur le choix d’un programme. Nous avons retenu les discours de Jésus dans l’évangile de Matthieu (chapitres 5-7,10,18 et 24-25). Cette étape de choix n’était pas la plus compliquée ; il fallait néanmoins s’assurer que ce programme s’accorde avec ce qui avait été vécu les années précédentes dans chacune des deux Églises.

A suivi une discussion pour vérifier que le fonctionnement des deux groupes était bien compatible.

  • Les deux Églises suivaient la même fréquence de groupes de maisons : une semaine sur deux. Les réunions y duraient entre 1h30 et 2h et partageaient leur temps entre une étude et un temps de partage et de prière.
  • L’Église de Lyon prévoyait dans son programme des créneaux libres où chaque groupe aurait la possibilité de préparer une animation selon sa sensibilité propre. L’Église de Clermont-Ferrand a accepté de suivre elle aussi cette pratique.
  • Il a fallu également se mettre d’accord sur le format des trames. Une des Églises avait l’habitude d’avoir des questions moins nombreuses pour des études plus courtes, avec des éléments de réponse plus fournis. L’objectif était de permettre à un plus grand nombre de participants de pouvoir animer l’étude. C’est ce format de supports, un peu plus fournis, que nous avons retenu.
  • L’Église de Lyon avait l’habitude de proposer une liste de ressources pour aider à la préparation (des commentaires bibliques). Nous avons dressé cette liste ensemble.
  • Il était nécessaire de se mettre d’accord sur le moyen de mise à disposition des trames d’animation. L’Église de Lyon utilisait un répertoire partagé dans l’espace Google docs. Nous avons conservé cette solution : chaque pasteur y déposerait sa contribution, au plus tard le week-end précédant les prochaines réunions des groupes.

Développement

L’étape la plus importante de la phase de développement a été le découpage en séances du programme retenu. Le fait que deux Églises suivent le même programme allait supprimer une certaine souplesse : il deviendrait plus difficile d’adapter ce programme au cours de l’année, ou de déplacer une séance, si un imprévu survenait. Les deux pasteurs se sont donc retrouvés. Chacun avait lu le texte et arrivait avec ses propres propositions de découpage. À l’aide d’un calendrier listant les vacances, les semaines d’étude et les séances laissées libres, nous nous sommes mis d’accord sur un calendrier d’études.

Nous nous sommes ensuite répartis les séances et la rédaction des différents supports. Il était important de faire cette étape suffisamment tôt pour permettre à chacun de gérer son organisation au mieux. Nous l’avons fait avant les vacances d’été.

Nous avons également partagé avec les responsables des groupes la nouvelle orientation que nous prenions afin de les associer au projet. C’était l’occasion de faire un peu de publicité sur le programme de l’année à venir avant de partir en vacances.

Production

La phase de production est celle qui a nécessité le plus de travail, et sur lequel il y a paradoxalement le moins à dire. Elle était répartie durant toute l’année. À chaque pasteur-contributeur de faire son étude et de la livrer dans les temps (ce qui n’est pas toujours facile) pour que chaque groupe prépare puis suive son étude.

Nous nous sommes ménagé des plages informelles durant lesquelles nous avons échangé sur les textes que nous travaillions et ce que nous en tirions.

Retour sur expérience

La saison 2021-2022 étant toujours en cours, l’étape d’évaluation n’a pas eu lieu. Il est cependant possible de partager quelques éléments sur la façon dont se sont déroulées les choses.

L’expérience a été appréciée par les pasteurs. Ils ont effectivement pu bénéficier de plages allégées, durant lesquelles ils n’avaient pas de trames d’étude à fournir. C’était l’objectif initial ; il est atteint, d’autant que les groupes de maisons des Églises ont également apprécié l’expérience. Sur le principe, ils ont aimé l’idée de participer à un programme plus large que leur seule Église. Et plus de contributeurs a permis une plus grande variété dans les questions et les approches.

Les groupes de maisons des Églises ont également apprécié l’expérience, ils ont aimé l’idée de participer à un programme plus large que leur seule Église.

Les pasteurs ont aussi pu constater combien travailler à deux était stimulant. Il est motivant de savoir son travail utilisé au-delà de son auditoire habituel. Cela invite peut-être à un plus grand soin dans la préparation des études. Ils ont également pu bénéficier de l’interaction avec un collègue avec qui ils pouvaient partager leurs idées, leurs difficultés lors d’une période plus chargée, ou des retours encourageants.

L’initiative a également été une invitation à aller plus loin dans l’échange entre les Églises. Chacun des pasteurs a été invité à prêcher dans l’autre Église, afin de permettre aux participants des groupes de maisons de mettre un visage sur leur enseignant. Ceci contribue à rendre visible le lien fédératif et à donner corps à la notion translocale de l’Église.

Finalement, cette expérience positive invite de façon naturelle à la poursuivre l’année suivante. Quant à l’élargir à d’autres Églises éventuellement intéressées, il faudra ne pas négliger de repasser par une phase de faisabilité permettant de mesurer la distance dans les différentes pratiques. Il faudra aussi être sensible au fait que plus on multiplie les acteurs et les bénéficiaires, plus la souplesse s’efface. On s’oriente alors vers un partage de ressources, plus qu’un calendrier commun et qu’un vécu partagé. Mesurer les besoins et attentes sera indispensable afin de définir le socle commun sur lequel construire et vivre ce souhait de mutualisation.

 

« l’Église dans tous ses états », une rubrique en partenariat avec Les Cahiers de l’École Pastorale

Les Cahiers de l’École Pastorale est une revue trimestrielle de théologie pratique et pastorale. À travers des articles de fond, des prédications et des présentations de livres, elle oeuvre à faire des ponts entre la théologie et la vie des Églises. Son but est d’encourager les pasteurs, les responsables d’Église et plus largement les chrétiens engagés dans un ministère, à penser et approfondir leur foi et leur pratique au sein de leurs Églises.

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